Thèse sur la question agraire

Thèse sur la question agraire

Parti Communiste – Section française de l’Internationale communiste (PC-SFIC)

Guerre ou Révolution

La situation actuelle du monde, avec ses ruines humaines et matérielles, son déséquilibre économique et financier, ses haines de race plus violentes que jamais, ses conflits d’intérêts qui semblent rendre fatale une nouvelle conflagration générale, donne à la Révolution un caractère d’urgence qu’on ne pouvait soupçonner autrefois.

Pendant la paix, le régime capitaliste se montrait sous son aspect le moins inquiétant. Il assurait tant bien que mal l’existence des travailleurs. Par le droit de vote, il leur procurait l’illusion de la souveraineté. Aujourd’hui, le capitalisme s’affirme le maître absolu. Il dispose du droit de vie et de mort sur le prolétariat. Les chefs d’Etat, même animés des meilleures intentions, sont soumis à ses nécessités économiques : les événements des dernières années ont tué l’idéologie pacifiste et wilsonienne. Le régime capitaliste, qui « porte en lui la guerre », constitue un bloc qu’on ne pénètre pas, qu’il faut briser.

A défaut de toute autre considération, ce danger permanent de guerre ferait de la disparition de la bourgeoisie, en tant que classe dirigeante, une question de salut public. La prise du pouvoir par le prolétariat n’est plus seulement la condition essentielle de la transformation sociale, elle apparait comme le seul moyen d’assurer la paix du monde.

Les masses l’ont compris d’instinct. Le rétablissement révolutionnaire qui a abouti en France à l’adhésion à la 3e Internationale a été, dans une certaine mesure, déterminé par la volonté de paix. Les populations rurales qui, par endroit, se tournent vers le Parti Communiste, cherchent avant tout dans la Révolution un asile contre la guerre.

Les conditions humaines et matérielles

Or(( Projet : Or, cette révolution que nous devons faire pendant la période où s’accroissent les difficultés dans lesquelles le capitalisme se débat sera, en quelque sorte une révolution avant terme. Les conditions, etc.)) les conditions matérielles et humaines du communisme ne sont pas réalisées en France dans tous les domaines. Dans le commerce et l’industrie, la concentration capitaliste très avancée rendrait facile la socialisation éventuelle si la classe ouvrière, organisée syndicalement, se préparait aux besognes de contrôle et de direction. Mais, aux champs, le communisme se heurte à des difficultés aussi grandes dans les choses que dans les hommes.

La concentration de la propriété((Projet : La concentration de la propriété, annoncée par les théoriciens du marxisme…)) ne s’est pas produite avec régularité dans l’agriculture. Le mouvement de la propriété agraire, en France, présente plutôt, dans son ensemble, l’aspect d’un incessant assaut mené par les paysans sans terre contre les grands domaines acquis par la bourgeoisie((Projet : acquis par la bourgeoisie lors de l’émigration….)) ou possédés encore par l’ancienne aristocratie.

Cette lutte est difficile. Elle exige, de la part des familles paysannes, des dizaines d’années d’efforts et de privations ininterrompus. Trois, quatre générations s’évanouissent parfois avant que le groupement familial ait acquis les terres qui lui sont indispensables. Leur victoire est souvent sans lendemain : il faut partager entre les enfants les champs si péniblement conquis, et leurs parts trop faibles les obligent à retourner à la terre des grands propriétaires ; il suffit de la maladie, de quelques mauvaises récoltes, de la défaillance du chef de famille pour anéantir les résultats d’une lutte d’un siècle. Mais, malgré les rechutes individuelles, la petite propriété terrienne supporte fort bien, dans diverses régions((Projet : support fort bien la concurrence.)), la concurrence de la grande. Rien ne permet d’affirmer qu’elle sera absorbée, à une date même très lointaine. Et, à l’encontre des travailleurs de l’industrie, les paysans peuvent conserver l’espoir — bien faible, il est vrai — de se libérer de ce maître en régime capitaliste, par la propriété individuelle. Les nombreux achats de terre qu’ils ont effectués pendant la guerre le démontrent.

Il est impossible de dire dune manière rigoureusement exacte l’étendue respective des terres appartenant aux paysans qui les exploitent et de celles mises en valeur par le prolétariat agricole (salariés, colons, fermiers). Les statistiques d’avant-guerre indiquaient que la France comptait environ 5 700 000 exploitations rurales parmi lesquelles 4 850 000 petites exploitations de 0 à 10 hectares et 850 000 exploitations dépassant 10 hectares. Ces chiffres montrent combien, en dépit des affirmations intéressées des soutiens du régime, le sol est inégalement réparti dans notre pays. Mais ils ne fournissent aucune précision sur le rapport qui existe entre l’étendue des terres travaillées par leur propriétaire et des terres source de profit capitaliste. Des métayers, fermiers ou salariés exploitent, en effet, des fermes de moins de 10 hectares ; par contre, des fermes de 20, 30 hectares et au-dessus sont la propriété de la famille qui les met en valeur.

Cependant, on peut classer en trois groupes la propriété rurale française :

  1. Propriété capitaliste organisée pour la grande culture et mise en valeur par des salariés à l’aide de l’outillage moderne ;

  2. Propriété capitaliste divisée en exploitations familiales et mise en valeur par des métayers, fermiers ou salariés ;

  3. Propriété familiale mise en valeur par le paysan propriétaire.

Seul le premier groupe (de beaucoup le moins important) peut se prêter((Projet : se prêterait…)) à une socialisation immédiate — grâce à l’étendue de ses exploitations et aux méthodes de travail qu’il a adoptées(( Projet : qu’il a adoptées — à condition que l’éducation communiste des salariés qu’il emploie fût précédemment accomplie.)).

Le caractère du paysan français constitue pour le communisme un obstacle au moins aussi grand que celui provenant du morcellement du sol. Le rural vit en isolé Ce n’est qu’accidentellement (au moment de la rentrée des récoltes) qu’il unit ses efforts à ceux de ses voisins. Il supporte mal un contrôle quelconque. D’ailleurs, tout contrôle sérieux sérail pratiquement impossible aux champs. A l’usine, il est facile de déterminer le rendement moyen que doit fournir un ouvrier : le contremaître surveille, la machine commande. Comment vérifier la profondeur du sillon creusé ? Comment se rendre compte si le labour fut donné au bon moment ? Surtout, comment imposer au rural les journées de travail de quatorze ou seize heures, indispensables pourtant lorsque les intempéries l’ont immobilisé des semaines entières ?

Le paysan est à la fois patron et ouvrier. Il suffit à cette double lâche parce que le régime actuel lui permet les récompenses ou lui inflige les sanctions nécessaires. L’espoir du profit, la crainte de la perte, aiguillonnent sans cesse son activité. Certes, il aime son travail, il se réjouit d’une belle récolte, mais la notion de l’intérêt individuel est intimement mélangée à ces sentiments. Et il serait dangereux de croire qu’en quelques mois, même en quelques années, la Révolution pourrait transformer ce caractère fait d’habitudes séculaires.

Trois attitudes sont possibles

Malgré le développement de son industrie et de son commerce, la France reste, avant tout, un pays agricole. Les paysans y constituent le groupement humain le plus nombreux. Par conséquent, ils joueront fatalement un rôle de premier plan dans la Révolution. Et ni leur système de propriété, ni leurs méthodes de travail, ni leur caractère ne se prêtent à la réalisation immédiate du communisme.

En présence de ces faits, le Parti Communiste a le choix entre trois attitudes :

  1. Renoncer momentanément à la Révolution et attendre que se soit produite, dans les choses et dans les esprits, l’évolution nécessaire ;

  2. Essayer l’application stricte et immédiate des principes communistes dans un milieu rural non préparé ;

  3. Dresser un programme transitoire qui, s’inspirant du milieu économique et humain dans lequel l’effort révolutionnaire doit s’exercer, améliorera la situation de l’immense majorité des paysans, réservant la réalisation intégrale du communisme pour le jour où les masses paysannes lui donneront volontairement leur adhésion.

Renoncer momentanément à la Révolution, cette hypothèse ne saurait être retenue. L’expérience du passé démontre qu’il est impossible de compter sur une concentration de la propriété agraire. Vouloir transformer la mentalité paysanne en régime capitaliste serait également utopique. En développant notre propagande aux champs, en poussant les fédérations à nommer, dans ce but, des délégués permanents, nous pouvons recruter, dans chaque commune, un noyau de camarades prédisposés naturellement à venir au communisme, nous pouvons accroître nos effectifs électoraux mais nous ne changerons pas les hommes. Pour convertir la masse, il faut en avoir les moyens, et ces moyens sont à la disposition de la classe capitaliste. Seule, la conquête du pouvoir nous les donnera. Et puis, ajourner la Révolution, ce serait se résigner à de nouvelles guerres. Le Parti Communiste ne peut en accepter l’éventualité. Il doit à tout prix, en lui enlevant le pouvoir, mettre le capitalisme hors d’état de nuire.

Essayer l’application stricte et immédiate des principes communistes dans le milieu actuel ? Dire aux paysans, au lendemain de la prise du pouvoir : « Il n’y a plus de bornes, plus de barrières, tout appartient à tous. Vous travaillerez en commun selon les règles que vous établirez en collaboration avec les représentants de l’Etat ; puis, vous prendrez, parmi les récoltes produites, la part qui vous sera nécessaire ou celle que vous attribuera le conseil de la commune ? »

Quelques paysans comprendraient que cette association du sol et des efforts aboutirait à plus de richesse pour l’ensemble, et ils laboureraient la terre communale avec la même ardeur que leurs champs aujourd’hui. Mais qui oserait affirmer que les niasses suivraient et que s’accomplirait en quelques jours, par le seul fait de la conquête du pouvoir, une révolution dans les âmes ? Car travailler par plaisir ou par devoir, ou simplement comprendre que l’intérêt individuel se confond avec l’intérêt de tous, que la meilleure façon de travailler pour soi c’est de travailler pour les autres, cela suppose une véritable révolution morale. Et qui oserait baser la réussite de la révolution sociale sur la réalisation d’un pareil miracle ?

En Russie, toutes les tentatives faites pour introduire brusquement le communisme dans les milieux ruraux ont échoué. « Le régime de la commune, écrit Ossinski (commissaire du peuple russe à l’Agriculture), ne supprime pas seulement toute propriété privée : il impose à la liberté personnelle des entraves lourdes et gênantes. Ça n’est pas seulement la production, mais même la consommation personnelle qui, dans la commune, est réglementée par une collectivité étroite. La vie domestique tombe, par la force des choses, sous la tutelle d’autrui. C’est pourquoi seules sont viables les communes composées d’éléments parfaitement conscients et cohérents ou bien liés entre eux par des sympathies personnelles… »

Certes, les paysans français, plus instruits, supérieurs professionnellement, sont plus aptes que les moujiks russes à mettre en usage les méthodes modernes de la production. Malgré l’inaction criminelle du gouvernement capitaliste de notre pays contre les constructeurs de machines et les fabricants d’engrais qui les exploitent, ils ont considérablement amélioré, depuis un quart de siècle, leur outillage et leurs rendements. C’est ce qui nous permet d’espérer que notre révolution sociale échappera aux épreuves traversées par la Russie des Soviets.

Mais, précisément parce qu’il est de civilisation plus ancienne, parce que, depuis des siècles, il ne connait que la propreté individuelle, le paysan français, plus que le moujik, est pétri d’individualisme. Le Mir avait conservé en Russie, de génération en génération, l’habitude d’un communisme partiel, depuis longtemps aboli en France. Et les rudiments d’instruction reçus par nos paysans à l’école primaire les rattachent plus fortement encore à la forme individuelle de la propriété.

L’application brusque du communisme se heurterait à l’incompréhension et bientôt à la résistance de l’énorme majorité des paysans français. Ils soutiendraient la révolution tant que durerait l’expropriation du capitalisme agraire, mais ils se sépareraient d’elle lorsqu’il s’agirait d’organiser la nouvelle forme de propriété. Les contraindre à accepter la propriété commune serait impossible. L’essayer serait dangereux : tout essai de contrainte les rapprocherait du haut capitalisme industriel et commercial. Et ces luttes intestines aboutiraient sans doute, pour le malheur commun des paysans et des ouvriers, à l’échec de la Révolution.

Le Parti Communiste est donc conduit à organiser un régime agraire intermédiaire, qui, tout en supprimant((Projet : qui, supprimant…)) le métayage, le fermage et le salariat, donnera aux paysans((Projet : aux paysans, libérés du capitalisme terrien….)) la jouissance gratuite de la terre (c’est-à-dire, en fait, sa propriété)((Projet : (c’est-à-dire en fait sa propriété) et, tout en écartant le danger de conflit entre les deux fractions du prolétariat, en les soudant au contraire l’une à l’autre, accroîtra, etc…)), assurera entre les cités industrielles et les régions agricoles voisines, la soudure indispensable en tout temps et particulièrement en période révolutionnaire, accroîtra la production et permettra la création d’un milieu favorable à la réalisation du communisme.

La révolution agraire

La révolution agraire doit résoudre trois grands problèmes : régime de la propriété ; continuité et augmentation de la production agricole : éducation communiste de la classe paysanne.

I. — Régime de la Propriété

a). — Expropriation

Seront expropriés : les terres arables en friche ; les terres mises en valeur par des colons, fermiers ou salariés (sauf dans le cas où les salariés sont les auxiliaires des petits propriétaires exploitants), le cheptel et les immeubles qui en dépendent.

Les petits propriétaires exploitant eux-mêmes conserveront la jouissance absolue et perpétuelle de leur propriété.

L’expropriation, appliquée aux grands propriétaires oisifs, constitue simplement une restitution. Elle est aussi légitime que la suppression des privilèges de l’ancienne noblesse. Elle ne saurait, par conséquent, donner aux capitalistes terriens dépossédés le droit d’être indemnisés. Tout au contraire, après la restitution, ils resteront moralement débiteurs envers la société pour avoir vécu de père en fils, parfois depuis des siècles, sans rembourser par leur travail à la communauté humaine l’équivalent des richesses qu’ils consommaient. Par ailleurs, le droit à l’indemnité aboutirait à des résultats inadmissibles ; comme l’indemnité devrait logiquement être proportionnelle à la valeur des terres reprises, le régime nouveau servirait aux parasites de la veille des rentes d’autant plus fortes que leur parasitisme aurait été plus onéreux pour la société. La plupart d’entre eux jouiraient ainsi, dans la Révolution, d’une situation supérieure à celle des travailleurs.

Par contre, l’expropriation soulève une question délicate pour une catégorie de propriétaires. Lorsque la vieillesse ou les infirmités les obligent à quitter la charrue, de nombreux paysans sont contraints, pour vivre, à confier leurs terres à des salariés, colons ou fermiers. Le revenu de la part des récoltes qu’ils en tirent ne leur procure bien souvent qu’une existence médiocre, menacée constamment par la fluctuation des cours des produits agricoles. Et, tandis que leur passé de travail devrait leur assurer une vieillesse aisée et digne, ils sont réduits à exploiter d’autres cultivateurs, à entrer fréquemment en conflit avec eux. Par l’organisation immédiate d’un système d’assurances sociales, avec de larges retraites pour la vieillesse, la maladie ou les infirmités, la Révolution assurera à ces petits propriétaires une existence matériellement et moralement supérieure. Pendant la période comprise entre l’expropriation et la mise en vigueur du système national d’assurances, ces petits propriétaires recevront leur retraite par les soins d’un organisme local alimenté par les versements des bénéficiaires de l’expropriation.

Les grands propriétaires dépossédés jouiront également des avantages de l’assurance sociale. Si la Révolution ne leur doit aucune indemnité d’expropriation, elle ne saurait oublier que la société a le devoir d’assurer à tous ses membres les moyens de vivre. Les vieillards, les malades, les infirmes recevront une retraite. Quant aux jeunes, ils travailleront.

b). — Appropriation

Les terres, cheptel et bâtiments d’habitation ou d’exploitation expropriés deviendront la propriété de la collectivité, mais les paysans en auront la jouissance gratuite et perpétuelle. Un Conseil communal, composé des diverses catégories de producteurs agricoles et nommé par eux en assurera la répartition équitable.

L’intérêt même des paysans leur commande de ne pas exiger la propriété absolue, c’est à-dire le droit d’acheter et de vendre immeubles, terre et cheptel. Ils savent par expérience que les familles les plus véritablement tranquilles et aisées sont celles qui possèdent, libre de toute hypothèque, la terre qu’elles peuvent travailler sans faire appel à la main-d’œuvre salariée. Ils savent aussi que, avec le régime de la propriété absolue, tel qu’il existe aujourd’hui, il suffit de quelques mauvaises récoltes, de la paresse ou de la légèreté d’un seul de ses membres pour que la famille, ruinée, retombe au métayage ou au salariat. La jouissance gratuite et perpétuelle procure tous les avantages de la propriété absolue et en supprime les inconvénients.

Le Conseil chargé de la répartition des biens expropriés les remettra :

  1. S’il s’agit de grandes propriétés (terres de labour, vignobles, etc…) outillées pour la culture moderne, à l’ensemble des travailleurs qui les exploitaient auparavant. Ceux-ci se constitueront en coopérative de production dont les statuts régleront la discipline du travail et sa rémunération, conformément aux prescriptions de la nouvelle législation agraire.

  2. S’il s’agit d’exploitations familiales, aux familles qui les mettent en valeur ou aux groupes de familles qui se constitueraient volontairement pour la culture en commun.

Cette répartition sera précédée d’un remembrement du sol destiné à réunir les terres autour des bâtiments d’habitation et d’exploitation.

Les petits propriétaires auront droit à une partie des biens distribués, dans le cas où leur propriété ne suffirait pas à leur capacité de travail et à leurs besoins : ils ne sauraient, en effet, être placés en infériorité vis-à-vis des autres travailleurs. Les salariés agricoles qui employaient leurs bras dans les petites exploitations bénéficieront également de la répartition, s’ils le désirent. Cependant, s’ils préfèrent conserver leur rôle de collaborateurs, ils deviendront — si l’accord s’établit — les associés de la famille qui les emploie, constituant avec elle une coopérative de production. Les Conseils communaux useront de leur influence pour réaliser cet accord((Les mots soulignés depuis : s’ils le désirent, ont été ajoutés au texte du Comité directeur.)).

Les paysans qui avaient abandonné la culture pour s’employer dans le commerce, l’industrie ou les fonctions publiques, entreront à égalité dans la nouvelle organisation s’ils veulent retourner à leur profession primitive.

Un Conseil cantonal tranchera en dernier ressort tous les différends soulevés par la répartition.

Au-dessus d’un certaine étendue, les forêts seront exploitées sous la direction d’une administration nationale.

La législation agraire, basée sur ces principes généraux, réglera, en tenant compte de la situation particulière de certaines régions((Les mots : en tenant compte de la situation particulière de certaines régions, ont été ajoutés au texte du Comité directeur.)), les détails de l’expropriation et de l’appropriation, la composition et le mode d’élection des Conseils communaux et cantonaux, le fonctionnement des coopératives de production, l’étendue minimum des forêts non soumises à répartition et, en général, toutes les questions se rapportant au nouveau régime de propriété.

II. — Continuité et augmentation de la production

La possibilité du profit est le grand moteur de l’activité paysanne. Sous peine de voir la production décroître, la Révolution devra donc assurer aux cultivateurs la libre disposition du produit de leurs efforts et créer dans ce but des coopératives communales de vente et d’achat qui serviront d’intermédiaires entre l’agriculture et l’industrie. Cette tâche sera facilitée partout où les sections du Parti auront acquis à l’avance l’habitude de la coopération. Sur ce point, la question agraire se confond avec le vaste problème de l’échange et de la répartition des produits.

Comment le paysan pourra-t-il utiliser la valeur de ses récoltes et la plus-value du cheptel ? Actuellement, ses économies constituent pour lui et les siens une assurance contre la maladie et les intempéries ; elles lui permettent d’acheter de la terre, d’augmenter son bien-être matériel (c’est-à-dire d’améliorer sa situation et celle de ses héritiers). Or, la révolution lui donnera d’une manière définitive (ainsi d’ailleurs qu’à ses enfants) toute la terre qu’il pourra travailler. Le système d’assurances sociales le mettra à l’abri des intempéries, de la maladie, qui lui servira une retraite pour sa vieillesse.

Après qu’il aura acquitté les diverses charges sociales, le paysan trouvera, dans le perfectionnement de son outillage, l’aménagement de ses bâtiments d’exploitation, l’embellissement de sa maison, l’amélioration de ses conditions d’existence matérielles et intellectuelles, un large débouché pour ses économies.

Le remembrement accompli avant la répartition des terres aura déjà facilité le travail agricole. L’emploi((Projet : L’emploi généralisé…)) des machines modernes et des engrais, dont les stocks seront mis immédiatement à la disposition des communes rurales, l’électrification généralisée((Les mots : l’électrification généralisée sont une addition au texte primitif.)), le rendront à la fois moins pénible et plus productif.

Bientôt, l’école démocratisée dans laquelle les divers degrés de l’enseignement seront ouverts, par voie de concours, à toutes les intelligences, permettra de doter la culture des agronomes et des chimistes indispensables qui, véritables médecins des terres, accoutumeront les paysans à un usage plus judicieux des engrais, leur indiqueront les récoltes qui conviennent le mieux à leur sol et dirigeront les grands travaux de drainage, d’irrigation, de colmatage…

Les écoles d’agriculture pour jeunes gens et jeunes filles((Les mots : pour jeunes gens et jeunes filles sont une addition. Le texte primitif portait : Les écoles d’agriculture qui existent déjà…)) — ainsi que les grandes fermes outillées pour la culture scientifique — permettront d’expérimenter les nouvelles méthodes de culture, d’élevage, d’organisation rationnelle et communiste de la vie ménagère((Les mots en italiques ont été ajoutés.)), que leurs élèves, dont le nombre sera considérablement accru, vulgariseront ensuite dams les communes.

En un mot, après leur avoir donné la terre, la révolution poussera les cultivateurs par l’éducation, par l’exemple, à en tirer le rendement maximum.

III. — Education communiste de la classe paysanne

Quelle que soit l’excellence des règles sociales, l’individu les brisera tôt ou tard si elles heurtent sa nature.

Les transformations énumérées plus haut peuvent s’accomplir avec les paysans tels qu’ils sont aujourd’hui, parce qu’elles apportent au sort de chacun d’eux de sensibles améliorations : la terre qui leur est nécessaire aux prolétaires actuels : fermiers, colons salariés (qui constituent la partie la plus opprimée du prolétariat agraire)((Les mots en italiques ont été ajoutés.)) : la consolidation et, dans bien des cas, l’agrandissement, de leur propriété aux petits propriétaires ; aux uns et aux autres, l’usage à de meilleures conditions du matériel et des engrais et, par le renversement du régime capitaliste, la suppression essentielle des guerres.

Mais l’avenir posera d’autres problèmes : nouvelle répartition des terres pour adapter l’étendue de l’exploitation à l’importance numérique des familles ; colonisation intérieure pour décongestionner les régions surpeuplées et diriger le trop-plein de leur population vers les contrées où, faute de bras, la terre serait insufisamment travaillée ; développement de la motoculture (chaque région se spécialisant dans les récoltes qui conviennent le mieux à son climat, à la nature de son terrain, etc., etc.), dont l’assurance sociale aura supprimé les inconvénients…

Il s’agit donc, pour la Révolution, de préparer les paysans à ces nouveaux problèmes, avant qu’ils ne se posent avec une réelle gravité : de substituer la notion de l’intérêt commun à celle de l’intérêt individuel.

L’emploi de machines puissantes qui exigent un personnel nombreux (comme les batteuses) ou qui accomplissent la même besogne dans plusieurs exploitations (les charrues à tracteur, les moissonneuses-lieuses, par exemple) ; la pratique de la coopération pour la production et les échanges arracheront le paysan à son isolement actuel, l’amèneront à comprendre que son intérêt n’est pas de se dresser contre les autres ou simplement de vivre à côté d’eux, mais de vivre avec eux dans une collaboration chaque jour plus étroite.

L’éducation par la lecture et la propagande orale seconderont l’éducation par les faits. La prise du pouvoir mettra la presse entre les mains du prolétariat. L’histoire des dernières années a bien montré la puissance du journal sur les sociétés modernes. Quelle action ne sommes-nous pas en droit d’en attendre lorsque ses dizaines de millions d’exemplaires seront consacrés au bien de l’humanité !

Par l’école, la révolution gagnera au communisme les jeunes générations de paysans.

Battu en brèche par les nouvelles méthodes de travail, par la parole, par la presse, par l’école, l’égoïsme perdra rapidement du terrain. Les paysans se grouperont en associations de production de plus en plus nombreuses en attendant le jour ou, de leur plein gré, ils arracheront les bornes qui les divisèrent pendant des siècles.

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