2. La stratégie de l’insurrection

Textes de bases du PCm

Parti Communiste Maoïste (PCm)

II. La Guerre Populaire Prolongée

2. La stratégie de l’insurrection

   Depuis la révolution russe de 1917, aucune force révolutionnaire dans les pays impérialistes n’a su et/ou pu développer une direction politique suffisamment juste pour renverser l’Etat bourgeois. Le fond du problème est la ligne politique et sa mise en pratique.

   La stratégie de l’insurrection fut généralisée comme stratégie unique pour la prise du pouvoir par l’Internationale Communiste (IC). Sur la conclusion juste de Lénine que « Pour que la révolution ait lieu, il faut que les exploiteurs ne puissent vivre et gouverner comme autrefois » (La maladie infantile du communisme, le « gauchisme », 1920), la stratégie de l’insurrection a alors été interprétée comme une accumulation des forces passive en attendant la crise qui permettrait alors de déclencher le « grand soir ». Si l’IC demandait en effet au Parti d’avoir un appareil clandestin, des caches d’armes et des groupes entraînés, il fallait attendre la « crise » permettant le déclenchement de l’insurrection, la préparation à la lutte armée du Parti était donc relayée loin derrière le travail pacifique et légal. Il fallait donc attendre les circonstances favorables pour l’insurrection et la préparer pacifiquement.

   Mais ce qui est trop « oublié », c’est que la stratégie des bolcheviks était non pas l’insurrection mais la guerre civile.

   « […] [L]a guerre civile est la forme la plus aiguë de la lutte de classe qui, après des conflits économiques et politiques répétés, accumulés, accrus, exacerbés, en arrive à se transformer en conflit armé entre deux classes. »

Lénine, La révolution russe et la guerre civile, 1917

   Lénine explique en septembre 1917 pour convaincre le Parti de préparer l’insurrection que « […] [L]e parti doit de toute nécessité reconnaître que l’insurrection est mise à l’ordre du jour par le cours objectif des événements […] » (Le marxisme et l’insurrection, 1917).

   Déjà en 1906, dans La Guerre de Partisans, Lénine affirmait :

   « Il est parfaitement naturel et inévitable que l’insurrection acquiert les formes plus hautes et plus complexes d’une guerre civile prolongée, englobant tout le pays, c’est à dire d’une lutte armée entre deux parties du peuple. On ne peut se représenter une guerre de ce genre autrement que comme une suite de grandes batailles peu nombreuses, séparées par des intervalles de temps relativement longs, au cours desquels se produisent d’innombrables escarmouches. Du moment qu’il en est ainsi — et il en est certainement ainsi — la social-démocratie doit absolument s’assigner pour tâche de créer des organisations qui soient au plus haut degré capables de diriger les masses dans ces grandes batailles, de même que, si possible, dans ces escarmouches. La social-démocratie, à une époque où la lutte de classe s’est aggravée jusqu’à la guerre civile, doit se donner pour tâche non seulement de participer à cette guerre civile, mais d’y jouer un rôle dirigeant. La social-démocratie doit éduquer et préparer ses organisations pour qu’elles interviennent effectivement en tant que partie belligérante, sans laisser échapper une seule occasion d’infliger des pertes à l’ennemi. »

   L’insurrection résonne donc dans les mots de Lénine plus comme une tactique au service de la stratégie de la guerre civile que comme une stratégie à part entière. En tout cas, l’insurrection apparaît comme fruit d’une participation à la lutte armée comme préparation même de cette insurrection. C’est le sens du texte de Lénine, La Guerre des Partisans.

   Pourtant, l’insurrection a été considérée (et l’est encore) par des organisations et Partis communistes comme la ligne stratégique de la révolution prolétarienne, sans qu’elle n’ait jamais été victorieuse.

   Les principaux dégâts qu’a eu la considération de l’insurrection non comme tactique de lutte du prolétariat mais comme stratégie ont été :

   1. D’engluer les Partis Communistes dans le légalisme et le marais du parlementarisme, sous prétexte d’attendre les conditions favorables extérieures au « Grand Soir » mais sans jamais préparer le Parti, le prolétariat et les masses populaires aux nécessités de la révolution.

   2. De permettre à l’opportunisme de se développer tambour battant dans ces Partis, facilitant le travail de sape des révisionnistes de tous bords.

   3. De renforcer les illusions électoralistes et de « passage pacifique au socialisme », menant à des désastres et massacres comme en Indonésie et au Chili.

   4. De ne pas être préparé à une situation de crise, c’est à dire de ne pas avoir préparé les partis à une quelconque forme de clandestinité ou de préparation militaire, ce qui les ont rendu impuissants face aux forces réactionnaires qui se sont déchaînées sur eux à partir du moment où ils occupèrent trop de place dans l’espace publique et devenaient une menace pour la classe dirigeante, comme en témoignent, par exemple, les difficultés qu’a eu et le temps qu’a mis le PCF à organiser la résistance antifasciste durant la 2ème Guerre Mondiale.

   5. De ne pas préparer idéologiquement, politiquement et militairement les masses contre la classe dominante. Il est impossible de renverser l’Etat bourgeois sans au préalable avoir formé les masses à ce combat idéologique, politique et militaire.

   6. D’enfermer le prolétariat dans une seule forme de lutte, le syndicalisme et le parlementarisme, alors que comme l’explique Lénine dans La Guerre de partisans « Il [le marxiste] admet les méthodes de lutte les plus variées, et il ne les « invente » pas, il se borne à généraliser, organiser, rendre conscientes les formes de lutte des classes révolutionnaires qui surgissent spontanément dans le cours même du mouvement. »

7. De parquer la lutte de classe dans le cadre imposé par la bourgeoisie.

   De cela, nous ne tirons pas la conclusion que les communistes doivent rejeter l’insurrection comme moyen de lutte. Non, nous pensons plutôt qu’il faut envisager la question de l’insurrection comme une tactique, pouvant prendre sa place dans une stratégie plus large et moins restrictive en terme de moyens, formes et méthodes de lutte disponibles au prolétariat et surtout qui s’inscrit dans la durée. C’est également ce qu’indique Lénine dans La Guerre des Partisans :

   « Quelles exigences essentielles doit formuler tout marxiste à l’égard de la question des formes de lutte ? Premièrement, le marxisme diffère de toutes les formes primitives du socialisme en ce qu’il ne rattache pas le mouvement à quelque forme de lutte unique et déterminée. Il admet les formes de lutte les plus variées, et il ne les « invente » pas : il se borne à généraliser, organiser, rendre conscientes les formes de lutte des classes révolutionnaires, qui surgissent spontanément dans le cours même du mouvement. Absolument hostile à toutes les formules abstraites, à toutes les recettes de doctrinaires, le marxisme exige que l’on considère attentivement la lutte de masse en cours, qui, à mesure que se développe le mouvement, que progresse la conscience des masses et que s’aggravent les crises économiques et politiques, engendre sans cesse de nouveaux procédés, de plus en plus variés, de défense et d’attaque. C’est pourquoi le marxisme ne répudie d’une façon absolue aucune forme de lutte. En aucun cas, il n’entend se limiter aux formes de lutte possibles et existantes dans un moment donné ; il reconnaît qu’un changement de la conjoncture sociale entraînera inévitablement l’apparition de nouvelles formes de lutte, encore inconnues aux militants de la période donnée. Le marxisme, sous ce rapport, s’instruit, si l’on peut dire, à l’école pratique des masses ; il est loin de prétendre enseigner aux masses des formes de lutte que les « faiseurs de systèmes » imaginent au fond de leur cabinet de travail. Nous savons —disait par exemple Kautsky, examinant les formes de la révolution sociale— que la crise à venir nous apportera de nouvelles formes de lutte que nous ne pouvons prévoir actuellement. En second lieu, le marxisme exige absolument que la question des formes de lutte soit envisagée sous son aspect historique. Poser cette question en dehors des circonstances historiques concrètes, c’est ignorer l’abc du matérialisme dialectique. Aux différents moments de l’évolution économique, en fonction des différentes conditions politiques, nationales culturelles, d’existence, etc., des formes de lutte se placent au premier plan pour devenir les principales ; par suite, les formes de lutte secondaires, accessoires, se modifient à leur tour. Essayer de répondre par oui ou par non à propos d’un moyen déterminé de lutte, sans examiner en détail les circonstances concrètes du mouvement en question, au degré de développement qu’il a atteint, ce serait quitter complètement le terrain marxiste. »

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