Le marxisme, Mariategui et le mouvement des femmes

Le marxisme, Mariategui et le mouvement des femmes

Movimiento Femenino Popular

   Ecrit par Catalina Adrianzen. Publié pour la première fois à Lima, 1974, par le Movimiento Femenino Popular.

I. LA QUESTION DES FEMMES ET LE MARXISME

   La question des femmes est une question importante pour la lutte du peuple, et son importance est encore plus grande aujourd’hui, car les actions s’intensifient, ce qui tend à mobiliser les femmes ; une mobilisation nécessaire et fructueuse du point de vue de la classe ouvrière et au service des masses populaires, mais qui, si elle était promue par et au profit des classes exploiteuses, agirait comme un élément qui divise et entrave la lutte du peuple.

   Dans cette nouvelle période de politisation des masses de femmes dans laquelle nous évoluons maintenant, avec sa base une plus grande participation économique des femmes dans le pays, il est indispensable de prêter une attention sérieuse à la question féminine en ce qui concerne l’étude et la recherche, l’incorporation politique et le travail d’organisation cohérent. Une tâche qui exige de garder à l’esprit la thèse de Mariátegui qui enseigne cela : « LES FEMMES, COMME LES HOMMES, SONT DES RÉACTIONNAIRES, DES CENTRISTES OU DES RÉVOLUTIONNAIRES, ELLES NE PEUVENT DONC PAS TOUTES MENER LE MÊME COMBAT CÔTE À CÔTE. DANS LE PANORAMA HUMAIN ACTUEL, LA CLASSE DIFFÉRENCIE L’INDIVIDU PLUS QUE LE SEXE ». Ainsi, dès le début, la nécessité de comprendre scientifiquement la question de la femme exige sans doute de partir du concept marxiste de la classe ouvrière.

   1. La théorie de la femme en tant que « nature féminine déficiente »

   Au fil des siècles, les classes exploiteuses ont soutenu et imposé la pseudo-théorie de la « nature féminine déficiente », qui a servi à justifier l’oppression que les femmes subissent jusqu’à présent dans les sociétés où l’exploitation continue de prévaloir. Ainsi, la prière des hommes juifs : « Béni soit Dieu, notre Seigneur et Seigneur de tous les mondes, de ne pas m’avoir fait femme » et le conformisme des femmes juives qui prient « Béni soit le Seigneur qui m’a créée selon sa volonté », expriment clairement le mépris que le monde ancien avait pour la condition de la femme. Ces idées ont également prédominé dans la société esclavagiste grecque ; le célèbre Pythagore a dit « Il y a un bon principe qui a créé l’ordre, la lumière et l’homme et il y a un mauvais principe qui a créé le chaos, les ténèbres et la femme » ; et même le grand philosophe Aristote a prononcé : « le féminin est féminin en vertu d’un certain défaut qualitatif », et « le caractère des femmes souffre d’un défaut naturel ».

   Ces propositions se transmettent à la dernière période de la société esclavagiste romaine et au Moyen-Âge, le mépris de la femme s’intensifiant chez les penseurs chrétiens qui lui reprochent d’être la source du péché et la salle d’attente de l’enfer. Tertulien affirmait : « Femme, tu es la porte du diable. Tu as persuadé le diable d’attaquer de front. Par ta faute, le fils de Dieu a dû mourir ; tu devrais toujours t’en aller vêtue de deuil et de haillons » ; et Augustin d’Hipona « La femme est une bête qui n’est ni ferme ni stable ». Tandis que ces derniers condamnaient, d’autres prononçaient des sentences sur l’infériorité et l’obéissance féminine ; ainsi l’apôtre Paul de Tarse prêchait-il « L’homme n’a pas été enlevé à la femme, mais la femme à l’homme » et « De même que l’Eglise est soumise au Christ, que la femme soit soumise en toutes choses à son mari ». Et des centaines d’années plus tard, au XIIIe siècle, Thomas d’Aquin suivi avec une prédication similaire : « L’homme est le chef de la femme, tout comme le Christ est le chef de l’homme » et « C’est un fait que la femme est destinée à vivre sous l’autorité de l’homme et qu’elle n’a pas d’autorité par elle-même. ».

   La compréhension de la condition féminine n’a pas beaucoup progressé avec le développement du capitalisme, car si Candorcet en a souligné la racine sociale lorsqu’il a dit « On a dit que les femmes […] n’ont pas le sens de la justice, et qu’elles obéissent à leurs sentiments plutôt qu’à leur conscience […] cette différence a été causée par l’éducation et l’existence sociale, et non par la nature », et le grand matérialiste Diderot a écrit : « Je vous plains, les femmes » et « dans toutes les coutumes, la cruauté des lois civiles s’est jointe à la cruauté de la nature contre les femmes. Elles ont été traitées comme des imbéciles » ; Rousseau, idéologue avancé de la Révolution française, insistait : « Toute éducation des femmes doit être relative à celle des hommes. […] La femme est faite pour céder à l’homme et supporter ses injustices ». Cette position bourgeoise se perpétue à l’époque de l’impérialisme, devenant de plus en plus réactionnaire au fil du temps ; qui, rejoignant les positions chrétiennes, et reprenant les vieilles thèses sanctionnées par Jean XXIII : « Dieu et la nature ont donné aux femmes diverses tâches qui perfectionnent et complètent les tâches confiées aux hommes ».

   On voit ainsi comment, au fil du temps, les classes exploiteuses ont prêché la « nature féminine déficiente ». Se soutenant dans des concepts idéalistes, elles ont réitéré l’existence d’une « nature féminine » indépendante des conditions sociales, ce qui fait partie de la thèse anti-scientifique de la « nature humaine » ; mais cette soi-disant « nature féminine », essence éternelle et invariable, est également appelée « déficiente » pour montrer que la condition des femmes, leur oppression et leur patronage sont le résultat de leur « infériorité naturelle par rapport à l’homme ». Par cette pseudo-théorie, on veut maintenir et « justifier » la soumission des femmes.

   Enfin, il est commode de souligner que même un penseur matérialiste exceptionnel comme Démocrite avait des préjugés à l’égard des femmes (« Une femme familière avec la logique : une chose effrayante » ; « La femme est beaucoup plus encline que l’homme à penser le mal »). Et que la défense des femmes se fonde sur des arguments métaphysiques ou religieux (Eve signifie la vie et Adam la terre ; créée après l’homme, la femme a été mieux finie que lui). Même la bourgeoisie, lorsqu’elle était une classe révolutionnaire, ne concevait les femmes qu’en référence aux hommes, et non comme des êtres indépendants.

   2. Le développement du capitalisme et du mouvement des femmes

   Le développement du capitalisme intégrera les femmes dans le travail, lui fournissant la base et les conditions pour se développer ; ainsi, avec leur incorporation dans le processus productif, les femmes auront la chance de se joindre plus directement à la lutte des classes et à l’action combative. Le capitalisme a mené les révolutions bourgeoises et dans cette forge, les masses féminines, en particulier les femmes travailleuses, ont progressé.

   La Révolution française, la plus avancée de celles menées par la bourgeoisie, a été un grand aliment pour l’action féministe. Les femmes se sont mobilisées avec les masses, et en participant aux clubs civiques, elles ont développé des actions révolutionnaires. Dans ces luttes, elles ont organisé une « Société des femmes révolutionnaires et républicaines » et, par l’intermédiaire d’Olympe de Gouges, elles ont réclamé en 1789 une « Déclaration des droits de la femme » et ont créé des journaux comme « L’Impatient » pour exiger l’amélioration de leur condition. Dans le développement du processus révolutionnaire, les femmes ont obtenu la suppression des droits du premier né de sexe masculin et l’abolition des privilèges masculins, et elles ont également obtenu l’égalité des droits de succession avec les hommes, ainsi que le divorce. Leur participation militante a donc donné quelques fruits.

   Mais une fois la grande poussée révolutionnaire stoppée, les femmes se sont vu refuser l’accès aux clubs politiques, leur politisation a été supprimée, et elles se sont vues blâmées et exhortées à rentrer chez elles. On leur a dit : « Depuis quand les femmes ont-elles le droit de renoncer à leur sexe et de devenir des hommes ? La nature a dit aux femmes : soyez une femme. Vos tâches consistent à vous occuper des nourrissons, des détails de la maison et des divers défis de la maternité ». Plus encore, avec la réorganisation bourgeoise initiée par Napoléon, avec le Code civil, la femme mariée retourne à la soumission au patronage, relevant du domaine de son mari dans sa personne et ses biens ; on lui refuse la remise en cause de la paternité. Les femmes mariées, comme les prostituées, perdent leurs droits civils, et on leur refuse le divorce et le droit de transférer leurs biens.

   Dans la Révolution française, nous pouvons déjà voir clairement comment les progrès des femmes et leurs revers sont liés aux progrès et aux revers du peuple et de la révolution. C’est une leçon importante : l’identité des intérêts du mouvement féministe et de la lutte populaire, et comment le premier s’inscrit dans le second.

   Cette révolution bourgeoise montre également comment les idées sur les femmes suivent un processus similaire au processus politique ; une fois la poussée révolutionnaire combattue et stoppée, des idées réactionnaires ont refait surface à propos des femmes. Selon Bonald : « L’homme est à la femme comme la femme est à l’enfant » ; Comte, considéré comme le « père de la sociologie », a proposé que la féminité soit une sorte d’enfance continue et que cette enfance biologique s’exprime par une faiblesse intellectuelle ; Balzac a écrit : « Le destin des femmes et leur seule gloire est de faire battre le cœur des hommes. La femme est un bien acquis par contrat, un bien personnel mobile, car la possession vaut un titre ; en somme, à proprement parler, la femme n’est qu’une annexe de l’homme ». Toute cette idéologie réactionnaire est synthétisée par Napoléon dans les termes suivants : « La nature a voulu que les femmes soient nos esclaves […]. Elles sont notre propriété […] ; la femme n’est qu’une machine à produire des enfants » ; un personnage pour lequel la vie féminine devrait être orientée par « Cuisine, Église, Enfants », un slogan approuvé par Hitler en ce siècle.

   La Révolution française a élevé ses trois principes de liberté, d’égalité et de fraternité et a promis la justice et de répondre aux demandes du peuple. Très vite, elle a montré ses limites et que ses déclarations de principe n’étaient que des déclarations formelles, en même temps que ses intérêts de classe étaient opposés à ceux des masses ; la misère, la faim et l’injustice ont continué à prévaloir, mais sous des formes nouvelles. Contre un tel ordre des choses, les utopistes se lancèrent dans une critique acerbe et démolissante, bien que, en raison des conditions historiques, ils ne puissent pas atteindre la racine du mal. Les socialistes utopistes ont également condamné la condition des femmes sous le capitalisme. Fourier, représentant cette position, a souligné : « Le changement d’une époque historique peut toujours être déterminé par le progrès des femmes […] le degré d’émancipation de la femme constitue la voie naturelle de l’émancipation générale. ».

   Face à cette grande affirmation, il convient de contrebalancer la pensée de l’anarchiste Proudhon sur les femmes, et de garder à l’esprit ses idées lorsqu’on tente aujourd’hui de propager l’anarchisme aux quatre vents, en les présentant comme des exemples de vision et de conséquence révolutionnaires. Proudhon soutenait que la femme était inférieure à l’homme physiquement, intellectuellement et moralement, et que, représentées ensemble numériquement, les femmes ont une valeur de 8/27 celle de l’homme. Ainsi, pour ce héros, une femme représente moins d’un tiers de la valeur d’un homme ; ce qui n’est qu’une expression de la pensée petite-bourgeoise de son auteur, une racine commune à tous les anarchistes.

   Tout au long du XIXe siècle, avec leur incorporation croissante dans le processus de production, les femmes ont continué à développer leur lutte pour leurs propres revendications en rejoignant les syndicats ouvriers et les mouvements révolutionnaires du prolétariat. Un exemple de cette participation est celui de Louise Michel, combattante à la Commune de Paris en 1871. Mais le mouvement féministe en général s’est orienté vers le suffragisme, vers la lutte pour obtenir le droit de vote pour les femmes, à la poursuite de l’idée fausse selon laquelle en obtenant le vote et les postes parlementaires, leurs droits seraient respectés ; de cette façon, les actions féministes étaient canalisées vers le crétinisme parlementaire. Cependant, il est bon de rappeler que le vote n’a pas été obtenu gratuitement mais que, au cours du siècle dernier et au début de ce siècle, les femmes ont lutté ouvertement et avec détermination pour l’obtenir. La lutte pour le vote féminin et sa réalisation montrent une fois de plus que, s’il s’agit bien d’une conquête, ce n’est pas le moyen permettant une véritable transformation de la condition des femmes.

   Le XXe siècle implique un plus grand développement de l’action économique féministe : les femmes travailleuses augmentent massivement, ainsi que les femmes salariées, auxquelles s’ajoutent de forts contingents de travailleuses libérales ; les femmes entrent dans tous les domaines d’activité. Dans ce processus, les guerres mondiales ont une grande importance car elles ont intégré des millions de femmes dans l’économie pour remplacer les hommes mobilisés au front. Tout cela a poussé à la mobilisation, à l’organisation et à la politisation des femmes ; et à partir des années 50, la lutte féministe reprend avec plus de force, amplifiée dans les années 60 avec de grandes perspectives d’avenir.

   En conclusion, par l’incorporation économique des femmes, le capitalisme a jeté les bases de leur autonomie économique ; mais le capitalisme en lui-même n’est pas capable de donner une égalité juridique formelle aux femmes ; il ne peut en aucun cas les émanciper ; cela a été prouvé tout au long de l’histoire de la bourgeoisie, une classe qui, même dans sa révolution la plus avancée, la Révolution française du XVIIIe siècle, ne pouvait pas aller plus loin qu’une simple déclaration formelle des droits. Plus loin, le développement ultérieur des processus révolutionnaires bourgeois et le XXe siècle montrent non seulement que la bourgeoisie est incapable d’émanciper les masses de femmes, mais avec le développement de l’impérialisme, le concept bourgeois de la condition féminine devient plus réactionnaire au fil du temps et confirme en fait l’oppression sociale, économique, politique et idéologique des femmes, même s’il la dissimule et la peint de multiples façons.

  3. Le marxisme et l’émancipation des femmes

   Le marxisme, l’idéologie de la classe ouvrière, conçoit l’être humain comme un ensemble de relations sociales qui changent en fonction du processus social. Ainsi, le marxisme est absolument opposé à la thèse de la « nature humaine » comme une réalité éternelle et immuable en dehors du cadre des conditions sociales ; cette thèse appartient à l’idéalisme et à la réaction. La position marxiste implique également le dépassement du matérialisme mécanique (des anciens matérialistes, avant Marx et Engels) qui étaient incapables de comprendre le caractère social historique de l’être humain en tant que transformateur de la réalité, si irrationnellement qu’il devait s’appuyer sur des conditions métaphysiques ou spirituelles, comme dans le cas de Feuerbach.

   Tout comme le marxisme considère l’être humain comme une réalité concrète historiquement générée par la société, il n’accepte pas non plus la thèse de la « nature féminine », qui n’est qu’un complément de la soi-disant « nature humaine » et donc une réitération que la femme a une nature éternelle et immuable ; aggravée, comme nous l’avons vu, parce que ce que l’idéalisme et la réaction entendent par « nature féminine » une « nature déficiente et inférieure » par rapport à l’homme.

   Pour le marxisme, les femmes, tout autant que les hommes, ne sont qu’un ensemble de relations sociales, historiquement adaptées et changeantes en fonction des changements de la société dans son processus de développement. La femme est donc un produit social, et sa transformation exige la transformation de la société.

   Lorsque le marxisme se concentre sur la question des femmes, il le fait donc d’un point de vue matérialiste et dialectique, d’une conception scientifique qui permet effectivement une compréhension complète. Dans l’étude, la recherche et la compréhension des femmes et de leur condition, le marxisme traite la question de la femme par rapport à la propriété, à la famille et à l’État, puisque tout au long de l’histoire, la condition et la place historique des femmes sont intimement liées à ces trois facteurs.

   Un exemple extraordinaire d’analyse concrète de la question féminine, de ce point de vue, est donné dans Origine de la famille, propriété privée et État, de F. Engels, qui, signalant la substitution du droit de la mère par le droit du père comme point de départ de la soumission des femmes, écrit :

   « Ainsi, les richesses, au fur et à mesure qu’elles augmentaient, d’une part donnaient à l’homme une place plus importante que la femme dans la famille, et d’autre part lui donnaient l’idée de profiter de cette importance pour modifier l’ordre établi de l’héritage au profit de ses enfants. […] Cette révolution, l’une des plus profondes que l’humanité ait connues, n’a pas eu besoin de toucher ne serait-ce qu’un seul des membres vivants du peuple. Tous ses membres pouvaient continuer à être ce qu’ils avaient été jusqu’alors. Il suffisait de dire qu’à l’avenir les descendants de la lignée masculine resteraient dans le peuple, mais que ceux de la lignée féminine le quitteraient pour aller dans le peuple de leur père. Ainsi, la filiation maternelle et l’héritage par droit de mère ont été abolis, remplacés par la filiation masculine et l’héritage par droit de père. Nous ne savons rien de la façon dont cette révolution s’est déroulée dans les peuples cultivés, puisqu’elle a eu lieu à l’époque préhistorique. […] Le renversement du droit maternel a été LA GRANDE DÉFAITE HISTORIQUE DU SEXE FÉMINININ À TRAVERS LE MONDE. L’homme s’empara aussi des règnes de la maison ; la femme se vit dégradée, transformée en servante, en esclave de la lascivité de l’homme, en simple instrument de reproduction. » (Notre emphase).

   Ce paragraphe d’Engels pose la thèse fondamentale du marxisme sur la question de la femme : la condition de la femme est étudiée dans le cadre des relations de propriété, sous forme de propriété exercée sur les moyens de production et dans les relations productives qui en découlent. Cette thèse du marxisme est extrêmement importante car elle établit que l’oppression attachée à la condition féminine a pour origine la formation, l’apparition et le développement du droit de propriété sur les moyens de production, et donc que son émancipation est liée à la destruction dudit droit. Il est indispensable, pour avoir une compréhension marxiste de la question féminine, de partir de cette grande thèse, et plus que jamais aujourd’hui, alors que les soi-disant révolutionnaires et même les marxistes autoproclamés prétendent que l’oppression féminine ne découle pas de la formation et de l’apparition de la propriété privée mais de la simple division du travail en fonction du sexe, qui avait attribué aux femmes des tâches moins importantes que celles des hommes, la réduisant à la sphère du foyer. Cette proposition, malgré toute la propagande et les efforts pour la présenter comme révolutionnaire, n’est que la substitution de la position marxiste sur l’émancipation des femmes contre des propositions bourgeoises qui ne sont, par essence, que des variations de la supposée « nature féminine » immuable.

   Développant ce point de départ dialectique matérialiste, Engels enseigne comment, sur cette base, la famille monogame a été instituée, à propos de laquelle il dit : « C’était la première forme de famille qui ne se fondait pas sur des conditions naturelles mais sur des conditions économiques, et concrètement sur le triomphe de la propriété privée sur la propriété commune primitive d’origine spontanée ». Et : « Par conséquent, la monogamie n’apparaît nullement dans l’histoire comme une réconciliation entre l’homme et la femme, et encore moins comme une forme supérieure de mariage. Bien au contraire, elle entre en scène sous la forme de l’asservissement d’un sexe par l’autre, comme la proclamation d’une guerre entre les sexes, jusqu’alors inconnue dans la préhistoire ».

   Après avoir établi que la propriété privée soutient la forme familiale monogame, qui sanctionne l’oppression des femmes, Engels établit la correspondance des trois formes fondamentales du mariage avec les trois grandes étapes de l’évolution humaine : la sauvagerie et le mariage par groupes ; la barbarie et le mariage par paires ; la civilisation et la monogamie, « avec ses compléments, l’adultère et la prostitution ». C’est ainsi que les classiques marxistes ont développé la thèse de la condition sociale historiquement variable de la femme et de sa place dans la société ; en soulignant comment la condition féminine est intimement liée à la propriété privée, à la famille et à l’État, qui est l’appareil qui légalise ces relations et les impose et les soutient par la force.

   Cette proposition scientifique systématisée par Engels est un produit de l’analyse marxiste de la condition féminine à travers l’histoire, et l’étude la plus élémentaire corrobore pleinement l’exactitude et l’actualité de ces propositions, qui sont le fondement et le point de départ de la classe ouvrière pour la compréhension de la question féminine. Faisons un récit historique permettant d’illustrer ce qu’Engels et les classiques énoncent.

   Dans la communauté primitive, avec une division naturelle du travail basée sur l’âge et le sexe, les hommes et les femmes ont développé leur vie sur une égalité spontanée et la participation des femmes aux décisions du groupe social ; plus tard, les femmes ont été entourées de respect et de considération, un traitement déférent et même privilégié. Une fois que la richesse a commencé à croître, ce qui a renforcé la position de l’homme dans la famille, poussant à la substitution du droit du père au droit de la mère, les femmes ont commencé à passer à l’arrière-plan et leur position s’est détériorée ; des échos de cette évolution atteignent l’époque du grand tragique grec Eschillus, qui dans son ouvrage Eumenida, a écrit « Ce n’est pas la mère qui engendre ce qu’on appelle son fils ; elle n’est que la nourrice de l’embryon déposé dans son ventre. C’est le père qui engendre. La femme reçoit la semence comme un dépôt étranger, et elle la conserve s’il plaît aux dieux ».

   Ainsi, dans la société esclavagiste grecque, la condition de la femme est celle de la soumission, de l’infériorité sociale et de l’objet de mépris. On dit d’elles : « L’esclave n’a absolument pas la liberté de délibérer ; la femme l’a mais de manière faible et inefficace » (Aristote) ; « La meilleure femme est celle dont les hommes parlent le moins » (Périclès) ; et la réponse du mari qui enquête sur les affaires publiques « Ce n’est pas ton affaire. Tais-toi avant que je te frappe … Continue à tisser. » (Aristophane, Lysistrate) Quelle est la réalité de ces mots ? En Grèce, les femmes étaient maintenues comme des mineures perpétuelles ; sous le pouvoir de leur tuteur, qu’il s’agisse du père, du mari, de l’héritier du mari ou de l’État, leur vie passait sous une tutelle constante. Elles recevaient une dot de mariage pour avoir de quoi vivre et ne pas avoir faim, et dans certains cas elles étaient autorisées à divorcer ; pour le reste, elles étaient réduites à un misogynisme au foyer et dans la société sous le contrôle d’autorités spécialisées. Les femmes peuvent hériter lorsqu’il n’y a pas d’héritier masculin direct, auquel cas elles doivent épouser le parent le plus âgé de la famille paternelle ; ainsi, elles n’héritent pas directement mais sont simplement des transmetteurs d’héritage, tout cela pour préserver la propriété familiale.

   La condition de la femme à Rome, également une société d’esclaves, permet de mieux la comprendre comme dérivée de la propriété, de la famille et de l’État. Après le règne de Tarquinius et une fois le droit patriarcal établi, la propriété privée et donc la famille (la gens), deviennent la base de la société : les femmes resteront soumises au patrimoine et à la famille. Elle est exclue de tout « travail viril » et, dans les affaires publiques, elle est « mineure civile » ; on ne lui refuse pas directement l’héritage, mais elle est soumise à la tutelle. Sur ce point, a déclaré Gaius, le juriste romain : « La tutelle a été établie dans l’intérêt des tuteurs eux-mêmes, de sorte que la femme dont ils sont supposés être les héritiers ne puisse leur arracher leur héritage par testament, ni l’appauvrir par aliénation ou par des dettes ». La racine patrimoniale de la tutelle imposée aux femmes a donc été clairement exposée et établie.

   Après les Douze Tables, l’appartenance des femmes aux parents paternels et aux parents conjugaux (également pour de strictes raisons de sauvegarde de la propriété) a généré des conflits qui ont été à la base de l’avancement de l' »émancipation juridique » romaine. Le mariage sine manu apparaît : ses biens restent dépendants de ses tuteurs et son mari n’acquiert des droits que sur sa personne, et à cela s’ajoute le « pater familias », qui conserve une autorité absolue sur sa fille. Et le tribunal domestique apparaît, pour résoudre les divergences qui peuvent survenir entre le père et le mari ; ainsi la femme peut faire appel à son père pour les désaccords avec son mari, et vice versa : ce n’est plus l’affaire de l’individu.

   Sur cette base économique (sa participation à l’héritage même si elle est encadrée), et le conflit entre les droits des parents paternels et conjugaux pour la femme et ses biens, se développe une importante participation des femmes romaines dans leur société, malgré les restrictions légales : on crée l' »atrium », le centre de la maison, qui régit le travail des esclaves, assure l’éducation des enfants et les influence jusqu’à un âge assez avancé. Elle partage les travaux et les problèmes de son conjoint et est considérée comme copropriétaire de ses biens. Elle assiste aux fêtes et dans la rue, elle bénéficie d’un passage préférentiel, même de la part des consuls et des magistrats. Le poids des femmes romaines dans leur société est reflété par la figure de Cornelia, mère des Gracchi.

   Avec le développement social romain, l’État déplace la contestation entre les parents et prend en charge les litiges concernant les femmes, le divorce, l’adultère, etc, qui allaient être entendus dans les tribunaux publics, abolissant le tribunal domestique. Plus tard, sous la domination impériale, la tutelle sur les femmes sera abolie, répondant ainsi aux exigences sociales et économiques. La femme reçoit une dot fixe (patrimoine individuel) qui ne revient pas aux agnats (parents) ni n’appartient au mari ; elle reçoit ainsi une base économique pour son indépendance et son développement. À la fin de la République, les mères ont obtenu des droits reconnus sur leurs enfants, en recevant la garde de ceux-ci en raison de la mauvaise conduite du père ou de son placement sous tutelle.

   Sous l’empereur Marc-Aurèle, en 178, un grand pas est franchi dans le processus de propriété et de famille : les enfants sont déclarés héritiers de leur mère de préférence aux agnats ; ainsi la famille est fondée sur un lien de consanguinité et la mère apparaît comme égale au père devant les enfants. Les enfants sont également reconnus comme enfants de la femme et, de ce fait, la fille hérite au même titre que ses frères.

   Mais si l’État « émancipe » les femmes de la famille, il les soumet à sa tutelle et restreint leurs actes. Et simultanément à l’ascension sociale des femmes, une campagne anti-féministe a été lancée à Rome, invoquant leur infériorité et leur « imbécillité et fragilité du sexe » pour les réduire légalement.

   À Rome, les femmes avaient alors une meilleure position sociale qu’en Grèce et ont acquis un respect et même une grande influence dans la vie sociale, comme le montrent les paroles de Caton : « Partout, les hommes gouvernent les femmes, et nous, qui gouvernons tous les hommes, nous sommes gouvernés par nos femmes ». L’histoire romaine a exalté les femmes de manière exceptionnelle, des Sabines à Cornelia en passant par Lucrèce et la Virginie. Les critiques à l’égard des femmes, non pas en tant que femmes mais en tant que contemporaines, se sont développées à la fin des premier et deuxième siècles de notre ère ; c’est ainsi que Juvénus leur reproche : la lascivité, la gourmandise, de se consacrer à des occupations viriles et leur passion pour la chasse et le sport.

   La société romaine reconnaissait certains droits aux femmes, en particulier le droit à la propriété, mais ne leur ouvrait pas les activités civiles et encore moins les affaires publiques, activités qu’elles développaient « illégalement » et de façon restreinte ; c’est pourquoi les matrones romaines (« ayant perdu leurs anciennes vertus ») avaient tendance à chercher d’autres domaines dans lesquels employer leurs énergies.

   Dans le déclin de l’esclavage et le développement du féodalisme, pour avoir une vue d’ensemble de la situation féminine, il faut garder à l’esprit l’influence du christianisme et de la contribution germanique. Le christianisme a beaucoup contribué à l’oppression des femmes ; parmi les pères de l’église, il y a une nette dévalorisation des femmes, qu’ils considèrent comme inférieures, servantes des hommes et sources de mal. À ce qui a été dit, ajoutons la condamnation de Saint Jean Chrysostome, un saint de l’Église catholique : « Aucune bête sauvage n’est aussi nuisible que la femme. » Sous cette influence, les progrès réalisés dans le cadre de la législation romaine sont d’abord atténués, puis révoqués.

   Les sociétés germaniques basées sur la guerre donnaient aux femmes une situation secondaire en raison de leur force physique réduite ; cependant, elles étaient respectées et avaient des droits qui les rendaient associées à leur époux. Rappelons qu’à ce sujet, Tacite a écrit : « en temps de paix comme en temps de guerre, elle partage sa chance ; elle vit et meurt avec lui ».

   Le christianisme et le germanisme ont influencé la condition des femmes sous le féodalisme. Les femmes étaient dans une situation de dépendance absolue par rapport au père et au mari ; à l’époque du roi Clovis, « le mundium (puissance de protection que certains individus exercent sur d’autres) pèse sur elle pendant toute sa vie ». La femme développe une vie entièrement soumise au seigneur féodal, bien que protégée par les lois « comme propriété de l’homme et mère des enfants » ; sa valeur augmente avec la fécondité, valant le triple de celle d’un homme libre, valeur qu’elle perd lorsqu’elle ne peut plus porter de descendance : la femme est un ventre reproducteur.

   Comme à Rome, on assiste à une évolution de la condition de la femme, en fonction de la réduction des pouvoirs féodaux et de l’augmentation des pouvoirs royaux : le mundium est transféré des seigneurs au roi ; il devient un fardeau pour le tuteur, mais la soumission par la tutelle est maintenue.

   À l’époque convulsive de la formation du féodalisme, la condition des femmes était incertaine ; les droits à la souveraineté et à la propriété, publique et privée, n’étant pas bien spécifiés, la condition des femmes se modifiait et s’aggravait ou s’abaissait selon les contingences sociales.

   D’abord, on leur a refusé des droits privés, car les femmes n’avaient pas de droits publics. Jusqu’au XIe siècle, la force et les armes imposent l’ordre et entretiennent directement la propriété : pour les juristes, un fief « est une terre possédée avec charge de service militaire » et les femmes ne pouvaient pas avoir de droit féodal puisqu’elles ne pouvaient pas le défendre par les armes ni faire leur service militaire. Lorsque les fiefs se transforment en patrimoine et sont transmissibles par héritage (selon les normes germaniques, les femmes pouvaient également hériter), la succession féminine est admise ; mais cela n’améliore pas leur condition : la femme n’est qu’un instrument par lequel la domination est transférée, comme en Grèce.

   La propriété féodale n’est pas familiale comme à Rome, mais du souverain, du seigneur, et les femmes aussi appartiennent au seigneur ; c’est lui qui choisit son mari. Comme il a été écrit, « une héritière est une terre et un château : les prétendants se disputent ce prix, et souvent la jeune femme n’a que 12 ans, ou moins, lorsque son père ou son seigneur la donne comme prix à un baron ». La femme a besoin d’un seigneur qui la « protège » elle et ses droits ; ainsi une duchesse de Bourgogne proclama au roi : « Mon mari vient de mourir, mais à quoi sert le deuil ? Trouvez-moi un mari puissant, car j’ai besoin de lui pour défendre mes terres ». Sous cette forme, son époux avait un grand pouvoir marital sur la femme, qu’il traitait sans considération, la maltraitait, la battait, etc, et dont la seule obligation était de la « punir raisonnablement », comme certains codes l’exigent aujourd’hui pour corriger les enfants.

   La conception guerrière qui prévaut fait que le chevalier médiéval s’intéresse davantage à ses chevaux qu’à sa femme, et les seigneurs prêchent : « damné soit le chevalier qui demande conseil à une femme quand il doit participer à un tournoi ». Alors que les femmes étaient commandées : « Entrez dans vos appartements, peints et dorés ; asseyez-vous à l’ombre, buvez, mangez, tissez, teignez la soie, mais ne vous occupez pas de nos affaires. Nos affaires consistent à nous battre avec l’épée et l’acier. Silence ! » C’est ainsi que le monde médiéval des seigneurs a rabaissé et rejeté leurs femmes.

   Le XIIIe siècle voit se développer un mouvement de femmes littéraires, qui voyage du sud au nord et accroît leur prestige, celui-là même qui est lié à la chevalerie, à l’amour et à l’intense marianisme de cette époque. Il ne l’a pas modifié profondément, comme le dit S. de Beauvoir dans Le deuxième sexe, un livre dans lequel on trouve de nombreuses informations sur l’histoire des femmes ; des données utiles, bien sûr, à part les concepts existentialistes de son auteur, puisque ce ne sont pas les idées qui changent fondamentalement la condition des femmes, mais la base économique qui la soutient. Lorsque le fief passe d’un droit basé sur le service militaire à une obligation économique, on constate une amélioration de la condition des femmes, puisqu’elles sont parfaitement capables de remplir une obligation monétaire ; ainsi le droit seigneurial de se marier avec ses vassaux est supprimé et la tutelle sur les femmes s’éteinte.

   Ainsi, qu’elle soit célibataire ou veuve, la femme a les mêmes droits que l’homme ; en possédant un fief, elle le gouverne et remplit ses devoirs administratifs et même commande sa défense, en participant aux batailles. Mais la société féodale, comme toutes celles fondées sur l’exploitation, exige la soumission des femmes dans le mariage, et le pouvoir conjugal survit : « le mari est le tuteur de la femme », est prêché ; ou comme le disait Beauvoir : « Dès que le mariage a été consommé, les biens de l’un et de l’autre sont communs en vertu du mariage », justifiant ainsi la tutelle conjugale.

   Dans la société féodale, comme dans d’autres sociétés dirigées par des exploiteurs, l’esclavage ou le capitalisme, ce qui a été décrit sur la condition des femmes a gouverné et gouverne ; mais nous devons souligner que ce n’est que dans la condition des femmes pauvres que nous pouvons voir une condition différente et plus douce face au pouvoir conjugal ; la racine de cette situation doit être vue dans la participation économique des femmes des classes populaires et dans l’absence de grandes richesses.

   Le développement du capitalisme mène le féodalisme à sa décomposition, une situation qui imprime ses marques sur la condition des femmes, comme nous l’avons déjà vu. Il suffit de souligner qu’au début et dans le développement des bourgs, les femmes participaient à l’élection des députés aux États généraux ; ce qui montre la participation politique féminine, ainsi que l’existence de droits sur les biens familiaux, puisque le mari ne pouvait pas aliéner les biens immobiliers sans le consentement de la femme. Cependant, la législation absolutiste va bientôt entraver ces normes pour lutter contre la diffusion du mauvais exemple bourgeois.

   Cet exposé historique illustre la thèse d’Engels et des classiques marxistes sur les racines sociales de la condition féminine et son rapport à la propriété, à la famille et à l’État, il nous aide à en comprendre la certitude et à voir plus clairement son actualité. Tout cela nous amène à une conclusion, la nécessité d’adhérer fermement aux positions de la classe ouvrière et de les appliquer pour comprendre la question féminine, participer à sa solution, et rejeter, constamment et résolument, les distorsions des thèses marxistes sur le sujet et les développements dits supérieurs qui ne sont que des tentatives de substituer les idées bourgeoises aux concepts prolétariens sur ce front, pour désorienter le mouvement des femmes en marche.

   Après avoir exposé la condition sociale des femmes et les grandes lignes historiques de son évolution liée à la propriété, à la famille et à l’État, il reste à traiter la question de l’ÉMANCIPATION DES FEMMES dans une perspective marxiste.

   Le marxisme soutient fondamentalement que le développement des machines incorpore les femmes, ainsi que les enfants, dans le processus de production, multipliant ainsi le nombre de mains à exploiter, détruisant la famille de la classe ouvrière, dégénérant physiquement les femmes et les plongeant matériellement et moralement dans les misères de l’exploitation.

   Analysant les femmes et les enfants au travail, Karl Marx a écrit : « Dans la mesure où les machines dispensent de la force musculaire, elles deviennent un moyen d’employer des travailleurs de faible force musculaire, et ceux dont le développement corporel est incomplet, mais dont les membres sont d’autant plus souples. Le travail des femmes et des enfants a donc été le premier cri de l’application capitaliste de la machinerie. Ce puissant substitut du travail et des ouvriers fut aussitôt transformé en un moyen d’augmenter le nombre d’ouvriers salariés en inscrivant, sous l’emprise directe du capital, chaque membre de la famille de la femme, sans distinction d’âge ou de sexe. Le travail obligatoire pour le capitaliste a usurpé la place, non seulement du jeu des enfants, mais aussi du travail gratuit à la maison dans des limites modérées pour le soutien de la famille ».

   « La valeur de la force de travail était déterminée non seulement par le temps de travail nécessaire pour entretenir l’individu adulte travailleur, mais aussi par celui nécessaire pour entretenir sa famille. Les machines, en jetant chaque membre de cette famille sur le marché du travail, répartissent la valeur de la force de travail de l’homme sur toute sa famille. Elle déprécie donc sa force de travail […] Nous voyons donc que la machinerie, tout en augmentant le matériel humain qui constitue l’objet principal de la puissance d’exploitation du capital, augmente en même temps le degré d’exploitation ».

   « En ouvrant les portes des usines aux femmes et aux enfants, en les faisant affluer en grand nombre dans les rangs de la classe ouvrière, la machinerie finit par briser la résistance de l’ouvrier masculin à cela, malgré le despotisme du capital dans la fabrication ». (Le Capital, Volume I, pp. 394-395.).

   Poursuivant son analyse magistrale, Marx lui-même nous décrit comment le capitalisme utilise même les vertus et les obligations des femmes à son avantage : « Monsieur E., fabricant, m’a raconté comment dans ses usines textiles il employait exclusivement des femmes, de préférence mariées, et surtout celles qui avaient à la maison une famille vivant de ou dépendant de son salaire, car celles-ci étaient beaucoup plus actives et zélées que les femmes célibataires ; de plus, la nécessité de procurer la subsistance à leurs familles les obligeait à travailler plus dur. Ainsi, les vertus qui caractérisent les femmes se retournent contre elles : toute la pureté et la douceur de leur caractère sont transformées en instruments de torture et d’esclavage ». (Note 57 du volume cité ci-dessus et édition du Capital, p. 331).

   Mais tout comme l’incorporation des femmes dans le capitalisme de production a accru l’exploitation, elle fournit simultanément avec ce processus la base matérielle pour que les femmes puissent lutter et revendiquer leurs droits, et c’est un point de départ pour la lutte pour leur émancipation ; car comme l’enseignait Engels dans L’Origine de la famille […] : « La libération des femmes exige comme première condition la réincorporation de tout le sexe féminin dans l’industrie sociale, ce qui à son tour exige que la famille individuelle ne soit plus l’unité économique de la société ». Et il est évident que le capitalisme, avec ses propres intérêts futurs, pose les bases de l’émancipation future des femmes, tout en créant la classe qui le détruira au fur et à mesure de son développement : le prolétariat.

   D’autre part, leur participation économique et le développement de la lutte des classes font avancer la POLITISATION DES FEMMES. Nous avons déjà souligné comment la Révolution française a fait avancer le développement politique et organisationnel des femmes et comment, en les unissant, en les mobilisant et en les forçant à lutter, elle a jeté les bases du mouvement féministe ; nous avons également vu comment les revendications féministes ont été atteintes par la montée de la révolution, et comment leurs droits ont été abolis et leurs conquêtes balayées lorsque le processus révolutionnaire a été entravé et rejeté. Cependant, avec tous les aspects positifs que l’incorporation des femmes dans la Révolution française a eus, la politisation des femmes qui en a résulté n’était qu’élémentaire, restreinte et très faible par rapport à l’avancée majeure que représentait la politisation des femmes par les classes ouvrières. Qu’implique cette politisation ? Lorsque le capitalisme intègre massivement les femmes dans le processus économique, il les arrache à l’intérieur du foyer, pour les attirer principalement vers l’exploitation industrielle, en faisant d’elles des travailleuses industrielles ; de cette façon, les femmes se forgent et se développent en tant que partie intégrante de la classe la plus avancée et la plus tardive de l’histoire ; les femmes initient leur processus radical de politisation par leur incorporation dans la lutte syndicale des travailleurs (le grand changement qu’implique cette politisation s’observe concrètement dans notre pays par la transformation constatée chez les femmes ouvrières, paysannes et enseignantes du Pérou, au milieu de la lutte syndicale). Une femme arrive à des formes d’organisation plus avancées, qui continuent à la construire et à la façonner idéologiquement pour les concepts prolétariens, et finalement elle arrive à des formes supérieures de lutte et d’organisation politique en s’incorporant, par le biais de ses meilleurs représentants, dans les rangs du Parti de la classe ouvrière, pour servir le peuple sous toutes les formes et sur tous les fronts de la lutte organisée et dirigée par la classe ouvrière à travers son avant-garde politique. Ce processus de politisation que seul le prolétariat est capable de produire et le nouveau type de femmes combattantes qu’il génère s’est matérialisé dans les nombreuses et glorieuses femmes combattantes dont les noms sont inscrits dans l’histoire : Louise Michel, N. Krupskaya, Rosa Luxemburg, Liu Ju-lan et d’autres dont le peuple et le prolétariat gardent la mémoire.

   Pour le marxisme d’hier comme d’aujourd’hui, la politisation de la femme est la question clé de son émancipation, et les classiques y ont consacré une attention particulière. Marx a enseigné : « Quiconque connaît un peu d’histoire sait que les grands changements sociaux sont impossibles sans le ferment féministe. Le progrès social peut être mesuré exactement par la position sociale du sexe faible ». (Lettre à Kugelmann, 1888.) Et pour Lénine, la participation des femmes était encore plus urgente et plus importante pour la révolution : « L’expérience de tous les mouvements de libération confirme que le succès de la révolution dépend du degré de participation des femmes ».

   Ainsi, le développement de la lutte de classe et son acuité toujours plus grande, dans les conditions sociales spécifiques de la lutte révolutionnaire dans les conditions de l’impérialisme, met en avant et exige de façon plus décisive la politisation des femmes ; c’est pourquoi Lénine lui-même, au milieu de la première guerre mondiale et prévoyant les futures batailles de la classe ouvrière qui exigeaient une préparation, a appelé à lutter pour : « 17. L’abolition de toutes les limitations sans exception aux droits politiques des femmes par rapport aux hommes. Expliquer aux masses l’urgence particulière de cette transformation dans les moments où la guerre et la pénurie inquiètent les masses populaires et éveillent l’intérêt et l’attention pour la politique, en particulier chez les femmes ». Et il a proposé, « il est nécessaire que nous développions pleinement un travail systématique parmi ces masses féminines. Nous devons éduquer les femmes que nous avons réussi à arracher à la passivité, nous devons les recruter et les armer pour la lutte, non seulement les femmes prolétariennes qui travaillent dans les usines ou qui peinent à la maison, mais aussi les paysannes, les femmes des différentes couches de la petite-bourgeoisie. Elles aussi sont victimes du capitalisme ». Avec ces mots, Lénine a exigé la politisation des femmes, la lutte pour la revendication de leurs droits politiques, la nécessité d’expliquer aux masses l’urgence d’incorporer politiquement les femmes, la nécessité de travailler avec elles, de les éduquer, de les organiser et de les préparer à toutes les formes de lutte ; enfin, il a insisté sur l’orientation vers les femmes travailleuses ; mais sans oublier l’importance des femmes paysannes et en se rappelant les différentes classes ou couches de femmes exploitées, car toutes peuvent et doivent être mobilisées pour la lutte du peuple.

   De ce qui précède, nous voyons comment la politisation des femmes a été proposée par le marxisme dès ses débuts, en considérant les luttes des femmes comme étant solidaires des luttes de la classe ouvrière ; c’est pourquoi Bebel a dit au siècle dernier que « la femme et l’ouvrier ont en commun leur condition d’opprimé », et pourquoi le Congrès socialiste de 1879 a proclamé l’égalité des sexes et la nécessité de lutter pour elle, en réitérant la solidarité des femmes féministes révolutionnaires et de la lutte de la classe ouvrière. Ou comme le proclame aujourd’hui la Chine, à la suite de la thèse de Mao Tse-tung : « L’émancipation des femmes fait partie intégrante de la libération du prolétariat ». (Beijing Information, n° 10, 1972.)

   Cela nous amène à nous demander COMMENT RÉALISER L’ÉMANCIPATION DES FEMMES ? En enquêtant sur la société capitaliste et les sociétés en général où règnent l’exploitation et l’oppression, Engels a vérifié que la misère, l’inégalité et la soumission existent chez les hommes, et en mettant l’accent sur la question des femmes, il a souligné que « la situation en matière d’égalité des hommes et des femmes n’est pas meilleure que leur inégalité juridique, que nous avons héritée de conditions sociales antérieures, n’est pas la cause mais l’effet de l’oppression économique des femmes ». Et de poursuivre : « Les femmes ne peuvent être émancipées que si elles assument un rôle important, socialement mesurable, dans la production et ne sont liées que de manière insignifiante par le travail domestique. Et cela n’a été possible qu’avec l’industrie moderne, qui non seulement admet le travail féminin à grande échelle mais l’exige fatalement ».

   Cette affirmation d’Engels, sortie de son contexte et sans rapport avec les semblables de L’Origine […] aide certaines personnes, pseudo-marxistes et déformateurs du marxisme, à élargir ses idées, pour prétendre que la simple participation des femmes au processus économique est suffisante pour leur émancipation. Engels propose que l’incorporation des femmes dans la production soit une condition, qu’elle soit une base sur laquelle les femmes agissent en faveur de leur émancipation, et que cela exige de mettre fin socialement au travail domestique qui absorbe et annihile les femmes, ce qui implique pour Engels la destruction de la propriété privée des moyens de production et le développement d’une production à grande échelle basée sur la propriété sociale des moyens de production. Nous répétons qu’il est bon d’être très clair sur cette thèse d’Engels, car aujourd’hui, certains tentent de se cacher dans ce classique pour déformer la position marxiste sur la question des femmes et prêcher, au nom des classes exploiteuses, la participation pure et simple des femmes au processus économique, en cachant la racine de l’oppression des femmes qui est la propriété privée et en contournant la production sociale à grande échelle basée sur la destruction de la propriété privée des moyens de production.

   Prévoyant cette distorsion, comme dans d’autres cas, les classiques du marxisme ont analysé le problème de savoir si l’incorporation des femmes au processus de production, que le capitalisme a commencé, était capable de rendre les hommes et les femmes réellement égaux. La réponse, concise et puissante, a été donnée une fois de plus par Mao Tse-tung dans les années 1950 : « LA VÉRITABLE ÉGALITÉ ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES NE PEUT ÊTRE RÉALISÉE QUE DANS LE CADRE DU PROCESSUS DE TRANSFORMATION SOCIALISTE DE L’ENSEMBLE DE LA SOCIÉTÉ ».

   Lénine a fait des recherches sur la situation des femmes dans la société bourgeoise et l’a comparée à ce qu’elle était sous la dictature du prolétariat ; une analyse qui l’a amené à établir : « Depuis des temps lointains, les représentants de tous les mouvements de libération en Europe occidentale, non pas pendant des décennies, mais pendant des siècles, ont proposé l’abolition de ces lois archaïques et ont exigé l’égalité juridique des femmes et des hommes, mais aucun État européen démocratique, pas même les républiques les plus avancées, n’y sont parvenus, car partout où existe le capitalisme, là où se maintient la propriété privée des usines, là où se maintient le pouvoir du capital, les hommes continuent à jouir de privilèges ».

   « Dès les premiers mois de son existence, le pouvoir soviétique, en tant que pouvoir des travailleurs et des travailleuses, a réalisé le changement législatif le plus décisif et le plus radical en ce qui concerne les femmes. Dans la République soviétique, tout ce qui maintenait les femmes dans une position de dépendence a été changé. Je me réfère précisément à ces lois qui ont utilisé la situation de dépendance des femmes d’une manière particulière, la rendant victime de l’inégalité des droits et souvent même d’humiliations, c’est-à-dire les lois sur le divorce, sur les enfants naturels et sur le droit des femmes à poursuivre le père en justice pour subvenir aux besoins de l’enfant ». (Tâches des femmes travailleuses dans la République soviétique).

   De cette analyse comparative, on déduit que seule la révolution qui place la classe ouvrière au pouvoir en alliance avec la paysannerie est capable de sanctionner la véritable égalité juridique judiciaire entre les hommes et les femmes, et plus encore, de la faire respecter. Cependant, comme Lénine l’a enseigné lui-même, cette véritable égalité juridique initiée par la révolution n’est que le début d’une longue lutte pour la pleine et entière égalité dans la vie des hommes et des femmes : « Cependant, plus nous nous débarrassons du fardeau des vieilles lois et institutions bourgeoises, plus nous voyons clairement que nous avons à peine dégagé le terrain pour la construction, et pourtant la construction elle-même n’a pas commencé. ».

   « La femme continue d’être une esclave du foyer, malgré toutes les lois libératrices, parce qu’elle est surchargée, opprimée, stupéfaite, humiliée par les tâches domestiques subalternes, qui font d’elle une cuisinière et une infirmière, qui gaspillent son activité dans un travail absurdement improductif, subalterne, irritant, stupéfiant et fastidieux. La phrase « l’émancipation des femmes ne commencera réellement dans le pays qu’au moment où la lutte de masse commencera (menée par le prolétariat qui détient déjà le pouvoir de l’État) contre cette économie domestique mesquine, ou plus précisément, lorsque leur transformation de masse commencera dans une économie socialiste à grande échelle ». (La Grande Initiative, Lénine).

   Ainsi Lénine et Mao Tse-tung répondaient aux distorsions opportunistes et aux pseudo-développements du marxisme anticipés qui tentent aujourd’hui de déformer les thèses d’Engels et de confondre la position de la classe ouvrière sur la question féminine.

   Le marxisme conçoit la lutte pour l’émancipation des femmes comme une lutte prolongée mais victorieuse : « C’est une lutte prolongée, qui exige une transformation radicale de la technique sociale et des coutumes. Mais cette lutte s’achèvera avec la pleine victoire du communisme ». (Lénine, à l’occasion de la Journée internationale de la femme travailleuse).

   Ce qui précède, en substance, montre qu’il existe une identité de lutte entre le mouvement féministe révolutionnaire et la lutte de la classe ouvrière pour la construction d’une nouvelle société ; et, en outre, il aide à comprendre le sens des paroles de Lénine appelant les femmes travailleuses à développer les institutions et les moyens que la révolution a mis à leur disposition : « Nous disons que l’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes et que, de même, l’émancipation des femmes travailleuses doit être l’œuvre des femmes travailleuses elles-mêmes ». (Les tâches du prolétariat dans notre révolution, Lénine).

   Ce sont les thèses centrales du marxisme sur l’émancipation, la politisation et la condition des femmes ; des positions que nous préférons transcrire pour la plupart par des citations des classiques, parce que ces positions ne sont pas suffisamment connues, et d’ailleurs parce qu’elles ont été magistralement et succinctement exprimées par les auteurs eux-mêmes, ce qui nous décharge de la tâche de prétendre leur donner une nouvelle rédaction, d’autant plus après avoir vu leur pleine et entière actualité. D’autre part, les déformations des positions marxistes tentées aujourd’hui sur la question féminine exigent également la diffusion des paroles des classiques eux-mêmes.

   Enfin, il est indispensable, même si ce n’est qu’en passant, de noter que Marx, Engels, Lénine et Mao Tse-tung exposent la thèse de l’émancipation des femmes et non celle de la libération des femmes, comme on peut l’apprécier à partir des citations citées. Sur ce point, il suffit de dire que l’analyse de la condition de la femme à travers l’histoire la montre comme soumise à la tutelle et en situation de soumission par rapport à l’homme, ce qui fait de la femme un être qui, tout en appartenant à la même classe que son mari ou que l’homme avec lequel elle a une relation, se trouve en situation d’infériorité par rapport à lui, infériorité que les lois bénissent, sanctifient et imposent. En accord avec cette situation de sous-évaluation tout au long de l’histoire, nous voyons la nécessité de réclamer ses droits pour atteindre une égalité formelle avec l’homme sous le capitalisme, et comment seule la lutte révolutionnaire sous la direction du prolétariat est capable de mettre en place et de réaliser une véritable égalité juridique des hommes et des femmes, bien que, comme nous l’avons vu, une abondante égalité dans la vie, comme l’a dit Lénine, se développera au fur et à mesure du développement de la production socialiste à grande échelle. Ces simples observations montrent la certitude de la thèse de l’émancipation des femmes conçue dans le cadre de la libération du prolétariat. Alors que la thèse de la libération des femmes apparaît historiquement comme une thèse bourgeoise, au fond de laquelle se cache le contrepoids des hommes et des femmes dû au sexe et le camouflage de la racine de l’oppression des femmes ; aujourd’hui, nous voyons comment la libération des femmes est exposée chaque jour davantage comme un féminisme bourgeois, qui vise à diviser le mouvement populaire en séparant les masses féminines de celui-ci et qui cherche principalement à s’opposer au développement du mouvement des femmes sous la direction et le guide de la classe ouvrière.

II. MARIATEGUI ET LA QUESTION DES FEMMES

   Il y a 50 ans, Mariátegui, avec sa clairvoyance historique, a perçu l’importance de la question féminine dans le pays et sa perspective (« Les premiers frémissements féministes sont latents au Pérou […] ») ; il a consacré deux de ses ouvrages à cette question, Femme et politique et Revendications féministes, en plus de nombreuses autres contributions que l’on retrouve dans ses écrits. Il est indispensable de remonter à cette source, car c’est là que se trouve la position de la classe ouvrière péruvienne sur la question de la femme, et plus encore, parce que ce problème est un aspect peu connu et peu étudié de l’œuvre de Mariátegui.

   José Carlos Mariátegui nous a appris : « À notre époque, on ne peut pas étudier la vie en société sans en rechercher et en analyser les causes : l’organisation de la famille, la condition de la femme » et faire des recherches sur le mouvement féministe péruvien naissant, a-t-il dit : « Les hommes qui sont sensibles aux grandes émotions de notre temps ne peuvent et ne doivent pas se sentir déplacés ou indifférents à ce mouvement. La question de la femme fait partie de la question humaine ».

   Gardons donc à l’esprit que dès le début de son émergence politique, la classe ouvrière de ce pays a prêté attention à la situation des femmes, en établissant via leurs grandes représentations leur position par rapport aux femmes, ainsi qu’en offrant un soutien combatif aux luttes féministes, comme le montre la solidarité des ouvriers du textile et des chauffeurs avec les ouvrières de la société A. Field Co. En 1926.

   Quelle est l’évolution féministe qui a attiré l’attention avec tant de justesse ? La condition des femmes dans le pays a connu un changement notable surtout au cours de ce siècle et plus particulièrement après les deux guerres mondiales. Si la condition des paysannes a évolué plus lentement, celle de leurs sœurs devenues ouvrières et travailleuses libérales a connu des changements plus rapides et plus profonds. Il est évident que la présence des femmes dans notre société a permis de conquérir des positions de plus en plus larges

   Au siècle dernier, l’action et l’œuvre littéraire de Clorinda Matto de Turner, Mercedes Cabello de Carbonera et Margarita Praxedes Muñoz, ont mis en évidence la présence féminine sur un fond de millions de paysannes, d’ouvrières et d’autres femmes qui, tout en restant anonymes, ont été soumises à une dure répression sociale de leurs racines féodales. La femme péruvienne du XIXe siècle n’avait qu’un accès minimal à l’éducation, et lorsqu’elle était autorisée à suivre des études secondaires, les normes éducatives suivies établissaient pour elle un programme édulcoré comparable à celui de la dernière année du primaire pour les garçons, plus certains des cours du secondaire que ceux-ci suivaient. L’abandon de la scolarisation féminine est clairement démontré par le fait que, s’il existait des institutions privées qui tendaient ou préparaient les étudiants à entrer à l’université, ce n’est qu’en 1928 que l’École nationale des femmes de Lima a ouvert ses portes à Lima ; jusqu’alors, il n’existait aucune école de ce type dans la capitale. Il est bon de remarquer qu’à la fin du siècle dernier, certaines éducatrices se sont préoccupées de l’éducation des femmes, en proposant son amélioration : il faut pour elles dépasser le concept erroné de « les éduquer uniquement pour le mariage, ce qui conduit à penser que tel est leur seul but dans la vie », que leur éducation ne doit pas être entre les mains de religieuses qui, ayant abandonné le monde, ne sont pas en mesure de former de bonnes femmes, et qu’il faut mettre fin à l’idée fausse selon laquelle la femme célibataire ou mariée qui travaille en dehors du foyer dégénère socialement ; en même temps, elles demandent et créent de nouveaux centres éducatifs. Teresa Gonzalez de Fanning a été remarquable à cet égard.

   De même, l’enseignement supérieur leur est fermé, leur présence à l’Université n’est remarquée que dans les années 1890, et ce n’est qu’en 1908 que les femmes sont autorisées à entrer et à demander un diplôme à l’Université, ainsi qu’à exercer les professions libérales. La dévalorisation des femmes et leur exclusion sociale sont donc clairement visibles dans l’éducation. Cependant, avec les transformations du XXe siècle, les femmes voient leurs possibilités de poursuivre des études et de travailler en tant que professionnelles augmenter, la plupart d’entre elles trouvant du travail en tant qu’enseignantes. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que l’on constate une diversification des carrières des femmes. Les diplômées universitaires, qui au début du siècle pouvaient être comptées avec les doigts de la main, atteignent presque les 30% des diplômés universitaires actuels du pays.

   Mais ce qui impliquerait réellement un changement profond, radical et de grande portée, c’est l’incorporation des femmes dans la production industrielle. La prolétarisation de la femme péruvienne a commencé ce siècle en même temps que l’introduction des machines et le développement du capitalisme bureaucratique. Nous voyons dans notre environnement avec ses conditions spécifiques, la situation décrite par Marx et que nous avons citée plus haut, avec l’incorporation productive des femmes en tant que travailleuses, le processus de politisation prolétarienne s’ouvre aux masses féminines du Pérou. La participation des femmes aux syndicats de travailleurs commence, les femmes se joignent à la lutte pour les salaires, la journée de huit heures et les conditions de travail ; elles participent aux luttes populaires avec d’autres travailleurs aux actions contre le coût élevé de la vie et l’augmentation des prix, ce qui développe leur compréhension idéologique, et enfin les femmes du pays au milieu du combat révolutionnaire, deviennent des militantes politiques de la classe ouvrière.

   Le processus de développement politique de la femme péruvienne, parallèlement à son incorporation dans le monde du travail, a apporté des gains significatifs à la lutte des classes du pays dans le premier tiers de ce siècle, parmi lesquels il faut souligner la lutte pour la journée de travail de huit heures des ouvriers agricoles de Huaral, Barranca, Pativilca et Huacho, au cours de laquelle cinq ouvrières ont offert leur vie en 1916, scellant par leur sang leur adhésion à leur classe. Elles ont participé à des actions capitales contre la hausse des prix et le coût élevé de la vie en mai 1919, actions au cours desquelles les ouvrières ont organisé un comité des femmes afin de canaliser leurs actions de soutien et ont convenu de « lancer un appel à toutes les femmes, sans distinction de classe, pour qu’elles coopèrent à leur action de défense des droits des femmes péruviennes » ; dans cette grande lutte, les femmes ont affronté les forces de police lors de leur réunion du 25 mai, au cours de laquelle, après avoir surmonté la répression policière sanglante, elles ont proclamé les conclusions suivantes :

   « Les femmes de Lima, des villes environnantes et les paysannes se sont réunies en grande assemblée publique le dimanche 25 mai 1919 au parc Neptune, et déclarent après avoir réfléchi :

   « Qu’il n’est pas possible de tolérer davantage la situation de misère à laquelle le coût élevé des biens de subsistance et des loyers résidentiels et de toutes les nécessités de la vie ont réduit la population ;

   « Que les femmes péruviennes, ainsi que les femmes de tous les pays civilisés, ont compris leur mission d’intervenir dans la résolution des problèmes économiques et sociaux qui les affectent ;

   « Ont accepté :

   « 1. faire leurs les conclusions de la réunion populaire de l’Alameda de los Descalzos du 4 mai

   « 2. au cas où ces conclusions ne seraient pas acceptées, de déclarer une grève générale des femmes dans toutes les branches de l’industrie, en laissant la date à la discrétion du Comité des hommes pour la diminution du coût de la vie » (Martinez de la Torre, Apuntes para una interpretación marxista de la historia social del Perú, Volume I, Lima, 1947. Nos italiques).

   Un autre chapitre de cette histoire de la lutte des femmes a été mené par Socorro Rojo contre la persécution, la répression, l’emprisonnement et la politique du sang déclenchée par la dictature de Sánchez Cerro pour défendre les droits et les libertés du peuple, en particulier du prolétariat.

   Dans les luttes mentionnées, outre la politisation des femmes, ou plus strictement, comme indice d’une perspective correcte, il faut souligner que dans celles-ci les masses féminines ont mené leurs actions intimement unies aux intérêts du peuple, qui sont les leurs, et en unité directe avec et en soutien des luttes de la classe ouvrière, qui est leur classe.

   En résumé, le chemin parcouru par les femmes péruviennes au cours de ce siècle et de la dernière partie du siècle dernier est marqué par leur incorporation généralisée dans la production et sous le capitalisme bureaucratique, poussé par l’impérialisme nord-américain, et par leur accès accru à l’éducation, en particulier à l’université. Ce sont les bases sur lesquelles vont éclore les premières impulsions féministes du pays, un phénomène que Mariátegui a décrit comme suit : « Le féminisme n’a pas fait son apparition au Pérou de façon artificielle ou arbitraire. Il est apparu à la suite des nouvelles formes de travail intellectuel et manuel des femmes. Les femmes qui ont de véritables affiliations féministes sont celles qui travaillent, celles qui étudient. L’idée féministe prospère parmi les femmes dans les emplois intellectuels et dans les emplois manuels : professeurs, étudiantes universitaires, ouvrières. Elle trouve un environnement propice à son développement dans les salles de classe des universités, qui attirent chaque jour davantage de femmes péruviennes ; et dans les syndicats de travailleurs, où les femmes des usines s’inscrivent et s’organisent avec les mêmes droits et les mêmes devoirs que les hommes. À côté de cela, nous avons le féminisme des dilettantes, un peu pédant et un peu banal. Pour les féministes de ce genre, le féminisme est un simple exercice littéraire, un simple sport à la mode » (Revendications féministes).

   C’est sur cette base que Mariátegui a élaboré la position du prolétariat péruvien sur la question féminine, en établissant la ligne générale à suivre en la matière pour qui veut se développer dans une perspective marxiste. Voyons les problèmes de base à partir de cette position :

   1. La situation des femmes

   Le point de départ de l’étude de la question féminine du point de vue du prolétariat péruvien, exige de garder à l’esprit que Mariátegui représente dans le pays l’application de la vérité universelle du marxisme-léninisme aux conditions matérielles d’un pays arriéré et opprimé, une application qui le conduit à présenter scientifiquement le caractère semi-féodal et semi-colonial de notre société, au milieu de laquelle une révolution nationale-démocratique s’est développée depuis 1928 à travers un processus long et sinueux dont l’étape supérieure est encore en cours. Telle est la substance et l’orientation de la pensée de Mariátegui ; et à partir de ces considérations, nous devons traiter tous les problèmes et les politiques qu’il a établis, parmi lesquels ce qui est pertinent pour la question des femmes.

   Ainsi, Mariátegui part du caractère semi-féodal et semi-colonial de la société péruvienne pour juger de la situation des femmes. Il rejette d’emblée la théorie obsolète de la « nature féminine », concevant la femme dans une situation ou une condition dérivée de la structure de la société dans laquelle elle fonctionne et soulignant le caractère dynamique et changeant de la situation des femmes, il souligne le rôle transformateur du travail sur la condition des femmes en ce qui concerne le statut social et les idées qui les concernent. Le paragraphe suivant exprime bien ce point et d’autres encore :

   « Mais si la démocratie bourgeoise n’a pas réalisé le féminisme, elle a involontairement créé les conditions et les prémisses morales et matérielles pour sa réalisation. Elle a valorisé les femmes comme un élément productif, comme un facteur économique, en faisant chaque jour un usage plus intensif et plus étendu de leur travail. Le travail change radicalement l’esprit et la mentalité des femmes. Les femmes acquièrent, grâce à leur travail, une nouvelle conception d’elles-mêmes. Dans l’Antiquité, la société destinait les femmes au mariage et à l’oisiveté ou au travail subalterne. Aujourd’hui, elle les destine avant tout au travail. Ce fait a changé et a élevé la position des femmes dans la vie ». Il reste donc clair, pour le prolétariat péruvien, que c’est la société qui confère à la femme sa condition et non une quelconque espièglerie ; que la condition féminine est changeante et que c’est le travail qui confère un grand saut dans la position et le concept de la femme. C’est le point de départ mariatéguiste, en même temps qu’il accuse la réduction biologique déterministe des femmes à de simples reproductrices, et qu’il va à l’encontre des mythes de couleur rose qui contribuent perfidement à maintenir leur oppression : « la défense de la poésie du foyer est en réalité une défense du servage des femmes. Loin d’ennoblir et de rendre digne le rôle des femmes, elle le diminue et le réduit. La femme est plus qu’une mère et une femme, tout comme l’homme est plus qu’un homme ». (Les deux dernières phrases viennent de Revendications féministes).

   Développant la thèse de la racine sociale de la condition féminine, Mariátegui expose la différence entre les femmes latines et saxonnes, en établissant le lien de causalité entre l’origine féodale et le tempérament et les différences de chaque femme : « La femme latine vit plus prudemment, avec moins de passion. Elle n’a pas ce besoin de vérité. La femme espagnole, en particulier, est très prudente et pratique. Waldo Frank l’a définie avec une précision admirable : « La femme espagnole – écrit-il – est une amoureuse pragmatique. Elle considère l’amour comme un moyen de créer des enfants pour le ciel. Nulle part en Europe, il n’y a de femme moins sensuelle, moins amoureuse. En tant que jeune fille, elle est jolie ; un nouvel espoir colore ses joues et agrandit ses yeux noirs. Pour elle, le mariage est l’état le plus élevé auquel elle puisse aspirer. Une fois mariée, cette coquetterie innée du printemps disparaît en elle comme une saison : en un instant, elle devient judicieuse, grosse et maternelle ». (Signes et travaux, Rahab de Waldo Frank).

   Ce qui a été dit sur la femme espagnole s’étend naturellement aux femmes latino-américaines et parmi elles à celles de ce pays, et cela montre que la mentalité féminine générée par l’ancien et l’actuel contexte féodal n’est toujours pas surmontée. Mais en plus de cela, en analysant les relations entre l’impérialisme et les pays opprimés d’Amérique, Mariátegui met en évidence la mentalité aliénante que la domination yankee imprime à la mentalité féminine : « La bourgeoisie limeña [originaire de Lima] fraternise avec les capitalistes yankees, et même avec leurs employés subalternes, au Country Club, au tennis et dans la rue. Le Yankee peut épouser, sans aucun inconvénient de race ou de religion, la señorita créole, et elle ne ressent aucun scrupule de nationalité ou de culture en préférant le mariage avec un individu de la race envahissante. Et la jeune fille de la classe moyenne ne ressent aucun scrupule à cet égard. La huachafita qui est capable de piéger un Yankee employé par la Grace Corporation ou la Fondation le fait avec la satisfaction d’avoir élevé sa condition sociale ». (Point de vue impérialiste).

   Ainsi, en caractérisant la condition féminine dans notre société comme un servage des femmes, le contexte semi-féodal et semi-colonial qui est sa racine est établi, écartant toute interprétation soutenue par la soi-disant « nature féminine déficiente ».

   Sur cette base, Mariátegui poursuit l’analyse matérielle des femmes péruviennes appartenant aux différentes classes ; il dépeint magistralement les femmes travailleuses : « si les masses de la jeunesse sont si cruellement exploitées, les femmes du prolétariat souffrent d’une exploitation égale ou pire. Jusqu’à très récemment, la femme prolétarienne voyait son travail limité aux activités domestiques à la maison. Avec l’industrialisation croissante, elle entre en compétition dans l’usine, le magasin, l’entreprise, etc. Ainsi, nous la voyons dans les usines textiles, les usines de biscuits, les blanchisseries, les usines de récipients et de cartons, les savonneries, etc., où elle effectue le même travail que l’ouvrier masculin, depuis le fonctionnement des machines jusqu’au travail le plus subalterne, en gagnant toujours 40 à 60% de moins que l’homme. En même temps que les femmes se forment aux métiers industriels, elles pénètrent aussi dans les activités du bureau, des maisons de commerce, etc., toujours en concurrence avec les hommes et au grand bénéfice des entreprises industrielles, qui obtiennent une réduction sensible des salaires et une augmentation immédiate des profits. Dans l’agriculture et les mines, nous trouvons des femmes prolétaires en concurrence franche avec les hommes, et partout où nous pouvons chercher, nous trouvons un grand nombre de femmes exploitées, rendant leurs services dans toutes sortes d’activités […]. Dans le cadre de nos luttes sociales, le prolétariat a dû formuler des demandes spécifiques pour leur défense. Les syndicats du textile, qui jusqu’à présent ont manifesté le plus grand intérêt pour cette question, bien que pas exclusivement, ont fait grève plus d’une fois dans le but de forcer le respect de réglementations que, selon la loi, les capitalistes refusent tout simplement d’appliquer ; nous avons certains capitalistes (comme « l’ami » du travailleur M. Tizon y Bueno) qui n’ont pas hésité à considérer comme un « délit » le fait qu’une travailleuse soit enceinte, délit pour lequel elle a été licenciée afin d’éviter de se conformer à ce que la loi stipule. À la fabrique de crackers, l’exploitation des femmes est vile ». (Manifeste de la CGTP a la classe travailleuse du pays. La question des femmes ; un document édité sous la direction de Mariátegui).

   Cette description est-elle valable ? Oui ; en substance, la situation des travailleuses reste la même : l’exploitation la plus large dans des secteurs toujours plus nombreux de l’industrie, ce qui, dans certains d’entre eux, est vraiment horrible ; l’utilisation de la main-d’œuvre féminine pour abaisser les salaires, en se basant sur le fait que leurs salaires sont inférieurs à ceux des hommes ; le non-respect des lois protégeant les femmes et les positions anti-travailleurs cachées par les faux « amis » du prolétariat. La nécessité de soutenir les réalisations des femmes travailleuses est également très actuelle

   De même, Mariátegui passe en revue la condition des paysannes indigènes, dont il dit qu’avec leurs enfants, elles sont obligées de « rendre des services gratuits aux propriétaires et à leurs familles, ainsi qu’aux autorités » ; leur condition misérable et leur placement social ont une racine : latifundia et servitude.

   En ce qui concerne la petite-bourgeoisie, outre le fait de mettre en évidence les tribulations des femmes de cette classe, l’analyse des enseignantes du primaire aide Mariátegui à établir comment la moyenne sociale, la proximité avec le peuple et leur dévouement à l’enseignement à plein temps modifient leur attitude et leur esprit en les ouvrant pour qu’en leur for intérieur puissent se manifester « facilement les idéaux des faussaires d’un nouvel État social », puisque : « Aucun de leurs intérêts n’a rien en commun avec le régime capitaliste. Sa vie, sa pauvreté, son travail, la fusionnent avec les masses prolétariennes ». Il propose de s’adresser à eux puisque « dans leurs rangs, l’avant-garde recrutera des éléments plus nombreux et meilleurs ».

   2. Contexte historique de la lutte des femmes

   Comme nous l’avons vu, pour Mariátegui, l’industrialisation incorpore la femme au travail et, par là, transforme sa condition et son esprit. Il souligne, comme les classiques du marxisme, la double situation qu’elle implique : « Lorsque la femme avance sur le chemin de son émancipation sur un terrain démocratique bourgeois, elle fourni en échange au capitaliste une main-d’œuvre bon marché et en même temps un concurrent sérieux à l’ouvrier masculin ». (Le Manifeste) D’autre part, rappelant que la Révolution française a intégré certains éléments du mouvement féministe, il revendique la figure de Babeuf, leader des égalitaristes, qu’il considère comme « un asserteur des revendications féministes » et dont il cite les propos lucides suivants « n’imposez pas le silence à ce sexe qui ne mérite pas d’être méprisé. […] Si vous ne comptez sur les femmes pour rien dans votre république, vous en ferez des amoureuses de la monarchie » et « ce sexe que la tyrannie des hommes a toujours voulu annuler, ce sexe qui n’a jamais été inutile dans les révolutions ».

   Et en équilibrant la contribution de la Révolution française faite à l’émancipation des femmes, il dit dans Femmes et politique :

   « La Révolution française a cependant inauguré un régime d’égalité politique pour les hommes, et non pour les femmes. Les droits de l’homme auraient pu être appelés plutôt les droits des hommes. Avec la bourgeoisie, les femmes se sont retrouvées beaucoup plus éloignées de la politique qu’avec l’aristocratie. La démocratie bourgeoise était une démocratie exclusivement masculine. Son développement devait cependant finir par être intensément favorable à l’émancipation des femmes. La civilisation capitaliste a fourni aux femmes les moyens d’accroître leurs capacités et d’améliorer leur position dans la vie ».

   Par conséquent, ce que la classe bourgeoise fait pour les femmes a été fixé avec précision : si elle est capable de fournir les conditions de son développement, elle est incapable de l’émanciper. Mariátegui le savait très bien : malgré cette limitation, le capitalisme, au fur et à mesure de son développement, ouvre aux femmes les portes de diverses activités, y compris la politique, tout particulièrement au XXe siècle, au point d’en devenir un symbole. En développant cette affirmation, Mariátegui lui-même donne raison à de nombreuses femmes remarquables et souligne et démontre les contributions de nombreuses femmes à la poésie, au roman, aux arts en général, à la lutte et à la politique. Ainsi, il nous apprend à juger les femmes des différentes classes et célébrités, en soulignant leurs mérites et leurs défauts et en montrant ce qui est principal dans chaque cas individuel et, ce qui est plus important, en mettant en évidence leurs contributions à la promotion des femmes.

   3. Mouvement des femmes

   Un point central et très important aujourd’hui est la proposition mariatéguiste sur les problèmes généraux des femmes, avec ses thèses sur le mouvement féministe, dont le sujet comporte trois parties remarquables : le féminisme ; la politisation des femmes et l’organisation

   En ce qui concerne le FÉMINISME, Mariátegui soutient qu’il n’émerge « ni artificiellement ni arbitrairement » parmi nous mais qu’il correspond à l’incorporation des femmes dans le travail manuel et intellectuel ; dans cette optique, il souligne principalement que le féminisme se développe parmi les femmes qui travaillent en dehors du foyer, et fait remarquer que les environnements adéquats pour le développement du mouvement féministe sont les salles de classe des universités et les syndicats. Il énonce ensuite la directive consistant à s’orienter vers ces fronts afin de faire avancer la mobilisation des femmes. Bien qu’il faille décider qu’une telle orientation n’implique en aucun cas une mise à l’écart des femmes paysannes ; puisqu’il faut rappeler que Mariátegui considérait les femmes paysannes comme la classe la plus importante dans notre processus, il ne fait aucun doute que les femmes paysannes sont aussi un front de mobilisation et plus encore, la source principale que l’ensemble du mouvement féministe ainsi que le prolétariat veulent atteindre.

   Dans Revendications féministes, Mariátegui propose l’essence du mouvement féministe : « Personne ne devrait s’étonner que toutes les femmes ne se réunissent pas en un seul mouvement féministe. Le féminisme a, nécessairement, plusieurs couleurs, plusieurs tendances. Dans le féminisme, on peut distinguer trois tendances fondamentales, trois couleurs de fond ; le féminisme bourgeois, le féminisme petit-bourgeois et le féminisme prolétarien. Chacun de ces féministes formule ses propres revendications de manière différente. La femme bourgeoise unit le féminisme aux intérêts de la classe conservatrice. La femme prolétarienne unifie son féminisme avec la foi des multitudes révolutionnaires dans la société du futur. La lutte des classes – un fait historique et pas seulement une affirmation théorique – se reflète sur la scène féministe. Les femmes, comme les hommes, sont réactionnaires, centristes ou révolutionnaires. Elles ne peuvent, par conséquent, mener toutes le même combat côte à côte. Dans le panorama humain actuel, la classe différencie les individus plus que le sexe ».

   C’est l’essence même de notre question féminine, le caractère de classe de tout le mouvement féministe. Et nous devons garder cela très présent à l’esprit, aujourd’hui plus que jamais, car une fois de plus l’organisation des femmes est mise en avant ; de nombreux groupes surgissent, qui en général se taisent ou cachent le caractère de classe qui les soutient, c’est-à-dire la classe qu’ils servent, et prêchent une unification des femmes pour réclamer leurs droits en opposition aux hommes, comme pour servir toutes les femmes unies, sans distinction de classe, pour une prétendue transformation sociale « humaniste, chrétienne et solidaire », en passant par quelques modalités intermédiaires de positions de classe peu claires ou confuses. En substance, le problème consiste à déterminer la racine de classe qu’implique chaque groupe, organisme, front ou mouvement de femmes, à délimiter les positions et à établir qui elles servent, quelle classe elles servent, et si elles sont vraiment ou non du côté du peuple.

   Ces questions nous amènent à un problème crucial : selon quels principes, quels critères de classe et quelle orientation sommes-nous pour construire un mouvement féministe au service du peuple ? Ici, la position de Mariátegui est brillante et concise : « Le féminisme, en tant qu’idée pure, est essentiellement révolutionnaire ». Et pour lui, révolutionnaire signifie essentiellement prolétarien ; ainsi, tout le MOUVEMENT DES FEMMES DU PEUPLE qui veut vraiment servir le peuple et la révolution, doit être un mouvement féministe adhérant au prolétariat, et aujourd’hui dans notre pays, l’adhésion au prolétariat signifie l’adhésion à la pensée de Mariátegui.

   En ce qui concerne la politisation des femmes. Les classiques marxistes ont toujours accordé une grande importance à ce point, car sans lui, il est impossible de développer la mobilisation et l’organisation des femmes, et sans ces femmes nous ne pouvons pas lutter aux côtés du prolétariat pour leur propre émancipation. Suivant son grand exemple, la classe ouvrière péruvienne comme Mariátegui a souligné l’importance de la politisation des femmes, et a mis en évidence que son insuffisance ou son absence sert la réaction.

   « Les femmes, pour la plupart, en raison de leur faible ou de leur absence d’éducation politique, ne sont pas une force novatrice dans les luttes contemporaines mais une force réactionnaire ». (Chiffres et aspects de la vie dans le monde).

   C’est suffisamment clair, ce que nous devons nous demander, c’est ceci : Que signifie cette politisation ? Pour la fondatrice du Parti communiste, cela signifiait l’incorporation déterminée et militante des femmes dans la lutte de classe, leur mobilisation en même temps que les intérêts du peuple, leur intégration dans les organisations, l’apprentissage individuel de l’idéologie de la classe ouvrière, et tout cela, évalué par et sous la direction du prolétariat. En résumé, il faut intégrer les femmes dans la politique, dans la lutte des classes, sous la direction de la classe ouvrière.

   En ce qui concerne l’ORGANISATION DES FEMMES. Le marxisme enseigne que pour faire face à ses ennemis et lutter pour ses intérêts de classe, le prolétariat n’a d’autre recours que de s’organiser ; ce principe s’applique au peuple, qui n’est fort que s’il est organisé et donc aussi aux femmes, qui ne peuvent lutter avec succès que si elles sont organisées.

   En tant que « marxiste convaincu et confessé », Mariátegui a appliqué ces principes de manière créative. Il a accordé une attention toute particulière à l’organisation des femmes travailleuses, comme le montrent les propositions du Manifeste de la CGTP mentionnées ci-dessus :

   Toute cette accumulation de « calamités » qui pèsent sur la femme exploitée ne peut être résolue que par une organisation immédiate. De la même manière que les syndicats doivent construire leurs cadres de jeunesse, ils doivent créer leurs sections féminines, où nos futures militantes seront éduquées ».

   Mariátegui a fait preuve de la même préoccupation lorsque, sous sa direction, le statut de la Confédération mentionnée s’apprêtait à former une Commission permanente des femmes au niveau du Comité exécutif. Malheureusement, ces orientations n’ont pas été correctement mises en pratique ; il est resté une position syndicale purement bureaucratique, appelée « affaires féminines » ou un nom similaire, lorsqu’elle existait, sans se lier organiquement les sections féminines des syndicats, elle reste donc comme une tâche en suspens.

   Plus tard, en mars 1930, le parti communiste a approuvé la motion suivante :

   « Premièrement. Créer un Secrétariat provisoire pour organiser la jeunesse socialiste, sous le contrôle immédiat du Parti.

   Deuxièmement. Créer un secrétariat provisoire pour organiser les femmes travailleuses, sous la direction et le contrôle du Parti.

   Troisièmement. Les deux secrétariats lutteront pour l’organisation immédiate des jeunes des deux sexes, pour leur éducation politique et idéologique, comme étape préparatoire à leur admission au Parti » (Martinez de la Torre, op. cit., tome II ; nos italiques).

   Ici, la thèse de Mariátegui est matérialisée par la nécessité de prêter attention aux organisations de femmes, même aux niveaux politiques les plus avancés ; et il considère que la question de l’organisation des femmes est, en définitive, la question de les organiser sous la direction et le contrôle de la classe ouvrière et du Parti. De telles propositions nous amènent à nous interroger, sur chaque groupe, organisme, front ou mouvement de femmes : Pour quelle classe, comment et pour quoi les femmes sont-elles organisées ? Et garder à l’esprit que ces points ne peuvent être résolus de manière satisfaisante, c’est-à-dire pour la classe et le peuple, qu’en adhérant aux positions de la classe ouvrière.

   Ces trois questions : féminisme, politisation des femmes et organisation des femmes, et les thèses que Mariátegui a établies doivent être étudiées et appliquées de manière cohérente, car c’est la seule façon de développer un authentique mouvement féministe populaire.

   4. L’émancipation des femmes

   Sur ce point aussi, comme dans les classiques, Mariátegui soutient que sous le capitalisme et l’industrialisation, « les femmes font des progrès sur la voie de leur émancipation ». Cependant, dans ce système, elles n’atteignent même pas la pleine égalité juridique. C’est pourquoi un mouvement féministe cohérent cherche à aller plus loin, et sur cette voie, il doit nécessairement se joindre à la lutte du prolétariat. C’est cette compréhension qui a conduit la grande penseuse prolétarienne de notre pays à se prononcer : « Le mouvement féministe semble solidement identifié au mouvement révolutionnaire » et que, bien qu’il soit né du libéralisme, seule la révolution peut permettre au féminisme de se réaliser pleinement :

   « Né d’un ventre libéral, le féminisme n’a pas encore pu opérer dans le processus capitaliste. Ce n’est que maintenant, lorsque le chemin historique de la démocratie arrive à son terme, que la femme acquiert les droits politiques et juridiques de l’homme. Et c’est la révolution russe qui a conféré explicitement et catégoriquement aux femmes l’égalité et la liberté que pendant plus d’un siècle, de Babeuf et des égalitaristes de la Révolution française, elles avaient vainement revendiqué ». (Revendications féministes)

   Et c’est ainsi que parallèlement à la construction d’une nouvelle société, une nouvelle femme apparaîtra, qui sera « substantiellement différente de celle formée par la civilisation actuellement en déclin ». Ces nouvelles femmes seront forgées dans le creuset révolutionnaire et placeront l’ancien type de femme déformé par l’ancien système d’exploitation dans l’arrière-salle de l’histoire, un système qui se noie désormais, pour la véritable dignité des femmes

   « Dans la même mesure où le système socialiste remplace le système individualiste, le luxe et l’élégance féminins vont se dégrader […] L’humanité perdra quelques mammifères luxueux ; mais gagnera à la place beaucoup de femmes. Les vêtements des femmes de l’avenir seront moins ostentatoires et moins chers ; mais la condition de cette nouvelle femme sera digne. Et l’axe de la vie féminine passera de l’individu au social […] Une femme, en somme, sera moins chère mais vaudra plus. » (Les femmes et la politique).

   Outre ces idées de base, Mariátegui s’occupe d’autres problèmes intimement liés aux femmes en particulier : le divorce, le mariage, l’amour, etc. ; il les traite avec une fine ironie et prend des positions très critiques à leur égard. Cependant, en bon marxiste, il ne s’intéresse pas à ces problèmes avant de les prendre comme thème principal. Faire ainsi, ce serait oublier la lutte principale et l’objectif fondamental, tout en semant la confusion et en désorientant la lutte révolutionnaire.

   Jusqu’à présent, nous avons présenté et exposé les thèses centrales de la pensée de Mariátegui sur la question des femmes, dans lesquelles nous avons utilisé de nombreuses citations pour les mêmes raisons que celles que nous avions lorsque nous avons traité des positions marxistes sur le sujet.

III. DÉVELOPPER LE MOUVEMENT FÉMINISTE À LA SUITE DE MARIATEGUI

   1. Pertinence actuelle de Mariátegui

   Une conclusion s’impose à la lumière de ce qui a été dit : les thèses de Mariátegui sur la question des femmes sont le résultat de l’application cohérente du marxisme-léninisme aux conditions spécifiques d’une société semi-féodale et semi-coloniale comme la nôtre. Sur ce point, en général, il n’y a pas de désaccord et même lorsqu’il n’y a pas d’adhésion ouverte, au moins par le silence, une acceptation de ces conclusions est démontrée. Cependant, la question n’est pas de savoir si la pensée de Mariátegui était une application correcte du marxisme au pays, la question centrale est : quelle est la pertinence de sa pensée au présent ? C’est un sujet sur lequel, tout en exprimant une apparente reconnaissance de Mariátegui et pour ne pas attaquer son immense prestige toujours croissant, certains remettent en question sa pertinence actuelle en mentionnant que plus de 40 ans se sont écoulés et en soulevant, à tort et à travers, la nécessité de prendre en compte « le développement créatif du marxisme afin de le dépasser ».

   L’analyse de ce point nous amène à passer en revue, ne serait-ce qu’en passant, certaines des positions qui ont été soutenues dans ce pays sur la question des femmes. Ainsi, le penseur notable et controversé Don Manuel Gonzales Prada a traité cette question dans son ouvrage de 1904 « Esclaves de l’Eglise », ouvrage aujourd’hui inclus dans Des Heures de Lutte. Là, tout en exprimant des concepts importants tels que : « On ne peut pas bien connaître le peuple tant qu’on n’a pas étudié la condition sociale et juridique de la femme », « l’élévation morale de l’homme se mesure par la conception qu’il a de la femme : pour l’homme ignorant et brutal, la femme n’est qu’une femme ; pour l’homme penseur et cultivé, elle est un cerveau et un coeur », « De même que nous portons le nom de famille de notre père, nous portons l’empreinte morale de notre mère […] » « La force motrice, le grand moteur des sociétés, ne fonctionne pas bruyamment sur la place ni dans le cercle révolutionnaire ; elle fonctionne dans le foyer », ce qui contribue à centrer notre attention sur l’importance de la femme ; d’autre part, il exprime des idées telles que  » L’émancipation de la femme, comme la liberté de l’esclave, n’est pas due au christianisme mais à la philosophie ». « Dans les nations protestantes, l’ascension féminine a lieu avec une telle certitude qu’une émancipation complète est déjà prévue », « Les esclaves et les serfs doivent leur dignité personnelle aux efforts de personnes nobles et délicates, la femme catholique ne s’émancipera que par l’action énergique des hommes » et « dans la bataille des idées, aucun allié n’est plus puissant que l’amour ».

   On voit donc que la contribution de Gonzales Prada à l’émancipation des femmes est globalement positive. Il a souligné et dénoncé l’oppression des femmes, le rôle important qu’elles remplissent et la nécessité de résoudre le problème et d’exposer l’émancipation des femmes. Bien que pour lui la racine du problème soit le catholicisme qui prévaut chez les femmes, il croit qu’il est possible de parvenir à l’émancipation sous le capitalisme et il centre le problème sur l’individu ; cependant ses idées représentent globalement, une contribution positive, dans ce domaine et dans d’autres, à l’étude des problèmes des femmes dans le pays.

   Et ces idées s’avèrent encore plus remarquables lorsque nous voyons, près de 30 ans plus tard, Jorge Basadre les proposer : « Gregorio Marañon a exigé que le rôle essentiel des femmes soit l’amour, tandis que le rôle essentiel des hommes est le travail […] C’est pourquoi les petits garçons préfèrent jouer avec les soldats, symbole de lutte, d’effort, de désir de suprématie ; tandis que les petites filles préfèrent jouer avec les poupées, précocement maternelles […] En vertu d’une maîtrise de la nature, le charme de la femme créole, même quand elle n’est pas métisse, se distingue des femmes d’autres latitudes par une saveur propre comme un fruit ou un légume […] Alors que, d’un autre côté, la plus grande supériorité des hommes est dans leur esprit et que l’esprit américain est encore résolument influencé par l’Europe, la gloire américaine est perdue ou diminuée […] Une femme notoirement belle en Amérique peut, en revanche, susciter l’intérêt n’importe où ». (Pérou : Problema y Posibilidad, chapitre XI. Ici, la position est si clairement réactionnaire que les commentaires sont inutiles).

   Si à Basadre les classes dirigeantes nous parlent de « nature féminine » dont l’essence est l’amour, elles s’expriment aussi en 1940 par l’intermédiaire de Carlos Miro Quesada Laos de la manière suivante :

   « Le rôle de la femme dans la vie moderne est multiple. Ce n’est plus l’époque, toujours révolue, où le travail lui était interdit. Bien au contraire. Aujourd’hui, la femme travaille dans diverses activités […] Parce qu’elle a montré qu’elle peut agir aussi efficacement que l’homme […] Elle a donc le devoir d’étudier, de se préparer à l’avenir. Et si dans ces tâches, les femmes partagent les devoirs avec les hommes, dans d’autres, elles sont et seront toujours meilleures que les hommes. Et ce qui se passe, c’est que la femme apporte à la vie beaucoup de choses qui lui sont innées. Elle a les mains de mère et d’infirmière […] C’est la féminité que, grâce à Dieu, elles ne perdront jamais, malgré le XXe siècle, de guerres et de théories révolutionnaires. Le mot « consolation » évoque les femmes […] Après avoir fait l’homme, le Créateur […] l’a mise à ses côtés pour être sa compagne, pour lui donner un stimulant et lui adoucir la vie […] Elle doit d’abord obéir à ses parents, puis à son maître, plus tard à son mari et toujours au devoir ». (Trois Conférences, Lima 1941.)

   Avec Basadre, les classes d’exploiteurs reportent le travail des femmes ; avec Miro Quesada, ayant de nouvelles exigences, ils exaltent et exigent le travail des femmes. Mais au fond, les deux sont fondées sur la « nature féminine ». Mais ces idées n’apparaissent pas seulement dans ce domaine ; on trouve aussi des positions erronées dans des écrits et des revues qui se disent révolutionnaires et même marxistes ; on y lit des concepts comme les suivants : Parler du « sens de la vie », c’est-à-dire qu’elles participent au « changement social », permettra, nous l’avons compris, aux femmes, « de défaire leur problème existentiel, puisque le sens de la vie résiderait alors dans le profit que chaque individu est capable d’offrir à ses voisins par sa volonté et ses efforts ». Après avoir tenté d’esquisser la thèse d’Engels sur le développement de la famille, nous abordons le sujet « Femmes et société » : « nous sommes possédés par le mythe de l’infériorité des femmes. Et de là découle le besoin de libérer la femme […] sa libération ne peut se faire que lorsque la structure socio-économique change avec le développement d’une nouvelle société ». Ainsi, la libération est mise en évidence mais pas son contexte social, qui reste ambigu et imprécis, pour finir par se centrer sur la manière de réguler « la relation entre les sexes en réponse à la nouvelle idéologie ». Si la femme est égale ou doit être égale à l’homme, les bases de cette relation seraient :

   a) Libérer les femmes de l’aliénation religieuse […],

   b) Exercer le droit de choisir son partenaire sans obéir aux préjugés sur l’initiative masculine […],

   c) Ne pas comprendre la libération de la femme comme synonyme d’amour libre […] (et heureusement !),

   d) La femme étant l’égale de l’homme, elle ne doit pas rester séparée de la politique en invoquant sa condition féminine […] l’amour, comme point de départ d’un changement social, doit être le stimulant pour la jeunesse (hommes et femmes) à lutter pour construire un monde égalitaire sans oppression ni injustice ».

   Et en publiant l’histoire, « Le tombeau des chômeurs », un conte de Noël qui répand habilement la « générosité des femmes » et « l’égoïsme des hommes », une version traître de la « nature féminine » : « Plus tard, les deux fantômes se sont tus, chacun avec ses propres pensées. La femme dans son passé ; l’homme dans son avenir. La femme sur ce qui doit être fait ; l’homme sur ce qui doit être fait pour lui. L’un avec la générosité et l’autre avec l’égoïsme, toujours cloués sur leur front, luttant toujours dans les profondeurs de leur conscience ». (Les numéros 1 et 2 du magazine Mujer ; bien qu’ils n’aient pas de date, ils ont été imprimés dans les années 1960). Il est évident que les idées contenues dans Mujer, malgré leur apparente posture marxiste et révolutionnaire, révèlent clairement un fond bourgeois, elles n’expriment en aucun cas une position prolétarienne sur la question féminine.

   Que nous montre ce résumé ? La vérité dure et froide que la question n’est nullement le délai dans lequel les positions sont présentées, ni le problème de « prendre en compte les développements créatifs du marxisme », mais ce qui est central, c’est la position de classe sur laquelle une proposition est basée. Nous avons vu une position antérieure au Mariátegui, celle de Gonzalez Prada, qui, bien qu’elle précède le Mariátegui de quelque 30 ans, comporte de nombreux éléments positifs ; ainsi qu’une position contemporaine du Mariátegui, celle de Basadre, qui est ouvertement réactionnaire ; enfin deux positions plus tardives, 30 ans après le Mariátegui, celle de Miro Quesada, qui rénove certains critères mais reste réactionnaire, et celle de la revue Mujer, sous couleurs marxistes, qui adhère définitivement aux positions bourgeoises bien qu’elle nous soit présentée comme révolutionnaire et au service de l’émancipation des femmes.

   Quelle est la conclusion ? Comme nous l’avons dit, la question est le caractère de classe sur lequel une position est basée, dans ce cas la position sur la question de la femme. Avec Mariátegui, le plus grand représentant de notre classe ouvrière, la position du prolétariat sur la question féminine est établie. Il a établi la base de la ligne politique du prolétariat sur cette question et ses positions sont tout à fait actuelles, sur ce sujet comme sur d’autres qui traitent de la politique révolutionnaire du prolétariat dans notre pays. Par conséquent, le développement du MOUVEMENT DES FEMMES exige, aujourd’hui plus que jamais, une adhésion ferme et cohérente à la pensée de Mariátegui, à partir de l’acceptation de sa pertinence actuelle.

   2. Reprendre la route de Mariátegui

   La lutte des femmes péruviennes et des femmes du prolétariat a une longue tradition, scellée par leur sang, depuis plus de 50 ans. De même, les organisations féministes sont anciennes ; néanmoins, le processus d’organisation des femmes péruviennes a commencé à se développer dans les années 60, prévoyant une perspective brillante, bien que longue et tortueuse.

   Actuellement, nous avons une multitude d’organisations d’extension et de niveaux différents, et ce qui est plus important, en faisant germer de vieilles graines, nous voyons déjà des signes indiquant un véritable MOUVEMENT DES FEMMES DU PEUPLE. Aujourd’hui, nous avons un Conseil national des femmes qui a cinquante ans d’existence, nourri par la théorie décrépite et obsolète de la « nature féminine », un « Mouvement des droits de la femme » soutenant un féminisme visant à se libérer de la dépendance des hommes ; une série d’organisations en cours de formation qui soutiennent le régime actuel au profit de son processus corporatiste, sous l’orientation et le contrôle de Sinamos et sous son concept de « participation des femmes », qui fait partie de leur « démocratie pleinement participative », qui occulte le fait que la racine de l’oppression des femmes est la propriété privée et l’assujettissement des femmes qui a commencé avec elle ; qui, en déformant notre histoire et en utilisant un matérialisme humble et « vulgaire », fait la propagande que « en 1968 a commencé le processus révolutionnaire qui cherche la libération authentique des femmes avec l’égalité politique et la participation active », concluant : « C’est nous qui devons créer les différentes formes d’organisations féminines », saturées par le féminisme bourgeois sournois et sournois. Et l’Union populaire nationale des femmes péruviennes, organisation opportuniste de droite, a mis en place, comme d’habitude, un appareil collaborationniste totalement voué au service du régime

   Cette augmentation et ce renforcement organisationnel des masses de femmes exigent une enquête sérieuse sur la question féminine et une analyse de classe des organisations existantes ou en cours de formation, afin que les camps puissent se définir pour établir, comme dans d’autres domaines, les deux lignes sur la question féminine : La ligne contre-révolutionnaire commandée par l’impérialisme et la bourgeoisie moyenne, et la ligne révolutionnaire dont le commandement et le centre est le prolétariat. Cela aidera au développement organisationnel du MOUVEMENT DES FEMMES DU PEUPLE, ce qui exige nécessairement que sa construction soit déclenchée au milieu de la lutte à deux lignes, expression de la lutte de classe et des intérêts similaires et contradictoires des classes en conflit. Et bien sûr, il ne faut pas oublier qu’à l’intérieur de chaque ligne, il y a des variations et des différences de fonctionnement selon les classes regroupées autour de chaque ligne. A partir de là, le problème consiste à établir les deux lignes opposées et, à l’intérieur de chacune, les variations et les nuances de la ligne ; à établir quelle position commande chaque ligne et, selon la classe qu’elle représente, donne à chacune des lignes en lutte un caractère révolutionnaire ou contre-révolutionnaire.

   Tout ce qui a été exposé nous amène donc à la nécessité de « reprendre le chemin de Mariátegui sur la question féminine », afin de servir la formation et le développement d’un MOUVEMENT DE FEMMES DU PEUPLE conçu comme un mouvement généré par le prolétariat parmi les masses de femmes, avec les caractéristiques suivantes :

   1. Adhérence à la pensée de Mariátegui ;

   2. Organisation des masses consciente de la classe ;

   3. Soumission au centralisme démocratique.

   La construction d’un tel MOUVEMENT nous pose deux problèmes :

   1. La construction idéologico-politique, qui implique nécessairement de lui fournir des Principes et un Programme ;

   2. La construction organique, que nous pouvons servir en formant des noyaux ou des groupes de militants pour porter les Principes et le Programme aux masses de femmes ouvrières, paysannes, libérales, universitaires et lycéennes, etc. Ces groupes travailleraient à la politisation des femmes, en les mobilisant par leurs luttes et en les organisant pour qu’elles adhèrent à la lutte politique, en harmonie avec l’orientation et la politique du prolétariat.

   Pour conclure cette contribution à l’étude et à la compréhension de la question féminine, il est pertinent de transcrire une Déclaration de Principes et un Programme qui circulent depuis un certain temps parmi nous, documents qui, tout en soulignant leur caractère de projets en cours, peuvent servir de base utile à la discussion de la construction idéologico-politique en cours du MOUVEMENT DES FEMMES.

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