Comment se pose la question ?

De la guerre prolongée

Mao Zedong

Comment se pose la question ?

  1. Nous approchons du 7 juillet, premier anniversaire du déclenchement de la grande Guerre de Résistance contre le Japon.

   Voilà donc bientôt un an que notre nation tout entière, unissant ses forces, persévérant dans la Résistance et maintenant fermement le front uni, se bat avec héroïsme contre l’ennemi.

   C’est là une guerre comme on n’en avait jamais vu dans l’histoire de l’Orient, et une place éminente lui reviendra dans l’histoire de l’humanité.

   Les peuples du monde entier en suivent le déroulement avec attention.

   Victime des calamités de la guerre et luttant pour l’existence de la nation, chaque Chinois aspire ardemment à la victoire.

   Mais comment cette guerre va­-t-­elle se dérouler ?

   Pourrons-­nous vaincre ? Pourrons-­nous vaincre rapidement ? Beaucoup parlent d’une guerre prolongée, mais pourquoi la guerre serait­-elle prolongée ?

   Comment conduire une guerre prolongée ?

   Beaucoup parlent de la victoire finale, mais pourquoi remporterons-­nous la victoire finale, et comment remporter cette victoire ?

   Plus d’un parmi nous ne peut encore trouver la réponse à ces questions, et c’est même le cas de la plupart.

   Alors se présentent les partisans de la théorie défaitiste de l’asservissement inéluctable de la Chine, qui disent : « La Chine sera asservie, la victoire finale ne sera pas à la Chine. »

   Ou bien certains de nos amis par trop impétueux s’empressent d’annoncer : « La Chine peut remporter la victoire très rapidement et sans grands efforts. »

   Ces opinions sont-­elles justes ?

   Nous avons toujours dit qu’elles ne l’étaient pas.

   Cependant, la plupart des gens n’ont pas encore compris ce que nous avons dit.

   Cela vient en partie de ce que notre travail de propagande et d’explication était insuffisant, et en partie de ce que les événements objectifs n’avaient pas encore révélé complètement, en se développant, leur caractère véritable et ne s’étaient pas encore manifestés tout à fait clairement, de sorte qu’on n’a pu discerner leurs tendances et leurs perspectives ni, par suite, déterminer entièrement la politique et les méthodes d’action qui convenaient.

   Maintenant, c’est différent.

   L’expérience de dix mois de guerre de résistance suffit amplement à ruiner la théorie, dénuée de tout fondement, de l’asservissement inéluctable de la Chine et à convaincre du même coup nos amis par trop impétueux que leur théorie d’une victoire rapide est erronée.

   Dans ces circonstances, beaucoup demandent des éclaircissements qui fassent le point de la situation, d’autant plus qu’une guerre prolongée suscite l’opposition aussi bien des partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine que des partisans de la théorie de la victoire rapide, alors que d’autres s’en font une idée bien vague.

   Une formule comme celle-­ci : « Depuis l’Incident de Loukeoukiao, 400 millions de Chinois déploient tous ensemble leurs efforts et la victoire finale sera à la Chine » est largement répandue.

   Cette formule est juste, mais il faut lui donner un contenu concret.

   Si nous avons pu persévérer dans la Guerre de Résistance et maintenir le front uni, c’est grâce au concours de nombreux facteurs.

   Ce sont, en Chine, tous les partis politiques, du Parti communiste au Kuomintang ; le peuple tout entier, depuis les ouvriers et les paysans jusqu’à la bourgeoisie ; toutes les forces armées, depuis les troupes régulières jusqu’aux détachements de partisans ; sur le plan international, le pays du socialisme et tous les peuples épris de justice ; dans le camp ennemi, ceux parmi la population et les soldats du front qui sont contre la guerre.

   Bref, tous ces facteurs contribuent, à divers degrés, à soutenir notre Guerre de Résistance.

   Toute personne de bonne foi doit leur rendre hommage.

   Nous, communistes, avec les autres partis politiques de la Résistance et le peuple tout entier, n’avons d’autre voie que de lutter pour l’union de toutes les forces en vue de la victoire sur les bandits japonais exécrés.

   Le premier juillet de cette année, nous célébrerons le XVIIe anniversaire de la fondation du Parti communiste chinois.

   Pour que chaque communiste puisse fournir un effort toujours plus grand et plus efficace dans la Guerre de Résistance, il faut aussi attacher à l’étude de la guerre prolongée une importance particulière.

   C’est pourquoi mes conférences seront consacrées à cette étude.

   Je tâcherai de traiter toutes les questions concernant cette guerre, mais il ne m’est pas possible d’entrer dans tous les détails au cours d’un seul cycle de conférences.

  1. Toute l’expérience de dix mois de guerre atteste que la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine et la théorie de la victoire rapide sont fausses l’une comme l’autre.

   La première engendre la tendance au compromis, la seconde la tendance à la sous-estimation des forces de l’ennemi. Les partisans de ces théories abordent la question d’une façon subjective, unilatérale, en un mot, anti-scientifique.

  1. Avant la Guerre de Résistance, bien des opinions défaitistes avaient cours.

   On disait par exemple : « La Chine est moins bien armée que l’ennemi, se battre c’est perdre la guerre. »

   « Si nous résistons, le destin de l’Abyssinie nous attend. »

   Depuis le début de la guerre, la propagande sur la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine ne se fait plus ouvertement, elle se poursuit sous une forme voilée, mais très activement, comme le montrent, par exemple, les bruits de compromis qui tantôt s’élèvent et tantôt s’apaisent.

   Les partisans du compromis ont recours à l’argument suivant :

   « Poursuivre la guerre, c’est l’asservissement inéluctable((La théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine exprimait les vues du Kuomintang. Le Kuomintang ne voulait pas résister aux envahisseurs japonais et ne leur résista par la suite que lorsqu’il y fut contraint. Après l’Incident de Lou­keoukiao, le groupe de Tchiang Kaïchek participa à contre­cœur à la résistance au Japon. La théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine fut alors représentée par des gens comme Wang Tsing­wei, qui avaient l’intention de capituler devant le Japon et qui capitulèrent effectivement par la suite. Cette théorie ne sévissait pas cependant dans le seul Kuomintang ; son influence se faisait sentir également au sein de certaines couches moyennes de la société et même parmi des couches arriérées de travailleurs.

Cela s’explique par le fait que le gouvernement du Kuomintang était corrompu et incapable et qu’il essuyait dans la guerre défaite sur défaite, tandis que l’armée japonaise progressait rapidement et parvenait près de Wouhan au cours même de la première année de la guerre. Ce qui engendra des sentiments profondément pessimistes dans des couches arriérées de la population.)).« 

   Un étudiant nous écrit du Hounan :

   « A la campagne, je me heurte partout à des difficultés. Faisant le travail de propagande tout seul, je suis obligé de saisir toutes les occasions pour causer avec les gens. Mes interlocuteurs ne sont pas des ignares, ils sont plus ou moins au courant de ce qui se passe et manifestent un grand intérêt pour tout ce que je leur dis. 

Mais lorsque je me trouve avec les quelques parents que j’ai ici, ils disent invariablement : « La Chine ne peut pas vaincre, elle est perdue. » J’en suis malade. Encore heureux qu’ils ne fassent pas de la propagande, ce serait désastreux. Les paysans, bien entendu, leur donnent crédit plus qu’à moi ! »

   Les partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine constituent la base sociale de la tendance au compromis. Il existe de ces gens dans tous les coins de la Chine.

   Voilà pourquoi l’esprit de compromis peut se manifester au sein du front anti-japonais à n’importe quel moment, et peut-­être jusqu’à la fin de la guerre.

   Maintenant que Siutcheou vient de tomber et que la situation est critique à Wouhan, il ne sera pas mauvais, me semble-­t-­il, de donner a ces partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine une riposte cinglante.

  1. Durant les dix mois de la Guerre de Résistance, toutes sortes de vues dénotant de l’impétuosité ont également fait leur apparition.

   Par exemple, dans les premiers jours de la guerre, beaucoup se sont laissés aller à l’optimisme, sans la moindre justification.

   Ils sous­-estimaient le Japon et pensaient même que l’ennemi n’atteindrait pas la province du Chansi.

   Certains sous­-estimaient le rôle stratégique des opérations de partisans dans la Guerre de Résistance et mettaient en doute la formulation suivante : « Pour les opérations militaires considérées dans leur ensemble, la guerre de mouvement est la forme principale, et la guerre de partisans la forme auxiliaire ; dans les situations particulières, la guerre de partisans est la forme principale, et la guerre de mouvement la forme auxiliaire. »

   Ils n’approuvaient pas ce principe stratégique de la VIIIe Armée de Route : « Faire essentiellement une guerre de partisans, sans se refuser à la guerre de mouvement lorsque les circonstances sont favorables », point de vue qu’ils trouvaient « mécaniste »((Ces points de vue existaient dans les rangs du Parti communiste chinois. Il y avait dans les six premiers mois de la Guerre de Résistance contre le Japon une tendance, au sein du Parti, à sous-­estimer les forces de l’ennemi.

   Des camarades pensaient que le Japon succomberait au premier coup. Ce n’est pas du tout qu’ils estimaient comme très grandes les forces des troupes et des masses populaires organisées dirigées par le Parti communiste : ils savaient au contraire qu’en ce temps-­là ces forces étaient encore très faibles. Ils partaient de l’idée que le Kuomintang participait à la Guerre de Résistance et qu’il disposait, à ce qu’il leur semblait, de grandes forces, capables de briser les envahisseurs japonais, en agissant de concert avec les forces du Parti communiste. Ils ne voyaient qu’un seul aspect des choses, la participation du Kuomintang à la Résistance, et oubliaient l’autre, le caractère réactionnaire et la corruption du Kuomintang. D’où cette appréciation erronée de la situation.)).

   Lors de la bataille de Chang­hai’, certains disaient : « Il suffit de tenir trois mois et la situation internationale changera, l’Union soviétique entrera en guerre et la guerre sera terminée. »

   Ils envisageaient l’avenir de la Guerre de Résistance en fondant leurs espoirs principalement sur l’aide étrangère((Tel était le point de vue de Tchiang Kaï­chek et de sa bande. Obligé de poursuivre la Guerre de Résistance, le Kuomintang de Tchiang Kaïchek, qui n’avait pas de confiance dans ses propres forces et en avait moins encore dans les forces du peuple, plaçait tous ses espoirs dans une prompte aide extérieure.)).

   Après la victoire à Taieultchouang((Taieultchouang, petite ville située dans la partie méridionale de la province du Chantong. En mars 1938, une bataille se déroula dans la région de Taieultchouang entre l’année chinoise et les troupes d’invasion japonaises. Forte de 400.000 hommes, l’armée chinoise remporta la victoire sur l’armée japonaise qui ne comptait que 70.000 à 80.000 hommes.)), certains pensaient que la bataille de Siutcheou devait être « une bataille quasi décisive » et qu’il convenait de réviser la thèse antérieure sur la guerre prolongée.

   Ils disaient : « Cette bataille marque l’effort désespéré de l’ennemi », « si nous remportons la victoire dans cette bataille, nous ébranlerons le moral des militaristes japonais et il ne leur restera qu’à attendre le jour du jugement »((Ce point de vue a été avancé dans l’un des éditoriaux du journal Takongpao, qui était à l’époque l’organe du Groupe de Sciences politiques du Kuomintang. Les partisans de ce point de vue plaçaient leurs espoirs dans un concours heureux de circonstances et pensaient que, grâce à un certain nombre de victoires semblables à celle de Taieultchouang, il serait possible d’arrêter l’avance des troupes japonaises et d’éviter ainsi la mobilisation, pour une guerre de longue durée, des forces populaires, mobilisation qui aurait été une menace pour la sécurité de leur propre classe. En ce temps­là, le Kuomintang tout entier était pénétré de l’espoir d’un heureux concours de circonstances.)).

   La victoire de Pinghsingkouan avait déjà tourné la tête à quelques-­uns, puis celle de Taieultchouang a tourné la tête à un bien plus grand nombre encore.

   On a commencé alors à se demander si l’ennemi marcherait sur Wouhan. Beaucoup pensaient : « Ce n’est pas sûr. » D’autres affirmaient : « Certainement pas. »

   Or, de tels doutes peuvent avoir des répercussions sur la réponse à donner à tout un ensemble de questions importantes.

   Par exemple, à la question : Les forces anti-japonaises sont-­elles suffisantes ? on pourrait donner une réponse affirmative.

   Et si l’on pense que nos forces actuelles empêchent déjà l’ennemi de poursuivre son offensive, alors pourquoi les accroître ?

   Ou encore, si on pose la question : Le mot d’ordre de la consolidation et de l’élargissement du front uni national anti-japonais reste-­t-­il toujours juste ? la réponse peut être : Non, puisque le front uni, dans son état actuel, est déjà capable de repousser l’ennemi, pourquoi le consolider et l’élargir ?

   De même, une réponse négative pourrait être donnée à la question : Faut-il renforcer notre activité diplomatique et notre travail de propagande à l’étranger ? ou aux suivantes : Faut-­il s’attacher sérieusement à réformer les systèmes militaire et politique, à développer le mouvement de masse, à mettre en vigueur une éducation au service de la défense nationale, à réprimer les traîtres à la nation et les trotskistes, à développer l’industrie de guerre et à améliorer les conditions de vie du peuple ?

   Il en va de même pour la question : Les mots d’ordre pour la défense de Wouhan, de Canton et du Nord-­Ouest et pour le développement énergique de la guerre de partisans à l’arrière de l’ennemi restent-­ils toujours valables ?

   Il arrive même que, la situation militaire s’améliorant tant soit peu, certains s’apprêtent à accroître les « frictions » entre le Kuomintang et le Parti communiste, détournant ainsi l’attention des problèmes extérieurs pour la diriger vers les problèmes intérieurs.

   Cela se produit presque infailliblement chaque fois qu’une victoire plus ou moins importante a été remportée ou que l’ennemi suspend momentanément son offensive.

   Tout cela peut être qualifié de myopie politique et militaire.

   Sous un air logique, ce sont en réalité des bavardages absolument inconsistants, qui n’ont que l’apparence de la vérité.

   Dans l’intérêt de la conduite victorieuse de la Guerre de Résistance, il serait bon de mettre fin à ce verbiage.

  1. La question se pose donc ainsi : La Chine sera­-t­-elle asservie ?

   Réponse : Non, elle ne le sera pas, et la victoire finale lui reviendra. La Chine peut-­elle vaincre rapidement ?

   Réponse : Non, elle ne le pourra pas, la Guerre de Résistance sera une guerre prolongée.

  1. Les principaux arguments sur ces questions ont été exposés dans leurs grandes lignes il y a déjà deux ans.

   Dès le 16 juillet 1936, c’est­-à­-dire cinq mois avant l’Incident de Sian et un an avant l’Incident de Loukeoukiao, dans un entretien avec M. Edgar Snow, journaliste américain, j’ai donné une appréciation générale de la situation touchant la guerre sino-­japonaise et formulé divers principes pour remporter la victoire. Ce que ces quelques passages de l’entretien pourront nous remettre en mémoire :

Question : Dans quelles conditions la Chine pourra-­t-­elle vaincre et détruire les forces du Japon ?

Réponse : Trois conditions sont nécessaires : premièrement, la création d’un front uni anti-japonais en Chine ; deuxièmement, la formation d’un front uni anti-japonais mondial ; troisièmement, l’essor du mouvement révolutionnaire du peuple au Japon et dans les colonies japonaises. Pour le peuple chinois, la plus importante de ces trois conditions est la réalisation de sa grande union.

Question : Combien de temps, à votre avis, cette guerre durera­-t­-elle ?

Réponse : Cela dépendra de la force du front uni anti-japonais en Chine, et de beaucoup d’autres facteurs décisifs en Chine et au Japon. En d’autres termes, à part la force de la Chine, dont le rôle est essentiel, l’aide internationale ainsi que le soutien qu’apporterait une révolution au Japon auront aussi leur importance.

   Si le front uni anti-japonais en Chine se développe puissamment, s’il est organisé efficacement en largeur et en profondeur, si les gouvernements et les peuples qui se rendent compte que l’impérialisme japonais menace leurs propres intérêts apportent à la Chine l’aide nécessaire, si la révolution éclate sous peu au Japon, la guerre sera courte, et rapide la victoire de la Chine. Si ces conditions ne se réalisent pas à bref délai, la guerre se prolongera, mais les résultats seront les mêmes : le Japon sera vaincu, la Chine sera victorieuse ; seulement les sacrifices seront grands, et il y aura une période douloureuse à supporter.

Question : Quelle est votre opinion sur le développement probable de cette guerre du point de vue politique et militaire ?

Réponse : La politique continentale du Japon, est déjà fixée. Ceux qui s’imaginent qu’il suffit, pour arrêter l’avance japonaise, de faire des compromis avec le Japon en sacrifiant de nouveaux territoires et droits souverains de la Chine s’abandonnent à des illusions.

   Nous savons parfaitement que le bassin du bas Yangtsé et nos ports maritimes du Sud sont d’ores et déjà inclus dans la politique continentale de l’impérialisme japonais. De plus, le Japon veut occuper les Philippines, le Siam, le Vietnam, la presqu’île de Malacca et les Indes néerlandaises, afin d’isoler la Chine des autres pays et d’établir sa domination sans partage sur la zone sud-­ouest du Pacifique.

   Telle est la politique maritime du Japon. Dans une telle période, la situation de la Chine sera incontestablement des plus difficiles. Toutefois, le peuple chinois, dans sa majorité, est persuadé que ces difficultés sont surmontables ; seuls les riches des grands ports commerciaux sont défaitistes, car ils craignent pour leurs biens. Beaucoup pensent que la Chine sera dans l’impossibilité de poursuivre la guerre dès que ses côtes auront été soumises au blocus par le Japon. Ce sont là des balivernes.

   Pour réfuter ce point de vue, il nous suffit de rappeler l’histoire de l’Armée rouge. Dans la Guerre de Résistance, la Chine est en bien meilleure posture que ne l’était l’Armée rouge au temps de la guerre civile.

   La Chine est un pays immense ; même si le Japon parvenait à occuper des territoires peuplés de cent, voire de deux cents millions d’habitants, nous serions encore loin de la défaite ; nous aurions encore une force amplement suffisante pour résister aux Japonais qui, durant toute la guerre, auraient à livrer sans répit des combats défensifs sur leurs arrières.

   Le manque d’unité et le développement inégal de l’économie chinoise favorisent plutôt la Résistance. Par exemple, séparer Changhaï du reste de la Chine n’est pas aussi désastreux pour le pays que ne le serait l’isolement de New­-York du reste des Etats­-Unis. Le Japon peut imposer son blocus aux côtes chinoises, mais non à la Chine du Nord­-Ouest, du Sud­-Ouest et de l’Ouest.

   C’est pourquoi, le cœur du problème reste l’union de tout le peuple chinois et la création d’un front anti-japonais de toute la nation. Et cela, il y a longtemps que nous le préconisons.

Question : Si la guerre devait se prolonger et que le Japon ne soit pas complètement battu, le Parti communiste accepterait­-il de négocier la paix avec le Japon et de reconnaître sa domination sur la Chine du Nord-­Est ?

Réponse : Non. Le Parti communiste chinois, comme le peuple chinois tout entier, n’admettra pas que le Japon garde un seul pouce du territoire chinois.

Question : Quelle doit être, à votre avis, la stratégie fondamentale pour cette guerre de libération ?

Réponse : Notre stratégie doit consister à employer nos forces principales sur un front étiré et indéterminé. Pour remporter la victoire, les troupes chinoises opéreront sur de vastes champs de bataille, avec un haut degré de mobilité : avances et replis rapides, concentration et dispersion rapides des forces.

   Ce sera une vaste guerre de mouvement plutôt qu’une guerre de position reposant exclusivement sur des ouvrages défensifs avec de profondes tranchées, des remparts élevés et des lignes de défense en profondeur.

   Cela ne signifie pas l’abandon de tous les points stratégiques importants, qui doivent être défendus par une guerre de position tant qu’il y a avantage à le faire. Toutefois, la stratégie décisive doit être axée sur la guerre de mouvement.

   La guerre de position est nécessaire, mais elle ne jouera qu’un rôle auxiliaire, secondaire.

   Du point de vue géographique, le théâtre d’opérations est tellement vaste qu’il nous sera possible d’y poursuivre avec le plus grand succès la guerre de mouvement. Face à l’action énergique de nos troupes, les forces japonaises devront agir avec prudence.

   Leur machine de guerre est lourde, lente à se mouvoir et est d’une efficacité limitée. Une forte concentration de nos troupes en un secteur étroit du front, pour résister à l’ennemi par la guerre d’usure, nous priverait des avantages de notre situation géographique et de notre organisation économique, et nous commettrions l’erreur de l’Abyssinie.

   Dans la période initiale de la guerre, nous devons éviter toute grande bataille décisive et commencer par saper progressivement le moral et la capacité de combat des troupes ennemies en recourant à la guerre de mouvement.

   Tout en utilisant pour la guerre de mouvement des troupes bien entraînées, nous devons organiser un grand nombre de détachements de partisans parmi les paysans.

   Ce que les unités de volontaires anti-japonais ont accompli dans les trois provinces du Nord-­Est n’est qu’une bien pâle illustration de ce que peuvent les forces potentielles de la paysannerie susceptibles d’être mobilisées pour la Résistance.

   Les paysans chinois disposent de forces potentielles énormes. Organisés et dirigés comme il faut, ils mettront sur les dents les troupes japonaises vingt-quatre heures par jour sans leur laisser un instant de répit.

   Il ne faut pas oublier que la guerre se déroule sur le sol chinois. Cela signifie que l’armée japonaise se trouvera complètement encerclée par le peuple chinois qui lui est hostile ; elle sera obligée de faire venir du Japon tous ses approvisionnements et d’en assurer elle-même la protection ; elle devra utiliser des forces importantes pour protéger ses lignes de communication et être constamment en garde contre des attaques par surprise ; il lui faudra en outre laisser de fortes garnisons en Mandchourie comme au Japon.

   Au cours de la guerre, la Chine pourra faire prisonniers un grand nombre de soldats japonais et s’emparer d’une grande quantité d’armes et de munitions, qui serviront à son propre armement ; en même temps, l’aide étrangère qu’elle recevra lui permettra d’améliorer graduellement l’équipement de ses troupes.

   Elle sera donc en mesure de conduire une guerre de position dans la période finale de la guerre et d’attaquer les positions fortifiées dans les régions occupées par les Japonais.

   Ainsi, minée par une longue résistance de la Chine, l’économie japonaise s’effondrera, et le moral des troupes japonaises sera brisé après d’innombrables et épuisants combats.

   Quant à la Chine, elle verra croître avec vigueur ses forces potentielles de résistance et les masses révolutionnaires affluer au front et se battre pour leur liberté.

   Ces facteurs, joints à d’autres encore, nous permettront de lancer les attaques finales et décisives contre les places fortes et les bases des régions d’occupation japonaise et de chasser hors de Chine l’armée des envahisseurs.

   L’expérience de dix mois de guerre a montré que ces considérations étaient justes ; leur justesse apparaîtra encore plus clairement à l’avenir.

  1. Dès le 25 août 1937, c’est­-à-­dire un peu plus d’un mois après l’Incident de Loukeoukiao, le Comité central du Parti communiste chinois a indiqué clairement dans la Résolution sur la situation actuelle et les tâches du Parti :

   La provocation militaire des envahisseurs japonais à Loukeoukiao et l’occupation de Peiping et de Tientsin ne sont que le début d’une vaste offensive dirigée contre la partie de la Chine située au sud de la Grande Muraille.

   Ils ont déjà commencé à mobiliser leur pays en vue de la guerre.

   Leur propagande affirmant qu’ils n’ont « aucun désir d’aggraver la situation » n’est qu’un rideau de fumée destiné à camoufler leur offensive.

   La résistance à Loukeoukiao, le 7 juillet, marque le début de la Guerre de Résistance contre le Japon menée à l’échelle nationale.

   La situation politique en Chine est entrée désormais dans une étape nouvelle, celle de la Guerre de Résistance.

   L’étape de la préparation à la guerre est déjà dépassée.

   A cette nouvelle étape, notre tâche capitale est de mobiliser toutes les forces pour remporter la victoire.

   Développer la guerre, déjà déclenchée, en une guerre générale de toute la nation, telle est la clé de la victoire dans la Guerre de Résistance. Seule cette guerre générale de toute la nation nous permettra de remporter la victoire finale.

   Comme il subsiste de grandes faiblesses dans la conduite de la Guerre de Résistance, de nombreuses difficultés peuvent encore surgir : revers et retraites, scissions et trahisons, compromis temporaires et partiels.

   C’est pourquoi il faut s’attendre à une guerre longue et acharnée. Mais nous sommes convaincus que, grâce aux efforts de notre Parti et de tout le peuple, la Résistance qui a déjà commencé se poursuivra et se développera, brisant tous les obstacles sur sa route.

   L’expérience de dix mois de guerre a également montré que ces considérations étaient justes ; leur justesse apparaîtra encore plus clairement à l’avenir.

  1. Au point de vue de la connaissance, toutes les opinions erronées sur la guerre proviennent de l’idéalisme et du mécanisme. Ceux qui partagent ces opinions abordent la question de la guerre d’une façon subjective et unilatérale.

   Ils se livrent à un bavardage dénué de tout fondement et entièrement subjectiviste, ou bien, considérant seulement un côté des faits, leur état à un moment donné, exagèrent de façon tout aussi subjective ce côté, cette situation temporaire, les prenant pour le tout.

   Cependant, il y a erreurs et erreurs.

   Les unes, qui ont un caractère fondamental et donc permanent, sont difficiles à redresser ; les autres, qui ont un caractère accidentel, donc temporaire, sont faciles à corriger.

   Mais, les unes et les autres étant des erreurs, il est indispensable de les corriger toutes.

   C’est pourquoi il n’est possible d’arriver à des conclusions justes qu’en luttant contre les tendances idéalistes et mécanistes dans la question de la guerre et en examinant cette question objectivement et sous tous ses aspects.

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