Notre argumentaire sur la question

De la guerre prolongée

Mao Zedong

Notre argumentaire sur la question

  1. Pourquoi la Guerre de Résistance sera­-t-­elle une guerre prolongée ? Pourquoi la victoire finale appartiendra-­t­-elle à la Chine ? Quels arguments peut-­on présenter à l’appui de ces affirmations ?

   La guerre sino-­japonaise n’est pas une guerre quelconque, c’est une guerre à mort entre la Chine semi-­coloniale et semi-­féodale et le Japon impérialiste, et elle se déroule dans les années 30 du XXe siècle. Toute notre argumentation est bâtie là­-dessus.

   Considérée séparément, chacune des deux parties belligérantes possède tout un ensemble de particularités qui sont contraires à celles de l’autre.

  1. Le Japon : Premièrement, c’est une grande puissance impérialiste ; ses forces armées, sa puissance économique et la puissance de son appareil d’Etat le placent au premier rang en Orient ; c’est même l’une des cinq ou six plus grandes puissances impérialistes du monde.

   Tels sont les facteurs de base de la guerre d’agression que fait le Japon.

   Le caractère inéluctable de cette guerre et l’impossibilité pour la Chine de remporter une prompte victoire s’expliquent précisément par le fait que le Japon est un pays impérialiste qui dispose d’une puissante force militaire, d’une puissante économie et d’un puissant appareil d’Etat.

   Mais, deuxièmement, la nature impérialiste de l’économie sociale du Japon détermine le caractère impérialiste, c’est-­à-­dire rétrograde et barbare, de la guerre qu’il poursuit.

   Dans les années 30 du XXe siècle, les contradictions internes et externes de l’impérialisme japonais ne l’ont pas seulement contraint à se lancer dans une guerre d’aventure d’une ampleur sans précédent, mais l’ont aussi placé au seuil d’une faillite définitive.

   Du point de vue de son développement social, le Japon n’est plus un pays en voie d’essor ; la guerre n’apportera pas aux classes dirigeantes du Japon la prospérité qu’elles en attendent, elle aboutira au résultat exactement inverse : la ruine de l’impérialisme japonais.

   C’est ce que nous entendons par le caractère rétrograde de la guerre que poursuit le Japon.

   C’est cela qui, joint au caractère militaire et féodal de l’impérialisme japonais, détermine la barbarie particulière avec laquelle le Japon poursuit cette guerre.

   L’ensemble de ces facteurs poussera à l’extrême l’antagonisme entre les classes au Japon même, l’antagonisme entre les nations japonaise et chinoise, et l’antagonisme entre le Japon et la plupart des pays du monde.

   Le caractère rétrograde et barbare de la guerre que poursuit le Japon est la raison principale de sa défaite inévitable.

   Mais ce n’est pas tout. Troisièmement, bien que le Japon fasse la guerre en s’appuyant sur la puissance de sa force militaire, de son économie et de son appareil d’Etat, sa base n’en est pas moins insuffisante en elle-même.

   Du point de vue militaire, économique et de l’appareil d’Etat, la puissance du Japon est grande, mais quantitativement insuffisante.

   Le Japon est un pays relativement petit ; il manque de ressources humaines, militaires, financières et matérielles ; il ne pourra pas supporter une guerre de longue durée.

   Ses gouvernants espèrent surmonter ces difficultés grâce à la guerre, mais là aussi ils aboutiront au résultat exactement inverse ; en d’autres termes, ils ont déclenché une guerre pour résoudre ces difficultés, mais la guerre finira par les augmenter encore et par engloutir même ce que le Japon possédait au début.

   Enfin, quatrièmement, bien que le Japon puisse recevoir une aide extérieure des pays fascistes, les forces internationales à l’opposition desquelles il ne manquera pas de se heurter l’emporteront sur celles qui lui apportent de l’aide.

   Ces forces internationales grandiront graduellement et, finalement, elles neutraliseront l’aide des pays fascistes et feront pression sur le Japon lui-même.

   Ici entre en jeu une loi découlant de la nature même de la guerre poursuivie par le Japon : une cause injuste trouve peu de soutien.

   En résumé, la supériorité du Japon consiste en sa puissance de guerre et ses points faibles résident dans le caractère rétrograde et barbare de la guerre qu’il poursuit, dans l’insuffisance de ses ressources en forces humaines et matérielles et dans son état d’isolement international.

   Telles sont les caractéristiques du Japon.

  1. La Chine : Premièrement, elle est un pays semi­-colonial et semi-féodal. La Guerre de l’Opium, la Guerre des Taiping, le Mouvement réformiste de 1898, la Révolution de 1911, l’Expédition du Nord, bref, tous les mouvements révolutionnaires ou réformistes qui s’étaient donné pour but d’arracher la Chine à son état de pays semi-colonial et semi­-féodal ont essuyé de graves échecs, et c’est pourquoi la Chine reste un pays semi­-colonial et semi­-féodal.

   Nous sommes toujours un pays faible : notre force militaire, la puissance de notre économie et de notre appareil d’Etat sont manifestement inférieures à celles de l’ennemi, ce qui détermine également le caractère inéluctable de la guerre et l’impossibilité pour la Chine de remporter une prompte victoire.

   Deuxièmement, cependant, le mouvement de libération qui n’a cessé de se développer en Chine tout au long des cent dernières années se distingue de celui de toute autre période historique antérieure.

   Si les diverses forces intérieures et extérieures qui s’opposaient à ce mouvement lui ont infligé de sérieux échecs, elles ont trempé en même temps le peuple chinois.

   Aujourd’hui, notre pays retarde sur le Japon tant du point de vue militaire, économique et culturel que du point de vue de l’appareil d’Etat, mais il y a chez nous des forces plus progressistes qu’à n’importe quelle période de notre histoire.

   Le Parti communiste chinois et l’armée qu’il dirige représentent ces forces de progrès, et c’est sur la base de ce progrès que la guerre de libération, poursuivie actuellement par la Chine, pourra prendre le caractère d’une guerre prolongée et aboutir à la victoire finale.

   Par contraste avec l’impérialisme japonais qui est sur son déclin, la Chine est comme le soleil qui se lève.

   La guerre que poursuit la Chine est une guerre pour le progrès, et par suite une guerre juste, qui, en tant que telle, peut rallier tout le pays, susciter la sympathie du peuple du pays ennemi, et faire bénéficier la Chine du soutien de la majorité des pays du monde.

   Troisièmement, la Chine est un grand pays, avec un vaste territoire, d’abondantes ressources matérielles, une population nombreuse et une grande armée.

   Par conséquent, elle est à même de soutenir une guerre de longue durée et, là encore, elle est dans une situation contraire à celle du Japon.

   Enfin, quatrièmement, le large soutien international que vaut à la Chine le caractère progressiste et juste de la guerre qu’elle poursuit est, lui aussi, l’exact contraire du maigre soutien donné à la cause injuste du Japon.

   En résumé, le point vulnérable de la Chine réside dans sa faible puissance de guerre, et sa supériorité, dans le caractère progressiste et juste de la guerre qu’elle poursuit, dans sa qualité de grand pays et dans le large soutien international dont elle bénéficie.

   Telles sont les particularités de la Chine.

  1. Ainsi, le Japon dispose d’une puissante force militaire, d’une puissante économie et d’un puissant appareil d’Etat, mais la guerre qu’il poursuit est de caractère rétrograde et barbare, les ressources humaines et matérielles qu’il possède sont insuffisantes et la situation internationale lui est défavorable.

   Pour la Chine, c’est tout le contraire ; sa force militaire, son économie et son appareil d’Etat sont relativement faibles, mais elle connaît une époque de progrès et la guerre qu’elle poursuit est une guerre progressiste et juste.

   En outre, elle est un grand pays, ce qui lui donne la possibilité de soutenir une longue guerre. De plus, la Chine recevra de l’aide de la plupart des pays du monde.

   Telles sont les particularités fondamentales, réciproquement contraires, de la Chine et du Japon en tant que parties belligérantes.

   Ces particularités ont déterminé et déterminent encore toute l’orientation politique et toute la stratégie et la tactique militaire des deux parties ; elles ont déterminé et déterminent encore le caractère prolongé de la guerre et elles annoncent la victoire définitive de la Chine et non du Japon.

   La guerre est une compétition entre ces particularités.

   Elles changeront au cours de la guerre, chacune suivant sa propre nature ; et tout ce qui se produira découlera de ces particularités et de leurs changements.

   Ces particularités existent réellement, elles n’ont pas été inventées pour duper les gens.

   Elles constituent tous les éléments essentiels de la guerre, elles ne représentent pas des aspects séparés et isolés.

   Elles sont sous­-jacentes à tous les problèmes, grands et petits, qui se posent aux deux parties à toutes les étapes de la guerre, elles ne sont aucunement quelque chose d’accessoire.

   Si, dans l’examen de la guerre sino-­japonaise, on perd de vue ces particularités, on tombe inévitablement dans l’erreur, et même si certaines opinions paraissent justes au début et prennent crédit un certain temps, le développement ultérieur de la guerre n’en montrera pas moins qu’elles sont fausses.

   En nous fondant sur ces particularités, nous allons maintenant passer à l’explication des questions que nous avons à traiter.

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