Vingt-quatrième leçon

Principes fondamentaux de philosophie

Georges Politzer

CINQUIEME PARTIE – LA THEORIE MATERIALISTE DE L’ETAT ET DE LA NATION

Vingt-quatrième leçon. — La Nation (II)

   Nous avons vu (leçon précédente, III C.) que, dans les conditions de l’impérialisme, l’oppression bourgeoise de classe revêt de plus en plus la forme de l’oppression nationale.

   « De libérateur des nations, ce que le capitalisme fut dans la lutte contre le féodalisme, le capitalisme impérialiste est devenu le plus grand oppresseur des nations. » (Lénine. Cité par Georges Cogniot : Réalité de la nation, p. 46.)

   Voilà pourquoi la lutte contre l’impérialisme prend la forme d’une lutte pour l’indépendance nationale. Pour un pays donné, ce mouvement d’indépendance englobe toutes les couches sociales pillées ou menacées par l’impérialisme étranger. Ainsi s’explique, par exemple, qu’en Chine d’importantes fractions de la bourgeoisie aient participé, aux côtés du prolétariat et de la paysannerie, à la lutte pour la libération nationale. Une partie de la bourgeoisie (que symbolise Tchiang Kaï-chek) avait lié ses intérêts à ceux de l’impérialisme étranger, oppresseur et pillard. Mais celui-ci lésait gravement les intérêts d’autres éléments de la bourgeoisie (par exemple : les industriels) : ceux-ci ont donc pris part au mouvement d’indépendance.

   De même en France, à l’heure actuelle, l’impérialisme américain, s’il trouve la complicité intéressée de la grande bourgeoisie réactionnaire, des spéculateurs, des marchands de canons, porte atteinte aux intérêts d’autres fractions de la bourgeoisie: c’est ainsi que le plan Marshall, imposé à l’économie française par l’impérialisme américain, paralyse l’essor de branches entières de l’industrie nationale, les prive de leurs débouchés dans les pays de l’Est, etc. D’où le mécontentement qui grandit chez de nombreux industriels.

   La politique de remilitarisation de l’Allemagne, qui a pour conséquence l’abaissement de la France et porte atteinte à sa souveraineté de nation, suscite, au sein même de la bourgeoisie, l’opposition de diverses couches qui redoutent l’hégémonie allemande. La thèse adoptée par le XIIIe Congrès du Parti communiste français (juin 1954) [Cahiers du communisme, juin-juillet 1954, n°s 6-7, p. 922-923, points 21 et 22.] souligne que les intérêts dei nombreuses catégories sociales fort éloignées de la classe ouvrière et hostiles en principe au Parti communiste sont gravement lésés par les conséquences objectives de la politique atlantique. Voilà pourquoi certains cercles politiques bourgeois, quel que soit au demeurant leur attachement au capitalisme, se prononcent, aux côtés des communistes, contre l’asservissement de la France.

   Ainsi s’est dressé, contre l’impérialisme américain et la grande bourgeoisie réactionnaire qui le soutient, un front national uni pour l’indépendance de la France ; il englobe, — par delà la paysannerie laborieuse, la petite bourgeoisie et les classes moyennes, — les fractions de la bourgeoisie que menacent les conséquences de la politique imposée à la France par l’impérialisme américain. Ceci ne supprime nullement la lutte de classe à l’intérieur du pays entre prolétariat et bourgeoisie ; aussi bien, c’est par intérêt de classe que la grande bourgeoisie réactionnaire a livré le pays à l’impérialisme étranger: le prolétariat français ne peut donc séparer sa lutte pour l’indépendance nationale de sa lutte de classe.

   Partant du caractère antinational pris par le capitalisme impérialiste, nous allons voir comment les marxistes posent et résolvent une des questions les plus graves de l’époque contemporaine: la question coloniale.

1. La question coloniale : le droit des nations à disposer d’elles-mêmes

   A l’époque impérialiste, les Etats les plus puissants ont achevé le partage du globe, en Afrique et en Asie. Les colonies et protectorats ainsi constitués sont férocement exploités par les trusts. L’oppression coloniale porte sur tous les aspects de la nation: territoire occupé; langue étrangère imposée au détriment de la langue nationale; pillage des richesses économiques; asservissement de la culture nationale. Bien entendu, l’impérialisme colonialiste pratique une répression impitoyable pour maintenir ses prétendus « droits » de puissance occupante; il refuse aux peuples colonisés le droit de se constituer en Etats.

   On connaît la célèbre formule de Marx : « Un peuple qui en opprime d’autres ne saurait être libre. » [Voir à ce sujet Lénine : « La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d’elles-mêmes » dans Marx-Engels-Marxisme, Editions en langues étrangères, Moscou, 1947, p. 283 : « Marx mettait au premier plan, ne perdant pas de vue surtout les intérêts de la lutte de classe du prolétariat des pays avancés, le principe fondamental de l’internationalisme et du socialisme : un peuple qui en opprime d’autres ne saurait être libre. »]

   L’asservissement d’un peuple est, en effet, l’œuvre de la grande bourgeoisie réactionnaire, des monopoles qui, à la recherche du’ profit maximum, mettent la main sur les peuples les plus faibles, les dépouillent. Cette entreprise est évidemment contraire aux intérêts des prolétaires du pays colonisateur. Pourquoi ?

   D’abord parce que c’est leur ennemi de classe, la bourgeoisie réactionnaire, qui se trouve renforcée par la colonisation d’autres peuples. Même si (ce fut le cas notamment en Angleterre) l’exploitation des peuples coloniaux permet à la bourgeoisie impérialiste de donner quelques petits avantages à son propre prolétariat, avantages prélevés sur là masse des profits qu’elle arrache aux travailleurs coloniaux — ces avantages sont largement compensés par le surcroît de puissance que la bourgeoisie tire de l’exploitation coloniale. Cette puissance, la bourgeoisie en use non seulement contre les travailleurs coloniaux, mais aussi contre les prolétaires de l’Etat exploiteur. L’oppression de classe au dehors consolide l’oppression de classe au dedans.

   Ensuite parce que, pour mener à bien ses entreprises coloniales, la bourgeoisie jette ses prolétaires contre les travailleurs étrangers. Elle ramasse ses formidables profits dans le sang des uns et des autres. Bien sûr, elle s’emploie, pour atteindre ce résultat, à persuader les travailleurs du pays colonisateur que l’oppression coloniale est conforme à leurs intérêts. Dans les manuels bourgeois réservés aux enfants du peuple, la guerre de rapine est présentée comme une « défense de la civilisation »; les intérêts des trusts (exploiteurs du peuple français comme des peuples coloniaux) se dissimulent sous l’étiquette des « intérêts français ». Dans la mesure où les travailleurs français, anglais, etc., sont dupes de ces mensonges, ils se portent le plus grand tort, ils servent les desseins de la classe qui les opprime, ils affaiblissent leur propre lutte de classe exploitée, ils affaiblissent l’unité internationale des prolétaires.

   Cette dernière remarque nous oriente vers la solution de la question coloniale. C’est en effet l’internationalisme prolétarien qui donne la clé.

   Les intérêts des travailleurs du pays colonisateur et les intérêts des travailleurs du pays colonisé sont solidaires contre la bourgeoisie impérialiste, leur ennemi commun.

   Comment l’internationalisme prolétarien s’exprime-t-il ici concrètement ?

a) D’une part les travailleurs du pays oppresseur affirment le droit des nations à disposer d’elles-mêmes. En pratique, cela signifie qu’ils reconnaissent aux nations opprimées le droit de se séparer de l’Etat colonisateur, pour constituer leur propre Etat, leur Etat indépendant. Parler de « libre disposition » tout en refusant le droit de libre séparation n’est que bavardage hypocrite, puisque c’est refuser d’une main ce qu’on donne de l’autre.

   Voilà pourquoi les travailleurs du pays colonisateur ont le devoir de revendiquer, pour les pays colonisés, le droit de séparation. S’y refuser (sous le fallacieux prétexte que les peuples coloniaux ne sont pas « mûrs pour l’indépendance ») est une attitude réactionnaire, profitable à la seule bourgeoisie colonialiste, qui prolonge ainsi sa domination.

   Un exemple : l’Indochine. La seule position juste à l’égard de la lutte nationale conduite, contre l’impérialisme français, par les peuples du Viêt-Nam, du Laos, du Cambodge, c’est d’affirmer le droit absolu de ces peuples à la séparation, à l’indépendance étatique ; et c’est de leur apporter, en France même, un soutien effectif.

b) Mais d’autre part, les travailleurs du pays opprimé affirment leur unité internationaliste de classe avec les prolétaires du pays colonisateur. C’est pourquoi les partis révolutionnaires, dans les pays coloniaux, en même temps qu’ils combattent l’impérialisme oppresseur, combattent le nationalisme de leur propre bourgeoisie. Les nationalistes bourgeois du pays colonisé disent aux travailleurs de ce pays : « Tous les Français sont vos ennemis ». Les travailleurs éduqués dans l’esprit de l’internationalisme prolétarien répondent : « Non ! Les trusts colonialistes français sont nos ennemis, mais les travailleurs français sont nos amis ».

   Ainsi, les prolétaires du pays colonisateur combattent, au nom de l’internationalisme, le nationalisme de la bourgeoisie colonialiste; les prolétaires du pays colonisé combattent, au nom de l’internationalisme, le nationalisme de leur propre bourgeoisie. [Toutefois, dans la lutte pour l’indépendance nationale, les prolétaires du pays colonisé ne repoussent pas l’alliance de la bourgeoisie nationaliste. Mais ils ne subordonnent pas leur action aux intérêts de la bourgeoisie nationaliste, car celle-ci, bien qu’opposée à la bourgeoisie étrangère colonialiste, reste l’ennemie de classe des travailleurs. « Pour autant que la bourgeoisie de la nation opprimée lutte contre la nation qui opprime, pour autant nous sommes toujours, en tout état de cause et plus résolument que tous les autres, pour, car nous sommes l’ennemi le plus hardi et le plus conséquent de l’oppression. Pour autant que la bourgeoisie de la nation opprimée est pour son propre nationalisme bourgeois, nous sommes contre. Lutte contre les privilèges et les violences de la nation qui opprime ; aucune tolérance pour la recherche de privilèges de la part de la nation opprimée… Dans tout nationalisme bourgeois d’une nation opprimée, il existe un contenu démocratique général contre l’oppression ; et c’est ce contenu que nous appuyons sans restriction, tout en mettant à part, rigoureusement, la tendance à l’exclusivisme national. » Lénine : Du droit des nations à disposer d’elles-mêmes, p. 53-54. Editions Sociales, Paris, 1952.]

   C’est ici le lieu de rappeler les précieuses indications de Lénine :

   « Le centre de gravité de l’éducation internationaliste des ouvriers dans les pays oppresseurs doit consister forcément dans la propagande et la défense de la liberté de séparation pour les pays opprimés. Sans cela, pas d’internationalisme. Nous sommes en droit et avons le droit de traiter d’impérialiste et de coquin tout social-démocrate de nation qui opprime, ne faisant pas cette propagande. C’est là une revendication absolue, une telle séparation dût-elle n’être possible et « réalisable » avant l’avènement du socialisme, que dans un seul cas sur mille….

   Au contraire, le social-démocrate d’une petite nation a le devoir de reporter le centre de gravité de son agitation sur la première partie de notre formule: « union libre des nations ». Sans violer ses obligations d’internationaliste, il peut être et pour l’indépendance politique de sa nation et pour son inclusion dans un Etat voisin X, Y, Z, etc. Mais dans tous les cas, il doit lutter contre la mesquine étroitesse nationale, contre la tendance à se confiner, à s’isoler, pour la prise en considération de l’ensemble et de la généralité du mouvement, pour la subordination de l’intérêt particulier à l’intérêt général.

   Les gens qui n’ont pas creusé la question trouvent « contradictoire » que les social-démocrates [Le mot « social-démocrate » est évidemment pris ici en son sens ancien : socialiste marxiste, — et non au sens que les dirigeants de la IIe Internationale lui ont donné, par leur comportement : opportuniste.] des nations qui oppriment insistent sur la « liberté de séparation », et les social-démocrates des nations opprimées, sur la « liberté d’union ». Mais il suffit d’un peu de réflexion pour voir que, dans la situation donnée, il n’est pas et il ne peut y avoir d’autre voie vers l’internationalisation et la fusion des nations. » (Lénine : Œuvres (en russe), t. XIX, p. 261-262. Cité par Staline : Le Marxisme et la question nationale et coloniale, p. 225.)

   Cette position léniniste a été affirmée en France à maintes reprises par Maurice Thorez :

   « Prolétaires d’un pays impérialiste, qui opprime dans ses colonies des dizaines de millions d’esclaves, nous avions à proclamer bien haut le droit de ces peuples à la libre disposition, jusques et y compris la séparation d’avec la France. Nous avions à combattre chez nous toute tendance au colonialisme, au chauvinisme, en laissant à nos camarades communistes des pays coloniaux le soin de réagir chez eux contre toute étroitesse nationale, et de proclamer l’utilité pour leur propre peuple d’une lutte solidaire avec le prolétariat français, contre les mêmes oppresseurs impérialistes. « Le droit au divorce, a dit Lénine, ne signifie pas l’obligation de divorcer. » » (M. Thorez : Cahiers du communisme, janvier 1950, p. 29.)

   Ici apparaît, en effet, un important aspect du droit de libre disposition. Certains, l’interprétant de façon simpliste, identifient droit et obligation ! De ce que les prolétaires du pays colonisé proclament, d’accord avec ceux du pays colonisateur, leur droit à la séparation, il n’en résulte nullement qu’ils se prononcent en toutes circonstances pour la séparation, qu’ils la jugent utile en toutes circonstances.

   Prenons un exemple. La Russie des tsars opprimait divers peuples d’Asie (Géorgiens, Arméniens, etc.), leur refusant le droit de se constituer en Etats indépendants. Les marxistes russes et les marxistes géorgiens, arméniens, etc. proclamaient contre le tsarisme le droit à la séparation. Vint la Révolution d’Octobre 1917. Que s’est-il passé ? L’avènement du socialisme a libéré les Géorgiens, Arméniens, etc. du joug colonial. Pourtant ceux-ci ne se sont pas séparés de la nation russe ; il s’est constitué un Etat multinational, sur la base de l’égalité entre toutes les nations qui le constituent.

   Pourquoi Géorgiens, Arméniens, etc. n’ont-ils pas exercé leur droit de libre séparation ? Pourquoi, en somme, tout en recevant le droit de divorcer, n’ont-ils pas usé de ce droit ? Tout simplement parce qu’ainsi faisant ils seraient devenus des proies faciles pour les pays capitalistes, ennemis du socialisme, ennemis de l’Union soviétique. L’intérêt des travailleurs des anciennes colonies tsaristes, intérêt de classe, était précisément de ne pas se séparer du peuple russe, de s’associer à lui et aux autres nations soviétiques, au sein de l’Etat socialiste multinational, sur un pied de classe.

   On voit donc que c’est l’intérêt de classe qui décide en dernier ressort de la séparation ou de l’union libre. [Il peut arriver que la séparation ne soit pas souhaitable. Nous venons d’en voir un exemple. En voici un autre, dans une situation différente. « Dans les années 1840-1850, Marx était pour le mouvement national des Polonais et des Hongrois, contre le mouvement national des Tchèques et des Slaves du Sud. Pourquoi ? Parce que les Tchèques et les Slaves du Sud étaient alors des « peuples réactionnaires », des « avant-postes russes » en Europe, des avant-postes de l’absolutisme, tandis que les Polonais et les Hongrois étaient des « peuples révolutionnaires » en lutte contre l’absolutisme. Parce que soutenir le mouvement national des Tchèques et des Slaves du Sud signifiait alors soutenir indirectement le tsarisme, l’ennemi le plus dangereux du mouvement révolutionnaire en Europe ». (Staline : Le Marxisme et la question nationale et coloniale, p. 219-220). Cet exemple montre bien qu’il ne faut jamais considérer la question nationale en soi, mais par rapport aux exigences fondamentales de l’internationalisme prolétarien. En même temps, avant la deuxième guerre mondiale, la lutte des Sudètes (minorité allemande en Tchécoslovaquie) contre l’Etat tchécoslovaque fut utilisée par Hitler contre la paix mondiale, contre les intérêts du prolétariat international. « Les différentes revendications de la démocratie, y compris le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, ne sont pas un absolu, mais une parcelle de l’ensemble du mouvement démocratique (aujourd’hui : socialiste) mondial. Il est possible que dans certains cas concrets la parcelle contredise le tout, alors il faut la rejeter » (Lénine : Œuvres (en russe), t. XIX, p. 257-258 ; cité par Staline, p. 220). Rejeter ne signifie pas supprimer, mais porter au second plan, pour une certaine période. Nous trouvons ici une illustration du premier trait de la dialectique : tout se tient. Voilà qui permet de comprendre qu’un mouvement national anti-impérialiste, dans un pays donné, puisse être soutenu par le prolétariat international, alors même que ce mouvement n’est pas dirigé par des éléments prolétariens. Avant la deuxième guerre mondiale, les prolétaires de tous les pays ont soutenu la lutte de l’Ethiopie contre l’armée de Mussolini bien que le peuple éthiopien fut dirigé par des féodaux. Une telle lutte, en effet, affaiblissait le fascisme international, ennemi principal du prolétariat. Il en fut de même pour le mouvement national dirigé par la bourgeoisie libanaise.] Mais en tout état de cause, le choix revient, en pleine souveraineté, au peuple intéressé (peuple colonisé ou minorité nationale).

   C’est ainsi que le peuple français doit respecter l’aspiration des peuples coloniaux à leur indépendance. C’est le cas notamment pour le peuple du Viêt-Nam. Celui-ci a le droit absolu de se séparer de la France, droit que la bourgeoisie colonialiste lui refuse parce qu’elle veut pouvoir continuer à exploiter l’Indochine. Les travailleurs français soutiennent, par contre, le droit des Vietnamiens en luttant contre la guerre en cours, pour le rapatriement du corps expéditionnaire. Cette guerre est une guerre injuste, parce qu’elle a pour objet de maintenir l’oppression sur un peuple. A l’inverse, la guerre conduite par la nation vietnamienne contre l’impérialisme oppresseur est une guerre juste, comme l’est toute guerre de libération nationale. [Depuis que ces lignes ont été écrites, le cessez-le-feu est intervenu en Indochine. C’est une victoire de l’action conjuguée des peuples vietnamien et français, une victoire de l’internationalisme prolétarien.]

   Une fois la nation vietnamienne libérée du joug colonial, il lui appartiendra de décider souverainement de ses rapports avec la France. Dès maintenant les travailleurs de France et ceux du Viêt-Nam considèrent comme souhaitable, et profitable aux deux pays, une politique d’échanges économiques et culturels. Mais cette politique implique la séparation entre les deux nations et l’égalité absolue entre les deux Etats.

   Nous le voyons : c’est le principe de l’internationalisme prolétarien qui permet de résoudre, en théorie et en pratique, la question nationale et coloniale. Une fois de plus, nous retrouvons donc la lutte des classes.

   « Les intérêts du mouvement prolétarien dans les pays développés et du mouvement de libération nationale aux colonies exigent que ces deux aspects du mouvement révolutionnaire s’unissent en un front commun de lutte contre l’ennemi commun, contre l’impérialisme. » (Staline : Le Marxisme et la question nationale et coloniale, p. 222.)

2. Les nations socialistes

a) Question nationale et révolution socialiste.

   C’est précisément la constitution de ce front commun qui a permis le succès de la Révolution socialiste d’Octobre 1917.

   La victoire du prolétariat russe sur la bourgeoisie impérialiste n’eût pas été possible sans l’alliance active des peuples exploités par cette même bourgeoisie dans l’immense empire des tsars. La Révolution d’Octobre a ainsi frappé l’impérialisme tout à la fois en son centre et sur ses arrières.

   « En renversant les grands propriétaires fonciers et les capitalistes, la Révolution d’Octobre a rompu les chaînes de l’oppression nationale et coloniale, dont elle a délivré tous les peuples opprimés, sans exception, d’un vaste Etat. Le prolétariat ne peut se libérer sans libérer les peuples opprimés. Le trait caractéristique de la Révolution d’Octobre, c’est qu’elle a accompli en U.R.S.S. ces révolutions nationales et coloniales, non sous le drapeau de la haine nationale et des conflits entre nations, mais sous le drapeau d’une confiance réciproque et d’un rapprochement fraternel des ouvriers et des paysans des nationalités habitant l’U.R.S.S., non pas au nom du nationalisme, mais au nom de l’internationalisme. » (Staline : « Le caractère international de la Révolution d’Octobre dans Les Questions du léninisme, t. I, p. 188.)

   Les dirigeants de la IIe Internationale, en dépit de leurs discours sur l’égalité des nations, n’accordaient pas d’importance aux peuples coloniaux : ils leur refusaient toute possibilité d’action révolutionnaire. Tout au plus leur concédaient-ils le droit à « l’autonomie culturelle », le droit d’avoir leurs institutions culturelles, mais ceci dans le cadre de l’Etat colonialiste !

   Par contre, les marxistes-léninistes entendent par libre disposition le droit de séparation, le droit à constituer un Etat indépendant. Comme la lutte des nations opprimées pour leur indépendance est dirigée contre la bourgeoisie impérialiste, adversaire direct du prolétariat « métropolitain », il s’ensuit que cette lutte a un caractère révolutionnaire.

   « La question nationale est une partie de la question générale de la révolution prolétarienne, une partie de la question de la dictature du prolétariat. » (Staline : « Des principes du léninisme », Idem, p. 55.)

   La prodigieuse croissance du mouvement de libération nationale dans les pays opprimés d’Afrique et d’Asie depuis 1917, la victoire du peuple chinois sur l’impérialisme et sa marche au socialisme, sont des faits de première importance pour la lutte révolutionnaire mondiale.

   « L’ère est révolue où l’on pouvait en toute sérénité exploiter et opprimer les colonies et les pays dépendants.

   L’ère est venue des révolution libératrices dans les colonies et les pays dépendants, l’ère du réveil du prolétariat de ces pays, l’ère de son hégémonie dans la révolution. » (Staline : Les Questions du léninisme, tome I, p. 189.)

b) Caractères des nations socialistes.

   Libérant les peuples opprimés, la révolution socialiste a inauguré une étape radicalement nouvelle dans le développement des nations. Un type nouveau de nation est apparu, grâce à la victoire du prolétariat, la nation socialiste.

   Nous avons vu dans la leçon précédente qu’il faut entendre par « nations bourgeoises » les nations qui se sont formées sous la direction de la bourgeoisie en luttant contre la féodalité. La victoire de la bourgeoisie fut celle des rapports capitalistes de production. De là se déduisent les traits de la nation bourgeoise.

   La nation bourgeoise est fondée nécessairement sur l’inégalité de ses membres, puisque la classe dominante exploite le prolétariat.

   La nation bourgeoise est l’ennemie des autres nations bourgeoises puisque les bourgeoisies des divers pays capitalistes sont concurrentes dans la course au profit. De là le nationalisme.

   La nation bourgeoise enfin, au stade impérialiste, se soumet les peuples économiquement moins évolués. Ainsi l’exploitation au dedans se complète de l’exploitation au dehors. Une fois de plus nous rappelons Lénine : « le capitalisme impérialiste est devenu le plus grand oppresseur des nations ».

   Tout autres sont les traits de la nation socialiste.

   « Abolissez l’exploitation de l’homme par l’homme, et vous abolirez l’exploitation d’une nation par une autre nation. Du jour où tombe l’antagonisme des classes à l’intérieur de la nation, tombe également l’hostilité des nations entre elles. » (Marx et Engels : Manifeste du Parti communiste, p. 46.)

   En renversant la bourgeoisie exploiteuse, en supprimant l’oppression de classe, la révolution socialiste crée des rapports nouveaux au sein de la nation et entre les nations.

   La naissance et l’essor de l’Union soviétique ont permis de le vérifier.

   « Absence de classes exploiteuses, principales organisatrices des collisions entre nations ; absence de l’exploitation qui entretient la méfiance réciproque et attise les passions nationalistes ; présence, au pouvoir, de la classe ouvrière, ennemie de tout asservissement et fidèle champion des idées d’internationalisme ; réalisation pratique de l’assistance mutuelle entre peuples dans tous les domaines de la vie économique et sociale; enfin, épanouissement de la culture nationale des peuples de l’U.R.S.S., nationale par la forme, socialiste par le contenu : tous ces facteurs et autres analogues ont fait que la physionomie des peuples de l’U.R.S.S. a radicalement changé; que le sentiment de la méfiance réciproque a disparu chez eux ; qu’en eux s’est développé un sentiment d’amitié réciproque, et que s’est établie ainsi une véritable collaboration fraternelle des peuples, au sein de l’Etat fédéral unique. » (Staline : Les Questions du léninisme, t. II, p. 217.)

   Tel est le résultat de la victoire de la classe ouvrière. Brisant l’oppression féodale, la bourgeoisie avait forgé de nouvelles chaînes. La classe ouvrière, en se libérant, libère tous les hommes. Joug de classe et joug national sont abolis.

   Voyons rapidement les caractéristiques de l’Union soviétique du point de vue national.

   L’empire des tsars était une « prison des peuples ». Affranchies de l’oppression, les nationalités diverses ont reçu le droit de libre disposition. Nous avons vu que l’exercice de ce droit a deux aspects : ou bien la séparation ; ou bien l’union libre. [Ce sont ces demi aspects contraires qui constituent le droit de libre disposition. C’est un exemple de l’unité des contraires. (Voir 5e leçon, p. 89.)] Pour les raisons indiquées ci-dessus (p. 506-507), les nationalités autrefois opprimées ont choisi l’union avec la nation russe.

   Ainsi s’est formé un Etat socialiste multinational. Les nations qui le constituent gardent leur droit de libre disposition : elles peuvent donc, si elles en décident, se séparer de l’Union. Quel est le caractère essentiel des rapports entre les nations socialistes, dont le nombre approche soixante ? C’est l’égalité en droits, « Aucun privilège pour aucune nation, disait Lénine… Pas la moindre oppression, pas la moindre injustice à l’égard des minorités nationales ». Il n’y a donc pas de nation dominante en U.R.S.S., mais des Républiques librement fédérées (République de Russie, République d’Ukraine, République de Kazakhie, République d’Estonie, etc., etc.) Lorsqu’il existe, au sein d’une République fédérée, des minorités nationales, celles-ci forment des Républiques autonomes (exemple : au sein de la République fédérée de Russie se trouvent les Républiques autonomes de Tatarie, de Bachkirie, de Daghestan, etc.) Il existe également, pour de petits peuples, des régions autonomes et des arrondissements nationaux.

   L’Etat soviétique multinational assure la défense des intérêts communs à toutes les nations qui le composent. La planification de l’économie socialiste, la direction de la politique extérieure et de l’armée, l’édification culturelle relèvent de ses attributions. Mais il est soumis de bas en haut, par l’intermédiaire des Soviets, au contrôle de tous les citoyens, égaux en droits, quelle que soit leur nationalité ou leur race. Par exemple, les fonctions de l’Etat soviétique, des plus modestes aux plus élevées, sont, accessibles à tous les citoyens. Au gouvernement siègent des hommes de nationalités et de races diverses.

   Quant aux intérêts propres à chaque nationalité, ils sont du ressort exclusif de la république fédérée ou autonome qui, dans le cadre de la Constitution soviétique, a sa propre Constitution et ses lois particulières. Cette Constitution, ces lois reflètent les particularités nationales (économiques, culturelles, historiques) du peuple considéré.

   Ainsi est assuré, à l’opposé de ce qui se passe dans le système colonial tsariste, l’épanouissement des nationalités sur tous les plans.

   Prenons un exemple. Le peuple ouzbek, férocement exploité avant la Révolution, a formé une République socialiste, avec sa Constitution, son Soviet, son Conseil des ministres, dans le cadre de l’Union des Républiques. Son économie nationale (industrie, agriculture, élevage) a connu un essor prodigieux, grâce aux plans quinquennaux. Depuis 1913, l’industrie lourde s’est multipliée par 15. On y compte 800 centrales thermiques et hydro-centrales. L’agriculture, mécanisée, produit en abondance les cotons les plus variés. C’est en Ouzbékie que l’élevage des moutons d’Astrakan a ses principales bases. Quant à l’amélioration du niveau de vie et au progrès culturel, ils font un éclatant contraste avec la misère et l’écrasement culturels imposés par la bourgeoisie capitaliste à ses colonies. Tandis qu’en Kabylie il y a 1 médecin pour 30.000 habitants (chiffre officiel), l’Ouzbékie dispose d’un médecin pour 895 habitants. Au Maroc, moins de 10 % des enfants musulmans d’âge scolaire ont accès aux écoles. En Ouzbékie, l’analphabétisme qui était, sous les tsars, la règle générale (98 % d’analphabètes) a disparu. Sur 10.000 habitants, 71 fréquentent un établissement d’enseignement supérieur (en France, 36 seulement sur 10.000).

   L’enseignement est donné dans la langue maternelle, qui est langue officielle. Il en est ainsi pour toutes les nationalités qui constituent l’U.R.S.S. Leurs journaux, leurs éditions, etc. sont imprimés dans la langue nationale. Ainsi a été considérablement facilité le renouveau des traditions littéraires et artistiques de chaque peuple. [Quant à la langue russe, les circonstances historiques en ont fait, pour tous les peuples de l’Union, une langue commune, et une langue auxiliaire dans le domaine scientifique : elle est donc pratiquée à ce double titre.]

   En 1943, en pleine guerre contre Hitler, était créée l’Académie des Sciences ouzbek : en dix ans, elle a réuni 25 établissements scientifiques ; 1.500 chercheurs y travaillaient. C’est ainsi que chaque république soviétique forme ses propres cadres (savants, ingénieurs, agronomes, médecins, éducateurs, etc.)

   On pourrait multiplier les exemples. Mais les plus probants seraient fournis par les peuples de certaines régions autonomes qui, voués par l’impérialisme à une mort certaine, doivent au socialisme d’avoir survécu.

   En Sibérie, sur les rives du Haut-Iénisséi et de son affluent l’Abakam, habite le peuple hakasse. Conquis, il y a plus de dix siècles, par les Mongols, ce peuple, qui était alors l’un des plus forts et des plus cultivés d’Asie, fut voué à la ruine. Il perdit même son écriture. Le tsarisme aggrava cette situation. Le peuple hakasse s’éteignait inexorablement. Il se trouvait en somme dans une situation analogue à celle que les colons américains ont fait aux Indiens. Mais la Révolution socialiste devait rendre la vie à ce peuple. Constitué en région autonome, il compte plus de 50.000 habitants. Il a une économie prospère (houille, or, baryte; forêts; canaux). Il a retrouvé sa langue nationale, langue écrite et officielle. Il dispose de 350 écoles, de 3 écoles techniques, d’un Institut de pédagogie. Il a ses journaux, sa littérature, son théâtre.

   Au nord de la Sibérie, le peuple nénets était soumis à la cruelle oppression des fonctionnaires du tsar, des commerçants russes qui accaparaient ses richesses (fourrures, poissons) et des gros éleveurs de rennes. Il était en voie d’extinction : 16.000 âmes en 1899 ; 2.000 en 1913. La Révolution socialiste a changé tout cela. Constitués en arrondissement national, les Nénets ont repris force et vie. En 1939, leur nombre atteignait 12.000. Pêche et chasse, leur industrie progresse ; l’agriculture de serre est apparue. 56 écoles, dont 7 secondaires ; 1 école technique pour l’élevage du renne ; 3 centres de recherches scientifiques… dans cette région où tous étaient jadis illettrés, abêtis de superstition. [Sur les bienfaits que le socialisme a apporté aux malheureux peuples de l’Arctique, voir le beau livre du regretté B. Gorbatov : L’Arctique telle qu’elle est. Ed. Hier et Aujourd’hui.]

   C’est ainsi que l’Union soviétique garantit l’essor des divers peuples qui la composent. De vieilles nationalités opprimées ont retrouvé leur indépendance. Des peuples qui végétaient ont pu, grâce au socialisme, se constituer en nations. Bien mieux : des peuples d’économie primitive et de mentalité archaïque (comme les Nénets) ont pu passer en quelques années au mode de vie socialiste.

   On comprend que, dans de telles conditions, les rapports entre nations (grandes et petites) se trouvent totalement modifiés.

   A la méfiance, à l’hostilité ont fait place la confiance mutuelle et la collaboration fraternelle. C’est pourquoi les envahisseurs hitlériens, qui espéraient briser par la violence les liens noués par le socialisme entre les peuples soviétiques, ont perdu leur peine. Ils croyaient, par exemple, pouvoir raviver en Ukraine les vieux sentiments nationalistes contre le peuple russe; il n’en fut rien. Alors que la deuxième guerre mondiale a considérablement; affaibli le système colonial établi par le capitalisme, l’union des nations socialistes s’est consolidée dans la lutte commune contre le nazisme raciste, ennemi des peuples.

   Ainsi s’est vérifiée l’existence d’un patriotisme soviétique qui s’oppose en tous points au chauvinisme bourgeois.

   « La puissance du patriotisme soviétique ne repose pas sur des préjugés racistes ou nationalistes ; elle repose sur la fidélité et le profond dévouement du peuple à sa patrie soviétique, sur l’affection fraternelle de tous les travailleurs habitant notre pays. Dans le patriotisme soviétique s’associent harmonieusement les traditions nationales des peuples et les intérêts vitaux communs de tous les travailleurs de l’Union soviétique. Loin de diviser, le patriotisme soviétique rassemble, au contraire, toutes les nations et nationalités de notre pays au sein d’une seule famille fraternelle. C’est là qu’apparaissent les bases de l’amitié inébranlable et de plus en plus forte des peuples de l’Union soviétique. D’autre part, les peuples de l’U.R.S.S. respectent les droits et l’indépendance des peuples des pays étrangers, ils ont toujours témoigné leur volonté de vivre en paix et en amitié avec les Etats voisins. C’est là qu’apparaît la base des relations de plus en plus étendues et durables de notre Etat avec les peuples épris de liberté. » (Staline : Sur la grande guerre de l’Union soviétique, p. 155.)

   Les drapeaux de l’Etat socialiste sont ceux de l’amitié entre les peuples qui l’ont formé et de l’amitié avec tous les peuples du monde, y compris ceux qui sont encore sous le joug capitaliste. Aussi est-il absurde de parler « d’impérialisme soviétique » : la Révolution socialiste, en supprimant la bourgeoisie impérialiste, a détruit l’impérialisme à sa racine même. L’Union soviétique est foncièrement pacifique parce qu’elle est socialiste. Le patriotisme soviétique est donc aux antipodes du nationalisme bourgeois; amour que les travailleurs soviétiques portent au pays du socialisme, il est la plus belle manifestation de l’internationalisme prolétarien.

   Nous pouvons maintenant conclure que le socialisme, en même temps qu’il assure l’épanouissement matériel et moral de chaque nation, accélère le rapprochement pacifique de toutes les nations. Libérateur des nations, le socialisme prépare leur fusion.

3. L’avenir des nations.

   Nous avons montré dans la 23e leçon que les nations n’ont pas toujours existé. Les nations sont une réalité historique, constituée par la bourgeoisie sur la base d’un marché unique.

   Par la Révolution, la classe ouvrière, en même temps qu’elle brise le joug de classe, brise le joug national : le socialisme assure ainsi à toutes les nations un épanouissement harmonieux et complet.

   Mais cet épanouissement lui-même n’est que le prélude d’un épanouissement encore plus magnifique : celui que le communisme assurera à l’humanité entière quand il aura partout triomphé.

   La victoire universelle du communisme aura en effet pour conséquence la constitution d’une économie mondiale unique, condition nécessaire au progrès toujours plus rapide des forces, productives. Dès lors, les limites territoriales perdront leur signification. L’accroissement des échanges matériels et culturels entre les peuples les rapprochera de plus en plus. Ils s’achemineront ainsi vers une langue mondiale unique, extrêmement riche car elle sera née progressivement de la fusion des diverses langues nationales :

   « lorsque l’impérialisme mondial n’existera plus, que les classes exploiteuses seront renversées, l’oppression nationale et coloniale liquidée, l’isolement national et la méfiance mutuelle des nations remplacés par la confiance mutuelle et le rapprochement des nations, l’égalité en droits des nations traduite dans la vie, lorsque la politique d’oppression et d’assimilation des langues sera liquidée, lorsque sera organisée la collaboration des nations et que les langues nationales auront la possibilité, dans leur collaboration, de s’enrichir mutuellement en toute liberté, … dans ces conditions, il ne pourra être question de l’oppression et de la défaite de certaines langues et de la victoire d’autres langues. Nous aurons affaire… à des centaines de langues nationales desquelles, par suite d’une longue collaboration économique, politique et culturelle des nations, se détacheront d’abord les langues zonales uniques les plus enrichies; ensuite les langues zonales fusionneront en une seule langue internationale commune, qui ne sera naturellement ni l’allemand, ni le russe, ni l’anglais, mais une langue nouvelle qui aura absorbé les meilleurs éléments des langues nationales et zonales. » (Staline : « A propos du marxisme en linguistique », Derniers écrits, p. 58.)

   [Seule une telle perspective est conforme au développement objectif des peuples. La langue unique se constituera par un lent processus historique, dans les conditions économiques et sociales du communisme mondial. Elle sera un puissant moyen de culture parce que, fruit d’un long processus, elle portera l’empreinte des plus belles conquêtes de la civilisation amassées peu à peu par les peuples. On voit qu’une telle langue n’aura rien de commun avec cet artificiel amalgame qu’est l’espéranto. Pratiquement — et bien que de nombreux espérantistes soient des hommes de progrès — l’espéranto tend à détourner les peuples de l’a lutte révolutionnaire; Ses promoteurs disent que la libération des peuples se fera par la généralisation de l’espéranto. C’est là un point de vue typiquement petit-bourgeois : le capitaliste et le prolétaire parleraient-ils l’un et l’autre l’espéranto, l’oppression de classe n’en existerait pas moins. La seule voie révolutionnaire qui s’offre aux masses, c’est la lutte internationale de classe.]

   Pour les hommes parvenus partout au stade supérieur de leur évolution historique et membres d’une seule patrie, la patrie du communisme universel, la langue unique sera l’instrument d’une culture commune, commune par son contenu de sentiments et d’idées, commune par sa forme, par son expression.

   Ainsi seront dépassées les limites nationales.

   Mais de nos jours le problème posé n’est pas celui du dépassement des nations. Le problème actuellement posé aux peuples, c’est celui de leur affranchissement du joug capitaliste et de leur épanouissement socialiste. Epanouissement, disons-nous. Quand en effet le marxisme parle de « fusion des nations », il n’entend point par là leur anéantissement ; la voie vers la fusion, c’est leur épanouissement qui a pour condition le passage au socialisme :

   « Il faut laisser les cultures nationales se développer et se déployer, révéler toutes leurs forces potentielles, afin de créer les conditions permettant leur fusion en une seule culture commune, avec une seule langue commune. Epanouissement des cultures, nationales quant à la forme et socialistes par leur contenu… pour leur fusion en une seule et même culture socialiste (et par sa forme et par son contenu), avec une seule langue commune, quand le prolétariat aura vaincu dans le monde entier, et que le socialisme sera entré dans les moeurs, là justement est la dialectique de la manière léniniste de poser le problème de la culture nationale. » (Staline : Le Marxisme et la question nationale et coloniale, p. 337-338.)

Note sur l’Alsace et la Moselle

   Le principe de l’internationalisme prolétarien permet seul de résoudre correctement la question des minorités nationales.

   C’est le cas pour la population des trois départements : Bas-Rhin, Haut-Rhin, Moselle.

   A proprement parler, il n’y a pas de « nation » alsacienne au sens complet du terme. Mais, si l’on se reporte à la définition scientifique de la nation, on doit constater que ces trois départements présentent une situation spécifique.

   « On ne peut parler… de communauté de langue avec la France lorsque les adultes au-dessus de 40 ans (à quelques exceptions près et sauf dans certaines régions) et les jeunes entre 16 et 20 ans, ne connaissent pas ou presque pas la langue française et lorsque beaucoup de ceux qui ont appris le français ne le parlent ou ne l’écrivent qu’avec difficulté par manque de pratique, — la langue usuelle parlée en famille et sur le lieu du travail étant le dialecte — dialecte d’origine allemande. La comparaison du tirage des journaux en langue allemande par rapport à ceux de langue française est probante.

   Quant à la formation psychique, il est également difficile de nier qu’elle comporte des différences multiples dues à la différence de langue, mais surtout aux différences de l’évolution historique de l’Alsace.

   Toute une série d’expériences historiques faites par la nation française entre 1870 et 1919 (par exemple, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, l’affaire Dreyfus) ne se sont pas gravées dans la conscience de la population d’Alsace et de Lorraine comme dans le reste de la nation. Il n’est pas non plus possible de nier que la période 1940-1945 a été vécue autrement par la masse du peuple en Alsace-Lorraine que par le reste de la France.

   Pour les mêmes raisons historiques et malgré la parenté de langue, il n’y a d’ailleurs pas non plus de communauté nationale entre l’Allemagne et l’Alsace. C’est ainsi que l’expérience de la grande Révolution française ou encore l’expérience de 1936 ont laissé de fortes empreintes en Alsace alors qu’elles manquent au peuple allemand.

   Nous constatons donc que des particularités nationales existent en Alsace-Lorraine. Est-ce qu’elles n’ont pas d’importance ? Est-ce qu’elles ne sont pas la source d’une série de revendications ?

   Bien sûr que si. Leur méconnaissance par les gouvernements français est la base d’un sentiment d’infériorité et la cause de nombreux mécontentements chez les Alsaciens et les Lorrains.

   Cela est évident pour les revendications matérielles particulières… : sécurité sociale, mévente de la production agricole spécifique (vins, tabac, houblon), différences fiscales, situation des fonctionnaires, victimes de guerre, etc.

   Cela est aussi évident pour les problèmes de langue : l’emploi de la seule langue française sur les formulaires et circulaires administratives (sauf les feuilles d’impôt), devant les tribunaux, dans les comités d’entreprises aboutit à des injustices multiples qui sont ressenties comme des brimades.

   L’enseignement de la seule langue française aboutit d’une part, à ce que, en moyenne, les jeunes Alsaciens sortis de l’école primaire ne connaissent pas l’allemand littéraire et connaissent le français moins bien que les jeunes Français des autres départements. Ceux-ci le parlent déjà en entrant à l’école à six ans, le parlent dans la rue, dans leur famille, alors que la plupart des jeunes Alsaciens — qui parlent le dialecte en dehors des heures de classe — ont à l’apprendre entièrement.

   D’autre part, l’enseignement du seul français fait que le jeune Alsacien qui, pour une raison quelconque (travail, service militaire), est éloigné de sa famille ne peut pas correspondre avec elle dans la langue que comprennent ses parents ou grands-parents et il a des difficultés pour lire leurs lettres en allemand. » 

   (Extrait d’une lettre adressée, le 22 mai 1950, par le secrétariat du Parti communiste français aux communistes de Saint-Louis Huningue-Hegenheim (Haut-Rhin). Cahiers du communisme, avril 1950, p. 58. Voir également dans les Cahiers du communisme, mars 1950, l’étude de F. Billoux : « Les grandes responsabilités des communistes d’Alsace et de Lorraine ».)

   Sur les plans historique, linguistique, psychologique, culturel, économique, l’Alsace-Lorraine présente une incontestable originalité par rapport tout à la fois à la nation française et à la nation allemande.

   La bourgeoisie française nie cette originalité. En particulier, elle est hostile à la revendication clairement exprimée par les travailleurs alsaciens, le bilinguisme (allemand et français) à l’école primaire. Elle prétend qu’une telle revendication n’est pas fondée, au mépris des faits les plus évidents. (Quand par contre il s’agit de châtier les bourreaux d’Oradour, elle s’y oppose, sous prétexte que certains sont Alsaciens !)

   Or, il convient d’observer que cette même bourgeoisie, après avoir favorisé, en Alsace-Lorraine, l’action des agents hitlériens (les autonomistes) a livré les Alsaciens-Lorrains à Hitler, en 1940, sans la moindre difficulté.

   Aujourd’hui, tout en maintenant son refus de satisfaire aux revendications des travailleurs alsaciens (notamment en matière linguistique), elle les soumet à une intense propagande « européenne ». Elle souhaite que les travailleurs alsaciens tombent dans le piège de « l’Europe unie », avec l’espoir que « l’Europe » leur donnera enfin ! ce que la France leur refuse. C’est ainsi que la bourgeoisie française, une fois de plus, veut transformer les travailleurs d’Alsace-Lorraine en recrues pour la Wehrmacht. Y a-t-il position plus contraire à la fois aux intérêts des travailleurs de France et aux intérêts des travailleurs d’Alsace ?

   Tout autre est la position de la classe ouvrière française. Conformément à l’internationalisme prolétarien, elle admet les revendications nationales de la minorité alsacienne ; elle lui reconnaît le droit de libre disposition (c’est-à-dire le droit de séparation).

   Mais le droit au divorce n’est pas l’obligation de divorcer.

   « Si les communistes de France ont le devoir, contre l’impérialisme oppresseur, d’insister sur le droit de séparation, ceux d’Alsace-Lorraine ont le devoir de mettre l’accent sur l’union librement consentie des, peuples d’Alsace et de Lorraine avec les travailleurs de France, sous peine de tomber dans l’étroitesse nationale. » (M. Thorez : « Le droit à la libre disposition des peuples d’Alsace-Lorraine », (L’Humanité, 20 nov. 1934), Œuvres, L. II, t. VII, p. 140.)

   L’intérêt actuel des travailleurs d’Alsace-Lorraine n’est pas la séparation ; il est de défendre et de faire prévaloir leurs revendications nationales dans l’union la plus étroite avec les travailleurs de France. Il en fut ainsi en 1936, quand les travailleurs alsaciens ont combattu pour le Front populaire. Il en fut ainsi sous l’occupation nazie; les travailleurs Alsaciens-Lorrains ont, en union avec la classe ouvrière française, mené la lutte libératrice contre les hitlériens (et leurs complices). Le cheminot communiste Wodli est l’héroïque symbole de cette lutte unie contre l’ennemi commun. Aujourd’hui, l’intérêt des travailleurs d’Alsace-Lorraine est de lutter avec les travailleurs de France contre la bourgeoisie réactionnaire pour les libertés démocratiques et le progrès social, et contre le réveil du nazisme en Allemagne, contre Adenauer et sa Wehrmacht.

QUESTIONS DE CONTROLE

  1. « Un peuple qui en opprime d’autres ne saurait être libre » (Marx). Pourquoi ?
  2. Qu’est-ce que le droit des nations à disposer d’elles-mêmes ?
  3. Le respect du droit de libre disposition des nations importe-t-il à la paix mondiale ?
  4. Montrez au moyen d’un exemple actuel comment l’internationalisme prolétarien permet de porter une appréciation juste sur le mouvement national d’indépendance dans tel ou tel pays colonial ou dépendant.
  5. Quels sont les caractères d’une nation socialiste ?
  6. Que faut-il entendre par fusion des nations ?


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