Préface à L’émancipation des femmes

Préface à L’émancipation des femmes D’après les écrits de V.I. Lénine

Nadezhda K. Krupskaya

30 novembre 1933

   Au cours de ses activités révolutionnaires, Lénine a souvent écrit et parlé de l’émancipation des femmes travailleuses en général et des femmes paysannes en particulier. Il est certain que l’émancipation des femmes est indissociable de toute la lutte pour la cause ouvrière, pour le socialisme. Nous connaissons Lénine comme le leader des travailleurs, comme l’organisateur du Parti et du gouvernement soviétique, comme un combattant et un bâtisseur. Chaque femme travailleuse, chaque paysanne doit savoir tout ce que Lénine a fait, chaque aspect de son travail, sans se limiter à ce que Lénine a dit sur la position des femmes travailleuses et leur émancipation. Mais parce qu’il existe le lien le plus étroit entre toute la lutte de la classe ouvrière et l’amélioration de la position des femmes, Lénine a souvent – à plus de quarante reprises, en fait – fait référence à cette question dans ses discours et ses articles, et chacune de ces références était inséparablement liée à toutes les autres choses qui l’intéressaient et le préoccupaient à l’époque.

Dès le début de sa carrière révolutionnaire, le camarade Lénine a accordé une attention particulière à la position des femmes ouvrières et paysannes et à leur intégration dans le mouvement ouvrier. Lénine a effectué son premier travail révolutionnaire pratique à Saint-Pétersbourg (aujourd’hui Leningrad), où il a organisé un groupe de sociaux-démocrates qui est devenu extrêmement actif parmi les ouvriers de Saint-Pétersbourg, publiant des tracts illégaux et les distribuant dans les usines. Les tracts étaient généralement adressés aux ouvriers. À cette époque, la conscience de classe de la masse des travailleurs était encore peu développée, les plus arriérés d’entre eux étant les femmes. Elles recevaient des salaires très bas et leurs droits étaient violés de manière flagrante. Les tracts étaient donc généralement adressés aux hommes (les deux tracts adressés aux femmes travailleuses de la fabrique de tabac Laferm étaient une exception). Lénine a également écrit un tract pour les ouvriers de la fabrique de tissu de Tornton (en 1895) et bien que les femmes qui y travaillaient soient les plus arriérées, il a intitulé le tract : « Aux ouvriers et ouvrières de la fabrique de Tornton ». C’est un détail, mais un détail très important.

Lorsqu’il est en exil en 1899, Lénine correspond avec l’organisation du Parti (le premier congrès du Parti se tient en 1898) et mentionne les sujets qu’il veut traiter dans la presse clandestine. Parmi ces sujets figurait un pamphlet intitulé « Les femmes et la cause des travailleurs ». Dans ce pamphlet, Lénine voulait décrire la position des ouvrières d’usine et des paysannes et montrer que le seul salut pour elles était leur participation au mouvement révolutionnaire, et que seule la victoire de la classe ouvrière apporterait l’émancipation aux ouvrières et aux paysannes.

En 1901, Lénine a écrit sur les femmes qui ont participé à la défense d’Obukhov, sur le discours prononcé par une ouvrière, Marfa Yakovleva, au tribunal :

« Le souvenir de nos camarades héroïques assassinés et torturés à mort en prison décuplera la force des nouveaux combattants et incitera des milliers de personnes à se rallier à leur aide, et comme Marfa Yakovleva, âgée de dix-huit ans, elles diront ouvertement : « Nous sommes aux côtés de nos frères ! Outre les représailles de la police et de l’armée contre les participants aux manifestations, le gouvernement entend les poursuivre pour rébellion ; nous riposterons en unissant nos forces révolutionnaires et en ralliant à notre cause tous ceux qui sont opprimés par la tyrannie du tsarisme, et en préparant systématiquement le soulèvement du peuple tout entier ». Lénine a étudié de près la vie et les conditions de travail des ouvrières d’usine, des paysannes et des femmes employées dans l’artisanat.

En prison, Lénine a étudié la position des paysans telle qu’elle est révélée par les rapports statistiques ; il a étudié l’influence de l’artisanat, la dérive des paysans vers les usines et l’influence exercée par les usines sur leur culture et leur mode de vie. En même temps, il a étudié toutes ces questions du point de vue du travail des femmes. Il a souligné que la psychologie propriétaire des paysans impose aux femmes un fardeau de corvées inutiles et insensées (chaque paysanne d’une grande famille ne débarrasse que la petite partie de la table sur laquelle elle mange, prépare un repas séparé pour son propre enfant et traie une vache pour obtenir juste assez de lait pour son propre enfant).

 Dans son livre « Le développement du capitalisme en Russie », Lénine décrit comment les éleveurs de bétail exploitent les paysannes, comment les marchands-acheteurs exploitent les dentellières ; il montre que la grande industrie émancipe les femmes et que le travail dans les usines élargit leurs perspectives, les rend plus cultivées et indépendantes et les aide à briser les chaînes de la vie patriarcale. Lénine a déclaré que le développement de la grande industrie créerait les bases d’une émancipation complète des femmes. L’article de Lénine « Une grande réussite technique », écrit en 1913, est caractéristique à cet égard.

Les travailleurs et travailleuses des pays bourgeois doivent se battre pour l’égalité des droits entre les hommes et les femmes.

En exil, Lénine a consacré une grande partie de son temps à l’élaboration du programme du Parti. À cette époque, le Parti n’avait pas de programme. Il n’y avait qu’un projet de programme élaboré par le groupe « Émancipation du travail ». En examinant ce programme dans son article « Un projet de programme de notre parti » et en commentant le point 9 de la partie pratique du programme, qui demandait « la révision de toute notre législation civile et pénale, l’abolition des divisions sociales-nationales et des peines incompatibles avec la dignité de l’homme », Lénine a écrit qu’il serait bon d’ajouter ici : « l’égalité complète des droits entre les hommes et les femmes ».

En 1903, lorsque le programme du parti fut adopté, cette clause y fut incluse.

En 1907, dans son rapport sur le Congrès international de Stuttgart, Lénine note avec satisfaction que le Congrès condamne les pratiques opportunistes des sociaux-démocrates autrichiens qui, tout en menant une campagne pour les droits électoraux des hommes, remettent à « une date ultérieure » la lutte pour les droits électoraux des femmes.

Le gouvernement soviétique a établi la pleine égalité des droits pour les hommes et les femmes.

« En Russie, nous n’avons plus la base, la négation méchante et infâme des droits des femmes ou de l’inégalité des sexes, cette survie dégoûtante du féodalisme et du médiévalisme qui est rénovée par la bourgeoisie avaricieuse … dans tous les autres pays du monde sans exception. »

En 1913, en étudiant les formes de la démocratie bourgeoise et en exposant l’hypocrisie de la bourgeoisie, Lénine a également abordé le problème de la prostitution et a montré comment, tout en encourageant l’esclavagisme et le viol des jeunes filles dans les colonies, les représentants de la bourgeoisie prétendaient hypocritement faire campagne contre la prostitution.

Lénine est revenu sur cette question en décembre 1919, lorsqu’il a écrit que l’Amérique « libre et civilisée » réclamait des femmes pour les maisons de débauche dans les pays vaincus.

En relation étroite avec cette question, Lénine a examiné la question de la procréation et a écrit avec indignation contre l’appel de certains intellectuels aux travailleurs pour qu’ils pratiquent le contrôle des naissances au motif que leurs enfants étaient condamnés à la pauvreté et à la privation. C’est une vision petit-bourgeoise, écrivait Lénine. Les travailleurs ont un point de vue différent. Les enfants sont notre avenir. Quant à la pauvreté et ainsi de suite, on peut y remédier. Nous luttons contre le capitalisme et lorsque nous remporterons une victoire, nous construirons un avenir radieux pour nos enfants …

Et enfin, en 1916-17, alors qu’il voyait la révolution socialiste approcher et qu’il réfléchissait aux éléments essentiels de la construction socialiste et à la manière d’attirer les masses dans cette construction, il a particulièrement insisté sur la nécessité d’attirer les femmes travailleuses dans le travail social, la nécessité de permettre à toutes les femmes de travailler au profit de la société. Huit de ses articles rédigés au cours de cette période traitent de cette question, qu’il relie à la nécessité d’organiser la vie sociale sous le socialisme selon de nouvelles lignes. Lénine y voit un lien direct avec la participation des groupes de femmes les plus arriérées à la gestion du pays, la nécessité de rééduquer les masses dans le processus même du travail social.

Le travail social enseigne l’art de gouverner. « Nous ne sommes pas des utopistes », écrivait Lénine avant la révolution d’Octobre. « Nous savons qu’un ouvrier non qualifié ou une cuisinière ne peut pas s’atteler immédiatement au travail de l’administration de l’État. En cela, nous sommes d’accord avec les cadets, avec Breshkovskaya et avec Tsereteli. Nous nous distinguons cependant de ces citoyens en ce que nous exigeons une rupture immédiate avec l’idée préconçue selon laquelle seuls les riches, ou des fonctionnaires choisis dans des familles riches, sont capables d’administrer l’État, d’effectuer le travail administratif ordinaire et quotidien. Nous exigeons que la formation au travail de l’administration de l’État soit assurée par des travailleurs et des soldats conscients de leur classe et que cette formation commence immédiatement, c’est-à-dire que l’on commence immédiatement à former tous les travailleurs, tous les pauvres, à ce travail ».

Nous savons que le gouvernement soviétique a fait tout son possible pour attirer les femmes des villes et des campagnes dans le travail de l’administration. Et nous savons quels grands succès ont été obtenus sur ce front.

Lénine a salué chaleureusement le réveil des femmes de l’Est soviétique. Comme il attachait une importance particulière à l’élévation du niveau des nationalités qui avaient été opprimées par le tsarisme et le capitalisme, on comprend pourquoi il a salué si chaleureusement la conférence des déléguées des départements des femmes des régions et républiques soviétiques de l’Est.

Parlant des réalisations du deuxième congrès de l’Internationale communiste, Lénine a souligné que « le congrès renforcera les liens avec le mouvement communiste des femmes, grâce à la conférence internationale des femmes travailleuses convoquée en même temps ».

En octobre 1932, nous avons célébré le quinzième anniversaire du pouvoir soviétique et avons fait le bilan de nos réalisations sur tous les fronts, y compris celui de l’émancipation des femmes.

Nous savons que les femmes ont pris une part très active à la guerre civile, que beaucoup d’entre elles sont mortes au combat, mais que beaucoup d’autres ont été aguerries au combat. Certaines femmes ont reçu l’Ordre de la bannière rouge pour le rôle actif qu’elles ont joué dans la lutte pour les Soviétiques pendant la guerre civile. De nombreuses anciennes partisanes occupent aujourd’hui des postes importants. Les femmes ont persisté dans leur apprentissage du travail social.

Les conférences des déléguées sont une école de travail social. En 15 ans, près de 10 millions de femmes déléguées sont passées par cette école.

Au moment où nous avons célébré le quinzième anniversaire de la révolution d’octobre, 20 à 25 % des députés des Soviets de village, des comités exécutifs de district et des Soviets de ville étaient des femmes. Il y avait 186 femmes membres du Comité exécutif central de toute la Russie et du Comité exécutif central de l’URSS.

Le nombre de femmes membres du parti communiste est également en constante augmentation. En 1922, elles n’étaient que 40 000, mais en octobre 1932, elles étaient plus de 500 000.

De grands progrès ont été accomplis récemment dans la réalisation des volontés de Lénine concernant l’émancipation complète des femmes.

Au cours des dernières années, la grande industrie s’est développée à une échelle considérable. Elle est en train de se réorganiser sur la base de la technologie moderne et de l’organisation scientifique du travail. L’émulation socialiste et le mouvement des travailleurs de choc qui ont maintenant été largement adoptés stimulent une nouvelle attitude communiste à l’égard du travail. Et il faut dire que les femmes ne sont pas en retard sur les hommes dans ce domaine. Chaque jour, nous voyons de plus en plus de travailleuses de premier plan qui font preuve d’une grande endurance et de persévérance dans le travail. Le travail n’est pas une chose à laquelle les femmes doivent s’habituer. Sous l’ancien régime, la vie des femmes était pleine de travail continu et sans fin, mais c’était le genre de travail qui était méprisé et portait l’empreinte de la servitude. Et maintenant, cette formation au travail et la persévérance dans le travail placent les femmes aux premiers rangs des bâtisseurs du socialisme et des héros du travail.

La collectivisation de l’agriculture était de la plus haute importance pour l’émancipation des femmes. Dès le début, Lénine a considéré la collectivisation de l’agriculture comme une façon de la réorganiser selon les principes du socialisme. En 1894, dans son livre « Ce que sont les amis du peuple », Lénine a cité les mots de Marx selon lesquels, après « l’expropriation des expropriateurs », c’est-à-dire lorsque les propriétaires terriens seront dépossédés de leurs terres et les capitalistes de leurs usines, les travailleurs libres seront réunis en coopératives et la propriété communale (« collective », comme l’expliquait Lénine) de la terre et des moyens de production qu’ils créent sera établie.

 Après la révolution d’Octobre, qui a marqué le début de « l’expropriation des expropriateurs », le gouvernement soviétique a soulevé la question de l’organisation des artels (coopératives de production, ndlt) agricoles et des communes. Une attention particulière a été accordée à cette question en 1918 et 1919, mais de nombreuses années se sont écoulées (comme l’avait prédit Lénine) avant que la collectivisation ne devienne étendue et ne s’enracine profondément. Les années de la guerre civile, lorsque la lutte des classes a balayé le pays, la progression du pouvoir soviétique dans les villages, l’aide, l’assistance culturelle apportée par le gouvernement soviétique aux campagnes, tout cela a préparé le terrain pour la collectivisation, qui se développe et se renforce dans la lutte contre les koulaks.

Les petits et moyens paysans ont enchaîné les femmes, les ont attachées aux ménages individuels et ont réduit leurs perspectives ; elles étaient en fait les esclaves de leurs maris, qui les battaient souvent cruellement. La petite agriculture a ouvert la voie à la religion. Les paysans disaient : « Chacun pour soi et Dieu pour tous. » Lénine a cité ce dicton à de nombreuses reprises, car il exprimait parfaitement la psychologie d’un petit propriétaire. La collectivisation transforme le paysan d’un petit propriétaire en un collectiviste, met fin à l’isolement des paysans et à l’emprise de la religion et émancipe les femmes. Lénine disait que seul le socialisme apporterait l’émancipation des femmes. Ses paroles se réalisent aujourd’hui. Nous pouvons voir comment la position des femmes a changé dans les fermes collectives.

Le Congrès des agriculteurs collectifs de premier plan qui s’est tenu à la mi-février est une preuve frappante des progrès réalisés dans la culture collective de la terre. Il y a maintenant 200 000 fermes collectives, contre 6 000 auparavant. Le Congrès a discuté de la meilleure façon d’organiser le travail dans les fermes collectives. Il y avait beaucoup de femmes parmi les délégués. Sopina, une agricultrice collective de la région centrale de la Terre Noire, a prononcé un beau discours qui a suscité de vifs applaudissements. Lorsqu’elle participe au développement des fermes collectives, la paysanne prend de l’envergure, apprend à gouverner et à lutter résolument contre les koulaks, l’ennemi de classe …

La religion perd du terrain. Maintenant, les femmes des fermes collectives viennent à la bibliothèque et disent « Vous me donnez toujours des livres qui disent simplement qu’il n’y a pas de Dieu. Je le sais sans lire de livres. Donnez-moi un livre qui me dira comment et pourquoi la religion est née et comment et pourquoi elle va disparaître ». Ces dernières années, la conscience politique des masses s’est considérablement développée. Les départements politiques des « stations de machines et de tracteurs » (dont les membres comprennent également des femmes organisatrices) aideront non seulement à consolider les fermes collectives, mais aussi les agriculteurs collectifs, hommes et femmes, à se débarrasser des préjugés survivants et du retard culturel ; le manque de droits pour les femmes deviendra une chose du passé.

Dix ans se sont écoulés depuis le jour de la mort de Lénine. En ce triste jour, nous vérifierons l’accomplissement de tous les ordres de Lénine. Nous devons résumer les résultats. La volonté de Lénine concernant l’émancipation des femmes se réalise sous la direction du Parti. Nous continuerons à avancer sur cette voie.