Vingt et unième leçon

Principes fondamentaux de philosophie

Georges Politzer

QUATRIEME PARTIE – LE MATERIALISME HISTORIQUE

Vingt-et-unième leçon. — Du socialisme au communisme 

   Le but de l’économie socialiste, tel qu’il résulte de la loi économique fondamentale du socialisme, c’est, avons-nous vu, la satisfaction maxima des besoins matériels et culturels de la société. Et il ne peut en être autrement dès que la propriété privée a disparu. Cependant cela ne veut pas dire que chaque membre de la société puisse immédiatement recevoir selon ses besoins de façon illimitée. Dans la société socialiste chacun reçoit selon le travail fourni. Il faut donc distinguer deux phases dans le développement de la société basée sur la propriété sociale : une première phase, qu’on appelle « socialisme », et une phase supérieure, qu’on appelle « communisme ». Cette distinction a été scientifiquement établie par Marx.

1. La première phase de la société communiste

   Considéré par rapport à la société communiste pleinement développée, le socialisme que nous venons d’étudier n’est encore qu’une première phase. Son principe est : « de chacun selon ses capacités, à chacun selon son travail ». Mais le principe du communisme, c’est « de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins ». Il est bien vrai que le principal obstacle à ce que chacun reçoive selon ses besoins dans le monde moderne, c’est l’exploitation capitaliste qui gaspille les richesses de l’industrie humaine. Le premier résultat de la suppression de l’exploitation de l’homme par l’homme, c’est que le travailleur peut recevoir selon le travail fourni, sans qu’une partie de la richesse qu’il a produite lui soit volée. Quant à recevoir chacun selon ses volontés et ses besoins, il faut pour cela que la société en vienne à produire suffisamment de moyens de consommation. Le but, le communisme, est donc recherché dès les premières mesures du nouveau pouvoir qui tendent à accroître la production ; mais ce ne sont pas encore les besoins illimités de chacun qui peuvent, à ce stade, fournir le principe de la répartition. En effet toute augmentation de la production, si on veut qu’elle ne se fasse pas par à-coups et ne reste pas sans lendemain, doit commencer par l’augmentation de la production des moyens de production. Avant de satisfaire les besoins de la consommation individuelle, il faut satisfaire les besoins matériels de la société en moyens de production. Or le plus souvent, nous l’avons vu (voir la 20e leçon, point IV), la société capitaliste lègue au socialisme une situation fort mauvaise, où la production des moyens de production et celle des moyens de consommation ne sont pas proportionnées l’une à l’autre. Par exemple, en Tchécoslovaquie, le capitalisme avait développé une industrie légère qui assurait à la bourgeoisie de ce pays, dit « industrialisé », un haut niveau de vie, mais qui dépendait en majeure partie de l’industrie lourde des grands pays capitalistes.

   La formule du socialisme : « de chacun selon ses capacités, à chacun selon son travail », correspond donc au fait que dans la première phase de la société communiste doit exister une mesure de la consommation.

   Où trouver cette mesure ? Dans le travail évidemment. C’est en effet la quantité et la qualité du travail fourni par chaque individu qui détermine la part qu’il prend à la production sociale ; c’est la seule façon juste de mesurer la consommation à laquelle il a droit. — Au surplus, le travail est la condition même de l’essor des forces productives, donc la condition de l’avènement ultérieur du communisme. Ainsi la rémunération du travail fourni prépare le passage à un stade où elle ne sera plus nécessaire pour mesurer la consommation individuelle !

   D’ailleurs le principe du socialisme — « de chacun selon ses capacités, à chacun selon son travail » — constitue un immense pas en avant par rapport au capitalisme exploiteur, où le travailleur ne reçoit jamais selon son travail.

   Dans la société socialiste subsiste donc nécessairement l’obligation pour les individus de se procurer par l’achat les bien nécessaires à la vie, et cette obligation est la seule forme possible de répartition des biens de consommation courante. Outre cette répartition, les besoins matériels et culturels des masses sont satisfaits au maximum par les avantages sociaux — par exemple la gratuité des soins médicaux — et les institutions culturelles qu’ignore le capitalisme.

   Il faut aussi considérer que l’accroissement de la production, qui permettra de répartir les biens de consommation selon les besoins de chacun, est impossible sans un développement considérable de la technique. Un tel essor technique exige que la qualification des travailleurs, leur culture atteignent un degré bien supérieur à celui où les maintient le capitalisme, qui prive les masses de l’instruction et de la science. Or, tant que le travail n’est pas devenu pour l’individu un besoin aussi naturel que le besoin de respirer ou de marcher, un des moyens d’encourager le progrès et la qualification des travailleurs, c’est que chacun reçoive selon la qualité du travail fourni.

   Les promesses illusoires du capitalisme, qui veut persuader les travailleurs qu’il peut améliorer leur niveau de vie s’ils améliorent leur qualification, deviennent une réalité sous le socialisme, parce que l’exploitation a disparu.

   Ainsi, pour comprendre la première phase de la société communiste, il faut ne pas oublier l’obligation où elle est de liquider dans tous les domaines le lourd héritage du capitalisme :

   « Ce à quoi nous avons affaire ici, c’est à une société communiste, non pas telle qu’elle s’est développée sur les bases qui lui sont propres, mais au contraire, telle qu’elle vient de sortir de la société capitaliste ; une société, par conséquent, qui, sous tous les rapports, économique, moral, intellectuel, porte encore les stigmates de l’ancienne société, des flancs de laquelle elle est sortie. » (Marx-Engels : Critique des programmes de Gotha et d’Erfurt, p. 23. Editions Sociales, Paris, 1950.)

   Quand on dit que la société socialiste donne à chacun selon son travail, on ne veut pas dire que chacun reçoit individuellement et directement le produit intégral de son travail. C’est là une utopie petite-bourgeoise. En effet, si l’on considère l’ensemble du produit du travail social, il est clair qu’il faut en défalquer d’abord un fonds de réserve, un fonds destiné à accroître la production, un autre destiné à remplacer les machines usagées, etc. Si l’on considère les moyens de consommation, il faut défalquer un fonds pour les frais d’administration, un autre pour les écoles, les hôpitaux, les hospices de vieillards, etc.

   Tout ce qui précède nous aide à comprendre l’importance de l’article 12 de la Constitution soviétique

   « Le travail est pour chaque citoyen apte au travail un devoir et une question d’honneur, selon le principe : « Qui ne travaille pas, ne mange pas ». »

   C’est bien pourquoi, en société socialiste, l’égalité consiste à donner à chacun selon son travail, c’est-à-dire inégalement, une fois assuré bien entendu à chacun ses moyens d’existence (grâce à la suppression de l’exploitation). Il ne faut donc pas assimiler le socialisme à un égalitarisme utopique.

   « Quant à l’égalitarisme, qui consisterait à ramener tous les hommes sous la même toise, écrit Maurice Thorez, c’est une impossibilité sociale : il y a des inégalités de nature entre les hommes, dues à leurs aptitudes biologiques et psychologiques. L’inégalité que les communistes veulent supprimer, c’est l’inégalité qui résulte de l’existence des classes. Dans la société capitaliste, les individus ne bénéficient pas d’une chance égale pour le développement de leur personnalité. Le millionnaire et le chômeur sont déclarés égaux devant la loi et libres l’un et l’autre, mais cette liberté conduit l’un dans les palaces de la Riviera et l’autre sous les ponts. L’homme de l’avenir ne sera pas un « robot » standardisé et mécanisé, ce sera une individualité libre et forte dont les capacités et les talents s’épanouiront largement. » (Maurice Thorez : Fils du peuple, p. 243.)

   L’ « inégalité » dans la société socialiste consiste en ceci que des individus dont les besoins sont comparables, mais les capacités inégales, reçoivent chacun selon son travail, selon son apport à la collectivité, c’est-à-dire inégalement. Le stakhanoviste reçoit plus que le non-stakhanoviste — non point par privilège (il n’y a plus de privilégiés dans une société sans classe exploiteuse), — mais parce que, travailleur d’élite et novateur, il apporte plus à l’ensemble de la société, donc à chacun de ses membres. [Loin d’être un privilège, la rémunération du stakhanoviste est un effet du droit socialiste ; Lénine faisait remarquer : « Tout droit consiste dans l’application d’une règle unique à des gens différents, à des gens qui, en fait, ne sont ni identiques ni égaux. » (L’État et la révolution, p. 84.)]

   Par contre, l’ « inégalité » dans la société communiste consistera en ceci : des individus ayant des capacités inégales et fournissant par conséquent à la société un travail différent (en quantité et qualité) recevront néanmoins de façon équivalente, chacun selon ses besoins maxima. Pourquoi ? Parce que la production sera suffisamment élevée pour qu’il en soit ainsi désormais.

   Dans la société socialiste règne donc nécessairement un contrôle rigoureux de la mesure du travail et, par ce fait même, de la mesure de la consommation. Le travail est une obligation, mais elle a pour contre-partie que chacun reçoit, en stricte justice, selon le travail fourni. Il n’y a plus ni privilégiés ni profiteurs ; le travail est souverain.

   « Dans la société socialiste, il existe encore une certaine inégalité des biens. Mais dans la société socialiste, il n’existe déjà plus de chômage, ni d’exploitation, ni d’oppression des nationalités. Dans la société socialiste, chacun est obligé de travailler, bien qu’il ne reçoive pas encore pour son travail selon ses besoins, mais selon la quantité et la qualité du travail fourni. Pour cela il existe encore un salaire, et même inégal et différencié. Ce n’est que lorsqu’on réussira à créer un régime sous lequel les gens recevront de la société, pour leur travail, non pas selon la quantité et la qualité du travail, mais selon leurs besoins, qu’on pourra dire que nous avons édifié la société communiste. » (Staline : « Déclaration à Roy Howard », Cahiers du communisme, n° 11 (1948), p. 1315.)

2. La phase supérieure de la société communiste

   « Dans une phase supérieure de la société communiste, quand auront disparu l’asservissante subordination des individus à la division du travail, et, avec elle, l’opposition entre le travail intellectuel et le travail manuel ; quand le travail ne sera pas seulement un moyen de vivre, mais deviendra lui-même le premier besoin vital ; quand avec le développement multiple des individus, les forces productives se seront accrues, elles aussi, et que toutes les sources de la richesse collective jailliront avec abondance, alors seulement l’horizon borné du droit bourgeois pourra être définitivement dépassé et la société pourra écrire sur ses drapeaux : « De chacun selon ses capacités à chacun selon ses besoins ». » (Marx-Engels ; Critique des programmes de Gotha et d’Erfurt, p. 25.)

   Le principal « argument » de la bourgeoisie concernant le caractère prétendument « irréalisable » du communisme, c’est que la société ne saurait donner à chacun « selon ses besoins », c’est-à-dire gratuitement, sans que chacun essaie aussitôt d’ « en faire le moins possible » et qu’ainsi la disette s’instaure rapidement ! Pour la bourgeoisie, l’homme, en proie au « péché originel », est — éternellement et par nature — un paresseux qui ne travaille que contraint et forcé en essayant de tirer le meilleur parti du travail d’autrui. La bourgeoisie ne fait ainsi que refléter sa propre conception du « travail » ! Quant à la mentalité qui se limite à « l’étroit horizon du droit bourgeois », au calcul avec l’âpreté d’un Shylock [Personnage de Shakespeare : usurier] : « Il ne faut pas que je travaille une demi-heure de plus qu’un autre, ni que je touche un salaire moindre » [Lénine : L’Etat et la révolution.], elle n’est que le produit des conditions de l’exploitation capitaliste et d’ailleurs parfaitement compréhensible en ce cas !

   Les conditions millénaires de l’exploitation de l’homme par l’homme ont créé l’hostilité pour le travail généralement excessif et exténuant. Le faible développement des forces productives jusqu’à une époque assez récente, et, sous le capitalisme, l’absence totale du souci d’alléger la tâche des travailleurs par une technique appropriée, ont fait du travail une activité pénible. Enfin, la division du travail, qui fut à l’origine une condition du progrès des forces productives, a rivé chaque homme pour la vie au même travail, — en particulier dans l’industrie moderne où chaque homme est prisonnier d’une activité parcellaire ; ajoutons que la division entre le travail intellectuel et le travail manuel, en privant le travailleur manuel de toute activité créatrice, a dépouillé le travail manuel de tout attrait. C’est pour ces raisons que le travail est devenu corvée.

   Mais une telle situation n’a rien d’éternel. Engendrée par des conditions matérielles données, d’autres conditions la feront disparaître. Helvétius déjà pensait qu’une activité productrice modérée et saine est vitalement nécessaire à l’homme, à son bonheur ; les maux, selon lui, ne peuvent venir que de l’oisiveté ou du travail exténuant. Fourier a célébré le « travail attrayant » qui, correspondant aux goûts, aux aptitudes et aux talents du travailleur, serait le lot de la société future. Dans les sociétés divisées en classes, l’activité artistique ou scientifique donne une image de ce que peut être le travail de tout homme en société communiste, un travail qui n’est plus corvée, mais épanouissement. Encore faut-il observer que la comparaison est bien imparfaite, car en société capitaliste artistes et savants ne sont pas toujours à l’abri du besoin et voient leur effort créateur limité par le régime d’exploitation.

   En société communiste, la technique d’avant-garde combine le travail manuel et le travail intellectuel, en même temps qu’elle permet de réduire la durée du travail, laissant au travailleur loisir d’élever sa qualification et lui donnant ainsi la possibilité de n être pas rivé toute sa vie à la même tâche. Le travail ne mutilera plus la personnalité de l’homme, mais il en sera l’expression la plus haute. C’est par lui que chacun épanouira ses talents ; le travail libéré de l’exploitation sera devenu le besoin fondamental de tout individu.

   Chacun donnera selon ses capacités. Ici encore la mentalité bourgeoise est impuissante à comprendre, parce que pour elle le moteur de toute activité humaine, c’est l’intérêt privé, opposé à l’intérêt commun. Mais plus progresse la société communiste, plus s’affirme la conscience socialiste, pour qui l’intérêt personnel et l’intérêt commun s’identifient. La conscience de l’intérêt de la société entière devient une habitude aussi « naturelle » que l’âpre calcul d’un Shylock est « naturel » sous le capitalisme. Comme la propriété privée est aujourd’hui dans les mœurs, le socialisme, le communisme entreront dans les mœurs. Les hommes se seront si bien habitués à observer les règles fondamentales de la vie en société qu’ils travailleront volontairement et consciencieusement selon leurs capacités, et puiseront librement parmi les moyens de consommation, selon leurs besoins.

   La révolution socialiste n’est ainsi, on le voit, que le début d’une longue transformation de la société et des hommes.

   « Ce qui importe, c’est de voir à quel point est mensongère l’idée bourgeoise courante que le socialisme est quelque chose de mort, de figé, de donné une fois pour toutes, alors qu’en réalité c’est seulement avec le socialisme que commencera dans tous les domaines de la vie sociale et privée un mouvement de progression rapide, véritable, un réel mouvement de masse auquel participera d’abord la majorité, et puis la totalité de la population. » (Lénine : L’Etat et la révolution, p. 90.)

   Mais évidemment le communisme suppose la disparition du « petit bourgeois d’aujourd’hui, capable… de gaspiller » inutilement « les richesses publiques et d’exiger l’impossible ». [Idem, p. 92. Pour la critique de la mentalité petite-bourgeoise, nous conseillons la lecture de Gorki : Les Petits bourgeois. (Editions de la Nouvelle Critique) et des œuvres poétiques de Maïakovski.] Bien entendu, ce petit bourgeois se croit immortel. Il est sottement persuadé que son égoïsme et son étroitesse sculptent le visage de l’Homme éternel. Quand les marxistes disent que l’homme se transforme et se transformera avec les sociétés, il hausse les épaules et parle d’ « utopie ». L’utopie, c’est bien plutôt de croire que l’idéologie du petit bourgeois subsistera indéfiniment quand ses conditions sociales d’existence auront disparu.

   Toutefois la « discipline d’atelier » que le prolétariat vainqueur étendra à toute la société n’est pas un idéal, ni un but final, mais seulement un

   « échelon nécessaire pour pouvoir débarrasser radicalement la société des vilenies et des ignominies de l’exploitation capitaliste et pour assurer la marche ultérieure en avant. » (Lénine : L’Etat et la Révolution, p. 92.)

   Staline, tirant les enseignements des travaux de Marx, d’Engels et de Lénine a énuméré comme suit les traits de la société communiste :

   « a) il n’y aura pas de propriété privée des instruments et moyens de production qui seront propriété sociale, collective ;

b) il n’y aura pas de classes ni de pouvoir d’Etat [Lorsque la bourgeoisie comme classe sera vaincue dans le monde entier.], mais il y aura des travailleurs de l’industrie et de l’agriculture, s’administrant économiquement eux-mêmes, comme association libre de travailleurs ;

c) l’économie nationale organisée d’après un plan, sera appuyée sur une technique supérieure tant dans le domaine de l’industrie que dans celui de l’agriculture ;

d) il n’y aura pas de contraste entre la ville et les campagnes, entre l’industrie et l’agriculture ;

e) les produits seront répartis suivant le principe des vieux communistes français : « De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins » ;

f) la science et les arts bénéficieront de conditions suffisamment favorables pour arriver à leur plein évanouissement ;

g) l’individu, libre du souci du pain quotidien et de la nécessité de chercher à plaire aux « puissants de ce monde », deviendra réellement libre… » (Staline : « Entretien avec la première délégation des ouvriers américains », dans Les questions du léninisme, II., p. 38-39.)

   Et Staline ajoutait : « Et ainsi de suite ». Partant de l’expérience historique de l’édification du socialisme en U.R.S.S., Staline, dans la dernière année de sa vie, a concrétisé magistralement les idées élaborées par Marx, Engels et Lénine et a défini les conditions du passage du socialisme au communisme.

3. Forces productives et rapports de production sous le socialisme

   Le socialisme et le communisme ont entre eux une parenté profonde : la propriété sociale, collective des moyens de production. La loi économique fondamentale du socialisme illustre parfaitement cette continuité entre les deux phases du communisme, puisque déjà dans la première phase le but de la production, c’est la satisfaction maxima des besoins. Il n’y a donc pas une « muraille de Chine » entre les deux phases. Cependant la propriété sociale revêt des formes diverses ; nous avons vu que sous le socialisme tel qu’il est réalisé en U.R.S.S., il y a deux formes de propriété sociale. La société communiste est caractérisée, non seulement par le fait qu’il n’y a plus d’antagonisme de classes, mais aussi par le fait qu’il n’y a plus de classes du tout. C’est donc qu’il n’y a plus qu’une forme de propriété sociale, la propriété collective du peuple tout, entier. On voit qu’il y a une différence entre les deux phases du communisme : dans le principe qui préside à la répartition des produits d’abord ; mais aussi dans les rapports de production, qui doivent permettre un tel développement des forces productives qu’il soit possible de faire régner l’abondance pour tous. Or, pour que changent les rapports de production, il faut qu’aient changé d’abord les forces productives, nous le savons.

   Les choses se passent-elles ainsi pour le socialisme ? Inévitablement ! La loi de correspondance nécessaire entre les rapports de production et le caractère des forces productives est une loi universelle valable pour tous les modes de production sans exception. C’est l’action réciproque des rapports de production et des forces productives qui est la base objective du passage du socialisme au communisme. Aucun marxiste ne peut raisonner autrement et croire que la société socialiste passe au communisme à n’importe quel moment !

   Nous savons que les rapports de production nouveaux, socialistes, sont le principal moteur du développement des forces productives. Mais les rapports de production, dans le cas de l’U.R.S.S., sont caractérisés par ce fait qu’à côté de la propriété d’Etat, bien du peuple tout entier, existe la propriété socialiste de groupe, kolkhozienne: le kolkhoz est propriétaire de ses entreprises, de ses bâtiments, de sa production.

   La première forme de propriété est entièrement conforme au caractère des forces productives ; l’Etat socialiste, l’actualité en témoigne, est parfaitement à même d’entreprendre des travaux gigantesques, tels que d’irriguer les déserts et transformer le climat des steppes ! Mais la seconde ne l’est pas entièrement : supposons qu’un kolkhoz veuille électrifier les travaux agricoles, par exemple les tracteurs, la tonte des moutons, la traite des vaches, etc. Il y a évidemment intérêt à construire une grande centrale électrique qui desservira 4 ou 5 kolkhoz, plutôt qu’une petite qui ne desservira que le kolkhoz considéré et lui vaudra de gros frais. Si le kolkhoz ne veut pas s’associer aux kolkhoz voisins, la centrale risque de ne jamais être construite. Ce qui veut dire que la technique hautement développée, tant de l’agrobiologie que du matériel agricole, et développée grâce aux rapports de production socialistes, risque de ne pouvoir être mise en œuvre dans de petits kolkhoz. [Voir le roman de G. Nicolaieva : La Moisson.] Marx enseignait que les forces productives ne se développent que dans les limites des rapports de production. Le marxisme ne se réduit pas à une science de l’organisation des forces productives. Il exige qu’on étudie les rapports de production, l’économie. Or, en l’occurrence, la propriété socialiste de groupe kolkhozienne, qui a permis un développement prodigieux de l’agriculture socialiste, se présente comme un frein au développement ultérieur des forces productives à la campagne. Cet essor de l’agriculture et de l’élevage est nécessaire à l’accroissement des biens de consommation, donc à l’édification du communisme. Il faut donc que la propriété socialiste de groupe s’élargisse, que les kolkhoz soient regroupés pour former de plus grands kolkhoz. Sinon les rapports de production — le kolkhoz — qui ont jusqu’ici favorisé les forces productives freineraient leur essor, entreraient en conflit avec elles. Ainsi restent-ils conformes au caractère des forces productives.

   Mais ce n’est pas tout. Tant que subsiste la circulation des marchandises — par achat et vente — entre la campagne et la ville, les kolkhoz ont la possibilité de vendre leur production et de disposer à leur gré des revenus ainsi acquis ; il n’est donc pas facile de prévoir leurs opérations. Dès lors il n’est pas possible, au moment même où augmente la production des moyens de consommation, d’établir une proportion rigoureuse entre la production des moyens de production et celle des moyens de consommation, ni par conséquent de planifier entièrement la production en recensant la totalité des besoins. Or, ce recensement est primordial si l’on veut pouvoir passer à l’abondance des produits. Par conséquent la circulation des marchandises (vente, achat) risque de devenir un frein au développement planifié des forces productives. Au contraire, un système d’échange des produits par contrats entre l’Etat et les kolkhoz permet cette planification, tout en étant pleinement avantageux pour les kolkhoziens qui recevront de l’Etat les produits dont ils ont besoin en quantité beaucoup plus grande et à meilleur marché.

   C’est bien l’action réciproque des rapports de production et des forces productives, la dialectique interne du mode de production qui forment la base des changements qui s’opèrent. Seulement dans la société socialiste, la loi de correspondance nécessaire peut se frayer son chemin sans que des classes réactionnaires cherchent à s’opposer par intérêt à son action. Il n’existe pas d’antagonisme de classes. Les ouvriers tout comme les kolkhoziens ont un intérêt de classe au développement des forces productives, à l’augmentation de la production, au passage au communisme et à l’abondance. C’est pourquoi le désaccord — relatif — entre les rapports de production et les forces productives peut ne pas aboutir à un conflit ; les contradictions peuvent ne pas dégénérer en antagonisme, à condition que soit menée une politique juste basée précisément sur la science des contradictions.

   « En régime socialiste, les choses ne vont pas habituellement jusqu’à un conflit entre les rapports de production et les forces productives, la société a la possibilité de faire concorder en temps utile les rapports de production retardataires et le caractère des forces productives. La société socialiste a la possibilité de le faire parce qu’elle n’a pas, dans son sein, de classes déclinantes pouvant organiser la résistance. Certes, dans le régime socialiste également, il y aura des forces d’inertie retardataires ne comprenant pas la nécessité de modifier les rapports de production, mais il sera, évidemment, facile d’en venir à bout, sans pousser les choses jusqu’à un conflit. » (Staline : « Les problèmes économiques du socialisme en U.R. S.S. », Derniers écrits, p. 140.)

   Quant à l’Etat soviétique, bien loin d’être un obstacle au changement des rapports de production comme l’Etat capitaliste, il reflète les intérêts des ouvriers et des paysans alliés : bien loin de s’opposer à l’action de la loi de correspondance nécessaire, il prend toutes mesures utiles pour lui frayer la voie et accélérer la modification des rapports de production. C’est ici qu’apparaît son rôle immense dans le passage du socialisme au communisme. Selon la formule de Lénine : « Le communisme, c’est le pouvoir des Soviets, plus l’électrification de tout le pays ». Si donc l’Etat n’est pas un obstacle aux changements nécessaires, mais les favorise, le passage du socialisme au communisme, contrairement au passage du capitalisme au socialisme, ne se fait pas par explosion. Il n’en est pas moins un changement qualitatif dans les rapports de production, puisque l’on passera de deux formes de propriété à une seule, de deux classes à la société sans classes. Mais ce sera un passage qualitatif graduel, par accumulation du nouveau et disparition progressive de l’ancien.

   « Il faut dire en général, à l’intention des camarades qui se passionnent pour les explosions, que la loi qui préside au passage de la qualité ancienne à une qualité nouvelle au moyen d’explosions n’est pas seulement inapplicable à l’histoire du développement de la langue, mais qu’on ne saurait non plus l’appliquer toujours à d’autres phénomènes sociaux qui concernent la base… Elle est obligatoire pour une société divisée en classes hostiles. Mais elle ne l’est pas du tout pour une société qui ne comporte pas de classes hostiles. » (Staline : « A propos du marxisme en linguistique », Derniers écrits, p. 35.)

   Le passage du socialisme au communisme n’a pas pour condition le renversement du pouvoir d’une classe par une classe antagoniste, le passage d’un contraire au pôle opposé, mais simplement la disparition graduelle des différences entre deux classes ; il n’y a donc aucune raison pour qu’il se fasse par explosion. Là où il n’y a plus d’antagonismes de classes, la lutte des classes n’est plus le moteur de l’histoire.

   N’y a-t-il donc plus de moteur du tout ? Le croire serait une erreur.

   L’intérêt des travailleurs c’est de passer au communisme en s’appuyant sur les lois de l’économie. Il y a donc une partie consciente de la société qui représente les forces nouvelles d’avant-garde, tandis que des éléments retardataires, par routine ou toute autre raison, ne comprennent pas la nécessité de modifier les rapports de production, freinent les changements et représentent des forces anciennes. Le moteur de l’histoire, c’est donc ici aussi la lutte : la lutte entre ces forces de progrès et ces forces conservatrices, entre le nouveau et l’ancien.

   Le passage du socialisme au communisme n’est pas une idylle. [Le très beau film soviétique : Le Chevalier à l’étoile d’or, décrit, au sein d’un kolkhoz, cette lutte pour le passage au communisme.] C’est pourquoi la critique et l’autocritique sont les véritables forces motrices de la société soviétique : critique pour aboutir à des changements réels, objectifs, immédiats ; autocritique parce que la lutte entre l’ancien et le nouveau se déroule aussi dans l’individu lui-même, et qu’il convient d’extirper les survivances du capitalisme dans la conscience des hommes.

   « Dans notre société soviétique, où les classes antagonistes ont été supprimées, la lutte entre l’ancien et le nouveau et, par suite, le développement de l’inférieur au supérieur, s’opère non pas sous forme de lutte entre les classes antagonistes et sous forme de cataclysmes, comme c’est le cas en régime capitaliste, mais sous forme de critique et d’autocritique, véritable force motrice de notre développement, arme puissante aux mains du Parti. C’est là assurément une nouvelle forme de mouvement, un nouveau type de développement, une nouvelle loi dialectique. » (A. Jdanov : « Discours prononcé au cours de la discussion sur le livre de G. Alexandrov », Sur la littérature, la philosophie et la musique, p. 62-63, Editions de la Nouvelle Critique, Paris, 1950.)

   On voit que les conditions subjectives dans le passage au communisme ne sont pas moins importantes que pour l’édification du socialisme, et qu’ici encore l’action en retour des idées, de la conscience socialiste sur les conditions matérielles, est considérable.

   « Nos écrivains et nos peintres doivent stigmatiser les vices, les défauts, les phénomènes malsains qui existent dans la société et montrer dans les personnages positifs les hommes de type nouveau, dans toute la splendeur de leur dignité humaine, contribuant ainsi à former chez les hommes de notre société des caractères et des habitudes exempts des plaies et des vices engendrés par le capitalisme… Il nous faut des Gogol et des Chtchédrine soviétiques qui, par le feu de leur satire, brûleraient tout ce qu’il y a dans la vie de négatif, de pourri, de mort, tout ce qui freine le mouvement en avant. » (Malenkov : Rapport au XIXe Congrès du P.C.U.S., p. 63-64.)

   Etant donné le rôle de l’Etat soviétique et le rôle des idées dans le passage du socialisme au communisme, on comprend que ce passage ne peut s’effectuer avec succès sans la direction politique et idéologique du Parti des travailleurs soviétiques, armé de la théorie scientifique. Les communistes doivent être capables de faire face à des responsabilités accrues: c’est cette exigence historique que reflètent les nouveaux statuts adoptés en octobre 1952 par le Parti communiste de l’Union soviétique.

4. Les conditions du passage du socialisme au communisme

   Nous pouvons comprendre maintenant les trois conditions majeures qu’il est indispensable de réaliser pour préparer le passage au communisme, passage réel, et non « purement déclaratif », et que Staline a clairement définies dans son dernier ouvrage. Conformément aux enseignements du marxisme, la première concerne la production, la deuxième la base économique, la troisième la transformation culturelle de la société.

  1. La première condition concerne la production. Nous savons en effet que, contrairement aux théories petites-bourgeoises, telle que « l’économie distributive », le « communisme de consommation » ou « l’économie de l’abondance », le marxisme ne détache jamais la consommation de la production. Si l’on veut pouvoir assurer « à chacun selon ses besoins », il ne suffit pas de s’enthousiasmer pour l’objectif, il faut prendre les moyens de l’atteindre. Il est donc indispensable

   « d’assurer solidement non pas une « organisation rationnelle » mythique des forces productives, mais une croissance continue de toute la production sociale avec primauté pour la croissance de la production des moyens de production. » (Staline : « Les problèmes économiques du socialisme en U.R.S.S. », Derniers écrits, p. 155)

   Nous remarquons qu’en ce qui concerne la production, il serait tout à fait faux de tenir l’organisation, la planification, pour une fin en soi. Le but, c’est l’accroissement de la production, et ce but est lui-même subordonné à un autre, la satisfaction maxima des besoins, c’est-à-dire l’homme. La loi de développement harmonieux de l’économie, qui permet la planification, n’est pas la loi fondamentale de l’économie socialiste ; la loi fondamentale du socialisme, c’est la loi de la satisfaction maxima des besoins matériels et culturels de toute la société.

   L’accroissement de la production, nous le savons, se fait sous le socialisme sur la base d’une technique supérieure qui permet d’élever la productivité du travail de façon telle qu’il soit non seulement possible d’accroître la production dans le même temps de travail, mais encore en le diminuant. Au surplus cette technique supérieure, scientifique, efface progressivement les différences entre le travail manuel et le travail intellectuel, ce qui est un trait du communisme: le moyen là encore est également un but ; l’homme du communisme qui est, avec tous ses besoins, le but final, est déjà présent dans l’homme qui prépare le communisme et qui épanouit tous ses talents. Nulle part ne s’illustre mieux la vérité dialectique de l’identité du but et des moyens, nulle part on ne voit mieux que l’homme est le commencement et la fin du communisme, son « capital le plus précieux ».

   L’accroissement de la production signifie encore, qu’après la suppression des antagonismes de classes, la lutte qui prend le premier plan, — quoiqu’elle ne se déploie que dans les limites des rapports de production, dans les limites de la lutte entre l’ancien et le nouveau, — c’est la lutte contre la nature : pour préparer le communisme, il faut transformer la nature, le relief, le climat, aménager le réseau hydrographique et les forêts, assécher les marécages, supprimer les déserts, régénérer les sols, créer de nouvelles espèces animales et végétales, étendre les moyens de communication, mécaniser en totalité les travaux pénibles, etc.. Les grands chantiers du communisme sont une illustration de cette lutte grandiose contre la nature.

   Mais pour pouvoir poursuivre le développement des forces productives, il faut modifier les rapports de production. Donc :

  1. La deuxième condition concerne la base économique, le régime de propriété. Il importe d’après ce que nous avons vu,

   « par étapes graduelles, avec profit pour les kolkhoz et, par conséquent pour toute la société, de porter la propriété kolkhozienne au niveau de la propriété nationale et de substituer à la circulation des marchandises, également par étapes graduelles, un système d’échange des produits, afin que le pouvoir central ou un autre centre social économique quelconque puisse disposer de tous les produits de la production sociale dans l’intérêt de la société. » (Staline : « Les problèmes économiques du socialisme en U.R.S.S. », Derniers écrits, p. 156.)

   Par ces moyens est réalisée au mieux, à chaque étape du développement social, l’entière correspondance entre les rapports de production et les forces productives ; c’est ainsi que du 1er juillet 1950 à octobre 1952 on est passé de 240.000 à 97.000 kolkhoz. Le regroupement de la propriété kolkhozienne par la fusion des kolkhoz, c’est-à-dire sans expropriation, prépare ainsi la disparition de la différence essentielle entre l’industrie et l’agriculture — différence qui concerne le mode de propriété sociale, — et annonce par conséquent la société sans classes où ne régnera plus que la propriété socialiste du peuple entier, et où la sphère de la circulation des marchandises, progressivement limitée, aura cédé la place à un système d’échange des produits. Mais pour arriver à ce stade il faut qu’une conscience nouvelle triomphe de l’ancienne. Donc :

  1. La troisième condition est d’ordre culturel, puisque, nous le savons, il ne peut y avoir de communisme si le travail ne devient pas un besoin vital et si les règles fondamentales de la vie en société ne deviennent pas des habitudes.

   Il importe par conséquent :

   « de parvenir à un essor culturel de la société assurant à tous ses membres le développement dans tous les domaines de leurs dons physiques et intellectuels, afin que les membres de la société puissent recevoir une instruction suffisante pour devenir des artisans actifs du développement social, pour qu’ils soient à même de choisir librement une profession et ne soient pas rivés, en vertu de la division du travail existante, à une seule profession pour toute la durée de leur vie. » (Idem, p. 157.)

   Transformer chaque citoyen en artisan actif du développement social, cela correspond entièrement à la haute conception que se fait le marxisme du rôle des idées qui agissent en retour sur la vie matérielle de la société, à la haute conception qu’il se fait de l’action des hommes dans l’histoire, de la liberté de l’homme comme créateur, il est clair, que — si l’homme ne devient pas un artisan actif, conscient du développement social, et s’il n’est pas libre de choisir son travail, — jamais la propriété sociale ne deviendra une habitude ni le travail un besoin.

   Que faut-il pour atteindre ce résultat ? Il faut de « sérieuses modifications dans la situation du travail » (Staline) :

a)  réduire la journée de travail au moins à 6 heures, puis à 5 heures, ce qui permettra à chacun d’avoir assez de temps disponible pour recevoir une instruction universelle ; mais il faut pour cela :

b)   instituer l’instruction polytechnique obligatoire, prévue par Fourier et Marx ; il s’agit que chaque membre de la société connaisse, non pas superficiellement, mais scientifiquement (théorie et pratique n’étant jamais disjointes) les principes du travail dans les grandes branches de la technique industrielle d’avant-garde, et qu’il s’assimile les sciences sociales et le meilleur de la culture universelle. C’est ainsi que chacun pourra choisir librement une profession et ne pas rester toute sa vie attaché à une seule et même activité. Cependant, il faut encore, pour réaliser les meilleures conditions d’étude :

c) améliorer de façon radicale les conditions de l’habitat, et enfin :

d)  doubler au minimum et peut-être augmenter plus encore le salaire réel des travailleurs, par l’élévation directe du salaire en espèces, et surtout par la baisse systématique et continue des articles de grande consommation, qui préface l’abondance du communisme.

   Remarquons que l’institution de l’enseignement polytechnique, déjà amorcée par le Ve plan quinquennal, prépare concrètement la disparition de la différence essentielle entre le travail intellectuel et le travail manuel, entre le travail industriel et le travail agricole. Le séculaire processus de division du travail, qui mutile la personne humaine, est arrêté et la vapeur renversée.

   Concluant l’énoncé des trois conditions essentielles, Staline écrit :

   « C’est seulement lorsque toutes ces conditions préalables, prises dans leur ensemble, auront été réalisées, qu’on pourra espérer qu’aux yeux des membres de la société, le travail aura cessé d’être une corvée, pour devenir « le premier besoin de l’existence » (Marx) ; que « le travail, au lieu d’être un fardeau, sera une joie » (Engels) ; que la propriété sociale sera considérée par tous les membres de la société comme la base immuable et intangible de l’existence de la société.

   C’est, seulement lorsque toutes ces conditions préalables, prises dans leur ensemble, auront été réalisées, qu’on pourra passer de la formule socialiste : « de chacun selon ses capacités, à chacun selon son travail », à la formule communiste : « de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins ».

   Ce sera le passage intégral d’une économie, celle du socialisme, à une autre économie, supérieure, celle du communisme. » (Staline : « Les problèmes économiques du socialisme en U.R.S.S. », Derniers écrits, p. 158.)

5. Conclusion

   Le communisme n’est pas le règne d’une technique que ses ennemis même reconnaissent désormais comme effectivement supérieure, mais qu’ils présentent comme indifférente ou hostile à l’homme. Le communisme n’est nullement une « organisation rationnelle des forces productives ». C’est le règne de l’homme enfin maître de ses destinées grâce à la connaissance des lois objectives de la nature et de la société.

   La production est subordonnée à l’homme et à ses besoins. Le but des communistes n’est pas l’égale répartition de la misère, mais la satisfaction des besoins de tous.

   La technique est là pour alléger et faire disparaître la peine des hommes : en trois ans en U.R.S.S. 1.600 modèles nouveaux de machines ont été mis en exploitation, allégeant l’effort humain.

   Le communisme, c’est l’homme libéré des stigmates de la propriété privée et des servitudes spirituelles du passé. Convaincu par l’expérience qu’il n’œuvre plus pour une minorité d’exploiteurs, mais pour le bien de la société, il donne corps aux plans les plus grandioses :

   « Le communisme naît comme résultat de l’action consciente et créatrice de millions de travailleurs ; la théorie du laisser-aller et de la spontanéité est profondément étrangère à toute la structure économique du socialisme. » (Malenkov : Rapport au XIXe Congrès du Parti communiste de l’Union soviétique, p. 92.)

   Par le communisme, chaque homme conquiert la liberté concrète, qui est « force positive de faire valoir sa véritable individualité » (Marx-Engels). Associé à ses semblables dans l’exercice de la démocratie complète, il participe consciemment à l’élaboration de son avenir.

   En même temps qu’il devient, par la machine asservie, « maître et possesseur de la nature », — comme le voulait Descartes —, il transforme sa propre vie et devient maître et possesseur de lui-même. Chaque individu reflète les plus beaux traits de l’humanité, indéfiniment perfectible.

   « Les ennemis du socialisme et leurs sous-ordre de toute espèce font passer le socialisme pour un système d’écrasement de l’individu. Il n’y a rien de plus primitif et de plus vulgaire que ce genre de conception. Il est démontré que le système socialiste a assuré l’émancipation de la personne humaine, l’épanouissement de la création individuelle et collective, qu’il a créé les conditions du développement dans tous les domaines des talents et des dons que recèlent les masses populaires. » (Idem, p. 58.)

   C’est cette idée qui inspirait Eluard écrivant :

Nous jetons les fagots des ténèbres au feu
Nous brisons les serrures rouillées de l’injustice.
Des hommes vont venir qui n’ont plus peur d’eux-mêmes
Car ils sont sûrs de tous les hommes
Car l’ennemi à figure d’homme disparaît.

   Selon l’expression d’Engels, que rappelait Maurice Thorez au XIe Congrès du Parti communiste français, par le socialisme et le communisme,

   « la lutte pour l’existence individuelle prend fin. Alors seulement l’homme sort en un certain sens du règne animal, quitte des conditions animales d’existence pour des conditions vraiment humaines. »

QUESTIONS DE CONTROLE

  1. Comment se fait la transition du capitalisme au communisme ? Quels sont les caractères principaux des deux phases de la société communiste ?
  2. Quelles sont les conditions qu’il faut réaliser pour assurer le passage du socialisme au communisme ?
  3. Quel est le rôle des idées dans la société socialiste ?
  4. Pourquoi le socialisme est-il le véritable humanisme ?

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