2. Lénine défend, applique et développe le marxisme

Textes de bases du PCm

Parti Communiste Maoïste (PCm)

I. Marxisme-Léninisme-Maoïsme

2. Lénine défend, applique et développe le marxisme

   A partir de la fin du XIXème siècle, les révolutions bourgeoises en occident étaient terminées. On entrait dans une période de calme relatif. Le marxisme se diffusait ouvertement par le travail parlementaire, les journaux, les brochures, etc.

   Au niveau économique, le capitalisme est alors en pleine mutation. Il acquiert son caractère monopoliste à cette époque avec, entre autres, l’augmentation des exportations de capitaux. Une aristocratie ouvrière se développe alors sur la base des super profits issus des colonies. Ces dernières ont connu une extension particulière durant cette période où les grandes puissances coloniales (Grande Bretagne, France, Allemagne, Belgique, Portugal, etc.) se sont partagées (de manière non-pacifique) le monde.

   Sur cette base, l’opportunisme va se développer au sein du mouvement ouvrier.

   C’est également à cette époque et dans ce contexte que l’opposition au révisionnisme va poursuivre son développement sur les bases des luttes que Marx et Engels menèrent en leur temps, principalement dans la lutte contre l’opportunisme au sein de la IIème Internationale.

   Lénine va avoir un rôle très important dans cette lutte et sa contribution à la défense et au développement du marxisme fut si importante que le léninisme sera identifié comme la deuxième étape du marxisme, fondant le marxisme-léninisme. Lénine dû réaffirmer avec forces les principes de base du marxisme, la dialectique matérialiste et la conception matérialiste de l’histoire tout en définissant les nécessités de l’organisation du Parti du prolétariat. Lénine approfondira également la compréhension marxiste au regard de l’Etat, du Parti, de la dictature du prolétariat et surtout de l’économie politique avec son analyse du développement du capitalisme en impérialisme.

1. Les tactiques et stratégies de lutte de classe du prolétariat

   Lénine fit ses premières armes de révolutionnaire en critiquant les narodniki (ou populistes) qui niaient le rôle dirigeant du prolétariat dans la révolution, caractérisant le capitalisme en Russie comme un phénomène accidentel ne pouvant se développer. Cela l’amena à critiquer les « marxistes légaux », qui dénonçaient les populistes pour encourager le développement du capitalisme.

   Cette lutte idéologique faisait partie du combat pour l’unification et l’organisation du parti dont la classe ouvrière a besoin. Après de nombreux efforts et sous la direction de Lénine, les 20 groupes marxistes de Pétersbourg formèrent l’Union de lutte pour la libération de la classe ouvrière en 1895.

   A l’initiative de cette organisation, le 1er Congrès du Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie (POSDR) eut lieu en 1899. Le Parti n’était pas solide et la ligne politique peu développée. Dans ce contexte, le courant économiste a émergé. Pour les économistes, la classe ouvrière devait se limiter à la lutte économique, pour de meilleures conditions de vie. C’était une opposition à la révolution prolétarienne et à la dictature du prolétariat.

   A la même période, avec le développement du parlementarisme et du légalisme au sein de la IIème Internationale, des révisionnistes comme Bernstein émergèrent.

   Il était temps de réaffirmer les principes de base développés par Marx et Engels concernant les tactiques de lutte de classe du prolétariat.

a. Le Parti de type nouveau

   Dans son célèbre ouvrage Que Faire ?, 1902, (sauf note contraire, les citations de cette partie en sont issues), Lénine va développer la conception du type d’organisation dont le prolétariat a besoin pour la révolution.

   Lénine a clairement identifié le besoin pour le développement de la révolution d’avoir une organisation de « révolutionnaires professionnels ». Ces derniers sont des ouvriers et ouvrières qui par la pratique révolutionnaire et la formation politique et idéologique acquièrent des compétences à devenir agitateurs, organisateurs, propagandistes, etc. capables de se mesurer à la police du tsar. En clair, l’organisation révolutionnaire doit regrouper les éléments les plus avancés de la classe ouvrière. Mais cela n’est pas suffisant. Les membres du parti doivent mettre en pratique la théorie et garder le lien constant avec le peuple et particulièrement le prolétariat. C’est ainsi que le Parti est composé d’une part des révolutionnaires professionnels et d’autre part d’un vaste réseau d’organisations de masse.

   Lénine combat ainsi l’économisme, c’est-à-dire la tendance à ne défendre que les intérêts directs et partiels des travailleurs et travailleuses, sans donner de perspectives révolutionnaires à la lutte de classe. Lénine affirme donc l’insuffisance de la base de classe en mettant en avant le rôle primordial de l’idéologie socialiste dans la mobilisation de la classe ouvrière pour la révolution.

   « Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire. »

   L’organisation révolutionnaire doit permettre aux ouvriers de s’élever au niveau des révolutionnaires (dans la pratique mais aussi dans la conscience, dans la théorie) et les amener sur la voie de la conquête du pouvoir, de la dictature du prolétariat. De même, il réfute la théorie de la spontanéité qui nie le rôle dirigeant de l’avant-garde de la classe ouvrière, du parti révolutionnaire de la classe ouvrière.

   « Seul un parti guidé par une théorie d’avant-garde peut remplir le rôle de combattant d’avant-garde ».

   Cette organisation doit être internationaliste, c’est-à-dire combattre le chauvinisme national mais également être en lien avec les autres pays et apprendre de l’expérience de leur mouvement révolutionnaire. Cela ne signifie pas reproduire mécaniquement les expériences qui marchent, mais s’en inspirer pour les appliquer de façon concrète aux conditions concrètes de son pays.

   Lénine donnera plus tard cette définition de l’internationalisme prolétarien :

   « Il n’est qu’un, et un seul internationalisme véritable : il consiste à travailler avec abnégation au développement du mouvement révolutionnaire et de la lutte révolutionnaire dans son propre pays, à soutenir (par la propagande, la sympathie, une aide matérielle) cette même lutte, cette même ligne, et elle seule, dans tous les pays sans exception. »

Lénine, Les tâches du prolétariat dans notre révolution, 1917

   L’internationalisme est essentiel à l’époque de l’impérialisme car l’ensemble des pays forme à présent une chaîne. Tous les pays sont donc liés et des événements survenant dans un autre pays vont potentiellement influencer la situation d’un autre pays (bien plus qu’à l’époque de Marx et Engels).

   L’organisation révolutionnaire de la classe ouvrière ne peut pas avoir des méthodes putschistes ou conspiratives. Cela est limitatif de l’envergure du travail politique à effectuer par l’organisation révolutionnaire de la classe ouvrière. La révolution n’est ni un putsch ni une conspiration car les masses doivent faire la révolution et s’impliquer dans la lutte révolutionnaire. Sans cela, pas de victoire possible pour la révolution. Le Parti doit donc toujours maintenir un lien étroit avec les masses et les mobiliser toujours le plus largement possible.

   La base organisationnelle d’une telle organisation doit être le centralisme démocratique. Un grand débat a opposé Trotski à Lénine sur cette question. Trotski voulait que le droit de tendance soit de rigueur dans le parti, c’est-à-dire que plusieurs fractions puissent exister dans le parti et avoir une vie indépendante de l’ensemble du parti. Trotski argumentait que cela garantissait une réelle démocratie au sein du parti. Lénine a opposé à cette conception le centralisme démocratique comme base organisationnelle. Le centralisme démocratique peut être résumé par cette phrase : « liberté totale dans la discussion, unité totale dans l’action ». Le centralisme démocratique garanti une démocratie dans le parti car tout le parti (des cellules de base jusqu’au comité central) discute du même sujet, en dehors de l’esprit de guerre de chapelle entre telle et telle fraction. Une fois qu’une décision est prise à la majorité, la minorité se soumet à l’ensemble du parti, garantissant l’unité dans l’action indispensable pour faire face à l’ennemi.

   C’est sur cette base que se réorganise le Parti lors du 2ème Congrès du POSDR en 1903. Ce congrès fut une lutte acharnée entre mencheviks (minoritaires) et bolcheviks (majoritaires). Il fallut une nouvelle fois que Lénine martèle l’importance de la dictature du prolétariat que les menchevik ne voulaient pas inscrire dans le programme du Parti.

b. La révolution par étapes, l’alliance ouvriers-paysans et la nécessité de la violence révolutionnaire

   La révolution de 1905 contre le tsarisme entérina les divergences entre bolcheviks et mencheviks et c’est dans ce contexte que Lénine écrivit Deux tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique. Dans cet ouvrage, s’appuyant sur l’expérience de Marx et Engels, Lénine développe le concept de révolution démocratique (bourgeoise) et de révolution socialiste (prolétarienne) et permet ainsi de tirer les conclusions qui s’imposent pour mener la révolution plus avant et ainsi de déterminer qui sont les alliés potentiels du prolétariat.

   « Le prolétariat doit faire jusqu’au bout la révolution démocratique, en s’adjoignant la masse paysanne, pour écraser par la force la résistance de l’autocratie et paralyser l’instabilité de la bourgeoisie. Le prolétariat doit faire la révolution socialiste en s’adjoignant la masse des éléments semi-prolétariens de la population, pour briser par la force la résistance de la bourgeoisie et paralyser l’instabilité de la paysannerie et de la petite bourgeoisie. »

« Il fallait parcourir d’autant plus vite la première étape, la liquider, conquérir la République, écraser impitoyablement la contre-révolution et préparer le terrain pour l’étape suivante. »

Lénine, Deux tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique, 1905

   Il précise dans un article écrit la même année que

« la révolution démocratique faite, nous aborderons aussitôt dans la mesure précise de nos forces, des forces du prolétariat conscient et organisé, la voie de la révolution socialiste. Nous sommes pour la révolution ininterrompue. Nous ne nous arrêtons pas à mi-chemin. »

Lénine, L’attitude de la social-démocratie à l’égard du mouvement paysan, 1905

   Ainsi, dans ces citations, Lénine indique qu’il y a bien deux étapes à la révolution dans les pays où la démocratie bourgeoise n’est pas instaurée – étapes qui sont franchies de manière ininterrompue. Plus encore, il affirme clairement que le prolétariat a le rôle dirigeant à chaque étape car c’est la « classe la plus avancée et la seule révolutionnaire jusqu’au bout ». En revanche, il dit bien que le prolétariat ne peut avancer seul, qu’il a besoin d’alliés. Ses premiers alliés, ce sont les paysans travailleurs, les paysans les plus pauvres.

   C’est un point important de falsification chez les trotskistes, puisque pour eux, ça serait Staline qui aurait développé la théorie de la révolution par étapes. De même, Lénine s’est opposé à Trotski sur la question de l’alliance ouvriers-paysans. Ce sont deux questions primordiales pour la révolution et sans une juste compréhension de ces questions, la révolution en Russie n’aurait pas eu lieu ou serait allée à sa perte.

   D’autre part, devant l’abandon du principe marxiste de la révolution violente par les opportunistes de la IIème Internationale et par les mencheviks, Lénine réaffirme dans Deux Tactiques la nécessité de la violence révolutionnaire.

   « Les classes réactionnaires elles-mêmes sont habituellement les premières à recourir à la violence, à la guerre civile, à ʺmettre la baïonnette à l’ordre du jourʺ comme l’autocratie russe l’a fait et continue de le faire systématiquement, inflexiblement, toujours et partout, depuis le 9 janvier. »

   En conséquence, le prolétariat doit,

   « à l’époque de la révolution, mettre au premier plan les tâches de l’insurrection armée, de la formation d’une armée révolutionnaire, seul chemin conduisant à la victoire complète du peuple sur le tsarisme, à la conquête d’une République démocratique et d’une véritable liberté politique. »

   La défaite de la révolution de 1905 et le reflux révolutionnaire amenèrent le développement d’une ligne liquidatrice, ce qui amena Lénine à défendre le marxisme sur ses fondements philosophiques.

2. Lénine, un ardent défenseur de la dialectique matérialiste

   Pour Lénine, être marxiste c’est embrasser le matérialisme dialectique. Cela signifiait pour lui analyser concrètement les conditions historiques, politiques, sociales et économiques de son temps pour appliquer correctement les tactiques et stratégies développées par Marx et Engels. Lénine partait de la méthode même que Marx et Engels avaient utilisé. Ne pas tenir compte des conditions concrètes revenait à rejeter l’essence du marxisme comme science créative de la pratique révolutionnaire, à du dogmatisme.

   Voilà ce que dira Lénine en 1920 en critiquant Bela Kun :

   « Il oublie ce qui est la substance même, l’âme vivante du marxisme : l’analyse concrète d’une situation concrète. »

Lénine, Le Communisme, 1920

   Lénine dû approfondir le matérialisme dialectique lorsque les révisionnistes et les philosophes bourgeois se rassemblèrent en un « front uni » réactionnaire sur le plan philosophique pour combattre le marxisme. Ainsi, dans Matérialisme et empiriocriticisme, Lénine réaffirme la validité du matérialisme dialectique à la lumière des dernières découvertes scientifiques.

   Son livre est une réponse à l’arme dont se servaient ces « nouveaux » philosophes, la philosophie empiriocriticiste du machisme (du philosophe Mach 1838-1916). Ces derniers attaquaient directement le concept de matière à partir des récentes découvertes en science moderne. Selon le machisme, l’Univers n’est qu’un complexe de sensations et les hommes ne peuvent connaître l’existence des choses qui échappent à leur perception. Cela conduit au solipsisme, pouvant être défini par cette phrase : « seul le moi existe dans le monde, le reste est une création de ma conscience objective », conception anti-matérialiste qui affirme la primauté de la conscience sur la matière.

   A l’inverse, Lénine affirme :

   « Les choses existent indépendamment de notre conscience, indépendamment de nos sensations, en dehors de nous. »

Lénine, Matérialisme et empiriocriticisme, 1908

   Il donne cette définition de la matière :

   « La matière est une catégorie philosophique pour désigner la réalité objective donnée à l’homme dans ses sensations, copiée, photographiée, reproduite par nos sensations et existant indépendamment d’elles… Car la seule ‘propriété’ de la matière que le matérialisme philosophique est obligé de reconnaître est la propriété d’être réalité objective, d’exister en dehors de notre conscience. »

« La matière est ce qui par son action sur les organes de nos sens produit la sensation : la matière est la réalité objective qui nous est livrée dans la sensation. »

   Il explique clairement les deux lignes opposées en philosophie

   « Faut-il aller des choses à la sensation et à la pensée ? Ou bien de la pensée et de la sensation aux choses ? Engels s’en tient à la première ligne, celle du matérialisme, Mach s’en tient à la seconde, celle de l’idéalisme. »

   Il conclut :

   « La philosophie moderne est tout aussi imprégnée de l’esprit de parti que celle d’il y a 2000 ans. »

   En critiquant l’agnosticisme du machisme, « Agnosticisme : conception philosophique qui nie la possibilité de connaître le monde, ou du moins de le connaître à fond », Lénine indique que le mouvement de la matière est régi par des lois qu’il est possible de connaître. Il développe plus à fond la théorie de la connaissance en montrant à partir des dernières découvertes scientifiques que la connaissance s’approfondit et que ce qui apparaissait comme absolu et immuable devient relatif et partiel par rapport aux nouvelles connaissances.

   Lénine nous dit que la matière est en mouvement, que la connaissance humaine se développe en suivant le développement des choses objectives. Qui considère les choses comme statiques, la connaissance comme immuable, a une conception idéaliste, métaphysique.

   Toujours sur la base des dernières découvertes scientifiques de son temps, Lénine explique que la matière a la propriété d’être reflétée et que la conscience est la plus haute forme de la réflexion de la matière dans le cerveau.

   La définition même de la matière, la théorie de la connaissance et de la réflexion de la matière développée par Lénine a renforcé les fondations du matérialisme et l’a rendu bien plus solide face aux attaques idéalistes de ses détracteurs.

   Sur la dialectique, Lénine a particulièrement approfondi son étude dans les cahiers philosophiques en affirmant

   « On peut définir brièvement la dialectique comme la théorie de l’unité des contraires. Par là on saisira le noyau de la dialectique, mais cela exige des explications et un développement. »

Lénine, Notes sur des comptes rendus d’ouvrages sur la « logique » de Hegel, 1914-1916 (Œuvres Complètes, t. 38)

   ainsi qu’en développant le concept du développement en spirale (les phénomènes ne se développent pas de manière linéaire mais en spirale, par sauts dialectiques). C’est sur cette base que Mao approfondira par la suite la compréhension du matérialisme dialectique.

   Après cette lutte idéologique profonde dans le champ de la philosophie, Lénine dû entrer en lutte dans le domaine de l’économie politique. C’est ce qui l’amena à formuler une des pièces maîtresses à ses contributions.

 3. L’impérialisme stade suprême du capitalisme

   Une des plus grandes contributions de Lénine fut d’identifier le nouveau stade de développement du capitalisme : l’impérialisme. Bien que son analyse complète au regard de l’impérialisme fut réalisée en 1916, il est clair que Lénine a tenu compte, comme nous l’avons dit, de l’analyse concrète de la situation concrète de son époque. Il faut donc considérer cet ouvrage comme l’aboutissement d’une réflexion de plusieurs années qui l’avait déjà conduit à formuler la base des tactiques et stratégies de lutte de classe du prolétariat qu’il approfondira durant l’année suivante : 1917 (voir partie suivante).

   L’impérialisme, c’est bien une évolution qualitative du capitalisme. Marx et Engels ont analysé les différents aspects du capitalisme lorsqu’il était à l’étape de libre concurrence. Tout en donnant ses possibles développements, ils ne pouvaient pas analyser l’impérialisme, qui ne s’était pas encore développé.

a. La formation du capital financier

   L’impérialisme s’est développé sur la base du « développement intense de l’industrie et le processus de concentration extrêmement rapide de la production dans des entreprises toujours plus importantes », caractéristique du capitalisme. L’impérialisme est premièrement le regroupement de diverses branches d’industries en une seule entreprise (par exemple, de l’extraction du minerai de fer jusqu’à sa transformation en produit manufacturé) et la constitution de monopoles, issus de la ‘libre concurrence’ (les petits capitalistes se faisant manger et incorporer par les grands capitalistes).

   Cette ’libre concurrence’ passe d’une compétition entre « patrons dispersés, qui s’ignoraient réciproquement et produisaient pour un marché inconnu » à une planification plus poussée des monopoles. Ils dressent des « inventaire[s] approximatif[s] de toutes les sources de matières premières (tels les gisements de minerai de fer) d’un pays et même, ainsi que nous le verrons, de plusieurs pays, voire du monde entier » pour les accaparer. Ensuite, ils « évalue[nt] approximativement la capacité d’absorption des marchés que ces groupements « se partagent ʺ par contrat. Le monopole accapare la main-d’œuvre spécialisée, les meilleurs ingénieurs ; il met la main sur les voies et moyens de communication, les chemins de fer en Amérique, les sociétés de navigation en Europe et en Amérique ». Ces monopoles vont alors former le capital industriel.

   L’impérialisme entraîne donc une socialisation accrue de la production (de plus en plus de travailleurs et travailleuses y sont impliqués) mais l’appropriation du profit reste privée (elle revient aux capitalistes).

   Mais la concentration monopoliste n’est pas la seule caractéristique de l’impérialisme nous dit Lénine. Il faut analyser le rôle des banques dans le processus de construction de l’impérialisme.

   Auparavant, les banques jouaient essentiellement un rôle d’intermédiaire dans les paiements et transformaient « le capital-argent inactif en capital actif, c’est-à-dire générateur de profit » en le mettant à disposition des capitalistes. Le phénomène de concentration monopoliste va également s’opérer chez les banques et ces dernières vont alors devenir « de tout-puissants monopoles disposant de la presque totalité du capital-argent de l’ensemble des capitalistes et des petits patrons, ainsi que de la plupart des moyens de production et de sources de matières premières d’un pays donné, ou de toute une série de pays ». Les monopoles banquiers concentrent donc les capitaux et forment le capital bancaire.

   Dans la continuation du processus de concentration monopoliste (industrielle et bancaire), le capital bancaire et le capital industriel vont se rapprocher, s’imbriquer, s’interpénétrer et finalement fusionner, formant le capital financier. Ce dernier va alors dominer, prenant la place du capital en général.

   « La suprématie du capital financier sur toutes les autres formes du capital signifie l’hégémonie du rentier et de l’oligarchie financière ; elle signifie une situation privilégiée pour un petit nombre d’Etats financièrement ʺpuissantsʺ, par rapport à tous les autres »

   Nous allons donc voir à présent le rôle de l’exportation des capitaux dans la construction d’un réseau international de dépendances et de relations du capital financier.

b. L’exploitation et la domination des pays ‘arriérés’

   L’ancien capitalisme était caractérisé par l’exportation des marchandises. Le capitalisme actuel, l’impérialisme, est caractérisé par l’exportation des capitaux. Au début du XXème siècle, des associations monopolistes capitalistes vont se constituer dans les pays à capitalisme évolué dans lesquels l’accumulation de capitaux atteint d’immenses proportions, ce qui va constituer un autre genre de monopoles. Ces pays vont alors avoir un énorme ‘excédent de capitaux’. Ces ‘excédents de capitaux’ ne vont pas servir à élever le niveau de vie des masses, auquel cas, nous dit Lénine, « il ne saurait être question d’un excédent de capitaux. » Ces capitaux ‘excédentaires’ vont plutôt servir à asseoir et accentuer la domination des pays ‘avancés’ sur les pays ‘arriérés’ (en terme de développement capitaliste) :

   « Tant que le capitalisme reste le capitalisme, l’excédent de capitaux est consacré, non pas à élever le niveau de vie des masses dans un pays donné, car il en résulterait une diminution des profits pour les capitalistes, mais à augmenter ces profits par l’exportation de capitaux à l’étranger, dans les pays sous-développés. »

   La contradiction entre les pays impérialistes et les pays opprimés va alors prendre forme, jusqu’à devenir la contradiction principale à l’heure actuelle, sur une base solide permettant l’oppression et l’exploitation impérialiste de la plupart des pays et des peuples du monde et l’expansion du capitalisme à toute la planète. Ce caractère parasitique de l’impérialisme est dévoilé, les pays exportateurs de capitaux se sont partagé le monde en fonction de leurs zones d’influence.

   Des super-monopoles internationaux vont alors se former, entraînant un degré de concentration du capital et de la production à l‘échelle internationale infiniment plus élevé. Les groupes industriels vont fusionner, incorporant leurs concurrents. Leur nombre dans le monde entier diminue donc et ces firmes vont parvenir à des accords de partage de l’exploitation des ressources et de conquête des marchés. Néanmoins, ces accords de partage sont soumis au rapport de force entre les deux tenants et peuvent être modifiés. D’ailleurs, le partage ne se fait que sur une base « proportionnelle aux capitaux » et « selon les forces de chacun ».

   Alors :

   « L’époque du capitalisme moderne nous montre qu’il s’établit entre les groupements capitalistes certains rapports basés sur le partage économique du monde et que, parallèlement et conséquemment, il s’établit entre les groupements politiques, entre les Etats, des rapports basés sur le partage territorial du monde, sur la lutte pour les colonies, la ʺlutte pour les territoires économiquesʺ. »

   Le partage du monde s’achève avec l’impérialisme. Il ne pourra plus qu’y avoir des luttes inter-impérialistes pour un nouveau partage. Il n’y aura plus de luttes pour la conquête de « territoires sans maître. ». Il ne pourra y avoir qu’un repartage.

c. Les caractéristiques et conséquences de l’impérialisme

   En résumé, l’impérialisme est le stade monopoliste du capitalisme. Il revêt cinq caractères fondamentaux :

   « 1) concentration de la production et du capital parvenue à un degré de développement si élevé qu’elle a créé les monopoles, dont le rôle est décisif dans la vie économique ; 2) fusion du capital bancaire et du capital industriel, et création, sur la base de ce ʺcapital financierʺ, d’une oligarchie financière ; 3) l’exportation des capitaux, à la différence de l’exportation des marchandises, prend une importance toute particulière ; 4) formation d’unions internationales monopolistes de capitalistes se partageant le monde, et 5) fin du partage territorial du globe entre les plus grandes puissances capitalistes. L’impérialisme est le capitalisme arrivé à un stade de développement où s’est affirmée la domination des monopoles et du capital financiers, où l’exportation des capitaux a acquis une importance de premier plan, où le partage du monde a commencé entre les trusts internationaux et où s’est achevé le partage de tout le territoire du globe entre les plus grands pays capitalistes. »

   Il est une phase particulière du développement du capitalisme.

   Le caractère parasitique de l’impérialisme (c’est-à-dire la dépendance des pays impérialistes vis à vis des pays qu’ils exploitent) est important car du fait de l’exploitation du travail des pays opprimés, il se constitue dans les pays impérialistes une classe sociale rentière, coupée de la production, qui ne vit que de placements de capitaux. Cela entraîne la délocalisation de la production et l’augmentation des activités économique de service (secteur tertiaire). Ainsi, par exemple, le travail dans les mines est laissé aux peuples des pays opprimés pour le bénéfice des pays impérialistes.

   Autre résultat de l’impérialisme : l’inversion des flux migratoires. Les populations des pays opprimés vont venir en plus grand nombre dans les pays impérialistes. De plus, l’impérialisme se sert des profits de monopoles élevés pour corrompre en quelque sorte les couches supérieures de la classe ouvrière des pays impérialistes que Lénine appelle « l’aristocratie ouvrière ». Ces deux phénomènes combinés amènent la situation suivante : les ouvriers et ouvrières issus de l’immigration constituent les couches les plus basses de la classe ouvrière alors que les ouvriers natifs des pays impérialistes vont en constituer les couches les plus hautes. Cela renforce la division dans la classe ouvrière. D’autre part, l’impérialisme génère le social-chauvinisme dans la classe ouvrière, c’est-à-dire une volonté d’améliorer les conditions de vie de la classe ouvrière d’un point de vue nationaliste, au détriment du prolétariat (formé ou en formation) des pays opprimés.

   La classe bourgeoise va de son côté tout faire pour détourner l’attention de ce que représente vraiment l’impérialisme. Elle va par exemple, par le biais de ses scientifiques, journalistes, etc. mettre l’accent sur des points particuliers et plaider pour une ou des réformes, comme par exemple le fait de soumettre à plus de contrôle les transactions financières.

   « Plus rares sont les impérialistes avérés, cyniques, qui ont le courage d’avouer combien il est absurde de vouloir réformer les traits essentiels de l’impérialisme. »

   Les petits bourgeois, eux, veulent retourner à l’époque du capitalisme non-monopoliste de la ‘libre concurrence’ et du ‘libre échange’. Ils ne voient pas que l’impérialisme ne peut pas revenir à un stade par lequel il est déjà passé et dont la conséquence même ne peut être autre que l’impérialisme !

   « Admettons que, en effet, la libre concurrence, sans monopoles d’aucune sorte, puisse développer plus rapidement le capitalisme et le commerce. Mais plus le développement du commerce et du capitalisme est rapide, et plus est forte la concentration de la production et du capital, laquelle engendre le monopole. Et les monopoles sont déjà nés, – issus, précisément de la libre concurrence !Si même les monopoles se sont mis de nos jours à freiner le développement, ce n’est cependant pas un argument en faveur de la libre concurrence, qui n’est plus possible depuis qu’elle a engendré les monopoles. »

   Ils essaient également, comme Kautsky, de faire croire que l’impérialisme évolue dans le sens d’un « ultra-impérialisme » dans lequel les puissances impérialistes s’entendront de manière pacifique dans le partage des zones d’influence. Rien de plus faussement naïf. Si les relations inter-impérialistes peuvent en effet être pacifiques et de collusion sur des périodes et des zones données, cela ne dure jamais. La paix prépare la guerre et la guerre prépare la paix.

   « Les alliances pacifiques préparent les guerres et, à leur tour, naissent de la guerre ; elles se conditionnent les unes les autres, engendrant des alternatives de lutte pacifique et de lutte non pacifique sur une seule et même base, celle des liens et des rapports impérialistes de l’économie mondiale et de la politique mondiale. »

   L’impérialisme va également créer les conditions pour la révolution dans les pays opprimés. En premier lieu car l’oppression des pays impérialistes fait naître le sentiment national des peuples opprimés, leur regroupement autour d’une identité commune dirigée contre l’envahisseur exploiteur, le capital étranger. En deuxième lieu car le capital étranger industrialise (pour son propre compte) les pays opprimés et génère ainsi le prolétariat, la classe qui renversera l’impérialisme, dans des pays où il n’existait pas ou peu.

   L’impérialisme a aggravé les contradictions du capitalisme. Le développement capitaliste se fait de manière inégale, accentuant les inégalités. L’impérialisme, c’est le capitalisme agonisant car il ne peut se développer au-delà. Il a pour conséquence de socialiser encore plus la production, c’est-à-dire d’impliquer de plus en plus de personnes dans la production mais en même temps, l’accumulation du profit est de plus en plus privée. Voici pourquoi l’impérialisme est moribond.

4. L’État bourgeois, la Révolution prolétarienne et la dictature du prolétariat

   Lénine a sans conteste approfondi l’analyse de l’Etat bourgeois et de la révolution prolétarienne, appliquant la doctrine de Marx concernant l’Etat et la révolution aux conditions de l’impérialisme. Surtout sur les tâches de cette dernière et les nécessités auxquelles elle doit faire face. Dans L’Etat et la révolution, Lénine réaffirme avec force les principes marxistes basiques. Il était nécessaire d’en faire un exposé clair et complet car cela définirait les tactiques à utiliser en conséquence.

a. Le caractère de l’Etat bourgeois

   Depuis que les classes sociales se sont constituées et tant qu’elles existeront, l’Etat existera. Pourquoi ? Parce que l’Etat n’est qu’un outil de domination de classe qui permet à une classe sociale d’exercer sa dictature sur une autre et de pratiquer la démocratie pour sa propre classe. Cela se traduit de manière simple par ‘démocratie bourgeoise’=’dictature de la bourgeoisie’. Plus généralement, tant que la démocratie existera, la dictature aussi.

   L’Etat ne peut pas être aux mains de plusieurs classes ayant des intérêts opposés (ou alors d’une durée relativement courte) car une des classes au pouvoir va finir par dominer l’autre. Ainsi, le concept de ‘dictature combinée de la bourgeoisie et du prolétariat’ est faux. Cela ne peut être que temporaire. Ou bien la bourgeoisie prend le dessus sur le prolétariat ou bien le prolétariat prend le dessus sur la bourgeoisie.

   Mais alors comment cette dictature de la bourgeoisie est-elle possible ? Comment s’exprime-t-elle en pratique ? Premièrement, la bourgeoisie, au travers du contrôle de l’Etat, possède une véritable force armée : la police et l’armée. Deuxièmement, cette force répressive au service de la bourgeoisie est complétée par le Droit bourgeois, les prisons, l’école et autres institutions. Le tout forme un réseau complexe, d’interactions, qui permet à l’Etat bourgeois de contrôler la population qui voudrait se rebeller contre l’ordre établi.

b. La théorie de la révolution prolétarienne

   A partir de l’analyse de l’impérialisme de Lénine, les principales conclusions de la théorie de la révolution prolétarienne de Lénine ont été résumées par Staline comme cela :

   « […] première conclusion : aggravation de la crise révolutionnaire dans les pays capitalistes, éléments d’explosion de plus en plus nombreux sur le front intérieur, prolétarien, dans les « métropoles ». »

« […] deuxième conclusion : aggravation de la crise révolutionnaire dans les pays coloniaux, accroissement de l’esprit de révolte contre l’impérialisme sur le front extérieur colonial. »

« […] troisième conclusion : l’inéluctabilité des guerres sous l’impérialisme, et la coalition inévitable de la révolution prolétarienne en Europe avec la révolution coloniale en Orient, formant un front unique mondial de la révolution contre le front mondial de l’impérialisme. »

« Toutes ces conclusions, chez Lénine, sont réunies en cette conclusion générale que : « l’impérialisme marque la veille de la révolution socialiste ». »

Staline, Des principes du léninisme, 1924

   A l’époque de l’impérialisme, on ne peut plus considérer les conditions pour la révolution prolétarienne uniquement dans tel ou tel pays mais dans l’ensemble de la situation impérialiste mondiale (d’où la pratique indispensable de l’Internationalisme, à l’opposé du chauvinisme et du nationalisme étroit).

   De même, Lénine affirme :

   « Le développement du capitalisme se fait d’une façon extrêmement inégale dans les différents pays. Il ne saurait d’ailleurs en être autrement sous le régime de la production marchande. D’où cette conclusion inéluctable : le socialisme ne peut triompher simultanément dans tous les pays. Il triomphera d’abord dans un seul ou dans plusieurs pays, tandis que les autres resteront pendant un certain temps des pays bourgeois ou pré-bourgeois. »

Lénine, Le programme militaire de la révolution prolétarienne, 1916

   Ou encore :

   « L’inégalité du développement économique et politique est une loi absolue du capitalisme. Il s’ensuit que la victoire du socialisme est possible au début dans un petit nombre de pays capitalistes ou même dans un seul pays capitaliste pris à part. »

Lénine, Du mot d’ordre des États-Unis d’Europe, 1915

   Les trotskistes affirment sans cesse que c’est Staline qui a développé cette théorie et que Lénine y était opposé avec Trotski. Ces citations montrent bien la falsification idéologique des trotskistes. Selon Lénine, la révolution éclatera là où le maillon de la chaîne impérialiste est le plus faible.

c. Les tâches et nécessités de la révolution prolétarienne

   Face à la dictature de la bourgeoisie, comment le prolétariat peut-il agir pour défendre les intérêts de sa classe ?

   En tout premier lieu, le prolétariat, constitué en tant que classe, doit prendre le pouvoir. « Sans le pouvoir, tout est illusion » dira Mao. Mais il ne doit pas juste se contenter de prendre le pouvoir et de continuer avec les structures existantes de l’Etat bourgeois. Il doit détruire de fond en comble l’appareil d’Etat bourgeois et reconstruire le nouvel appareil d’Etat prolétarien, radicalement différent de l’ancien. Cela est basé sur le fait qu’il y a une relation dialectique entre la superstructure (le système politique, la culture, la manière de penser, cristallisés dans l’Etat) et la base économique (les relations de production et la division du travail). Par exemple, dans notre société, la superstructure représente la démocratie parlementaire, la consommation, l’individualisme, cristallisés dans l’Etat bourgeois et la base économique représente le capitalisme. Sans changement radical des deux parties, il est impossible d’avancer vers une refonte radicale de la société. Il est impossible d’avancer vers le socialisme (base économique) si l’on ne détruit pas la démocratie parlementaire, la culture consumériste et l’individualisme !

   Et vice versa, il est impossible de détruire la démocratie parlementaire, la culture consumériste et l’individualisme si l’on ne construit pas le socialisme.

   « L’idée de Marx est que la classe ouvrière doit briser, démolir, la ʺmachine de l’Etat toute prêteʺ, et ne pas se borner à en prendre possession. »

Lénine, L’Etat et la Révolution, 1917
-les citations qui suivent sont du même ouvrage-

   Deuxièmement, la révolution prolétarienne est nécessairement violente. Aucune bourgeoisie dans l’histoire ne s’est laissé renverser de manière pacifique. Il faut vraiment être naïf pour croire que la classe bourgeoise va donner les rênes du pouvoir au prolétariat sans broncher ! La révolution prolétarienne sera forcément armée et violente. Cela ne veut pas dire que la violence doit être l’aspect principal de la révolution mais qu’elle est une composante indéniable et inséparable de la révolution.

   Ainsi, contre les forces de répression, le peuple en armes doit s’ériger.

   « Sans révolution violente, il est impossible de substituer l’Etat prolétarien à l’Etat bourgeois. »

   Troisièmement, la direction du mouvement ouvrier révolutionnaire doit être le socialisme sous la direction révolutionnaire du prolétariat. Le socialisme est la phase transitoire vers le communisme. En effet, toute société hérite de son passé et il n’est pas possible de construire une société nouvelle sans tenir compte de son héritage. Ainsi, le socialisme est la période pendant laquelle l’organisation de la société dans tous les domaines (social, économique, militaire, culturel, politique,…) se transforme jusqu’au communisme. Jusqu’au communisme, l’Etat existe car si le socialisme porte en lui les germes du communisme, il porte également les germes de la renaissance du capitalisme. L’Etat est donc l’outil de la classe du prolétariat pour assurer que la révolution va en direction du communisme et non de la restauration du capitalisme. L’Etat s’éteint peu à peu et disparaîtra à l’époque du communisme (ainsi que le couple inséparable dictature/démocratie) lorsque les classes disparaîtront. Le communisme peut être incarné dans le mot d’ordre « De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins »

   Ainsi, Lénine résume :

   « […] il ne faut au prolétariat qu’un Etat en voie d’extinction, c’est-à-dire constitué de telle sorte qu’il commence immédiatement à s’éteindre et ne puisse pas ne point s’éteindre. Deuxièmement, que les travailleurs ont besoin d’un ʺ Etatʺ qui soit ʺle prolétariat organisé en classe dominanteʺ. »

« La domination de la bourgeoisie ne peut être renversée que par le prolétariat, classe distincte que ses conditions économiques d’existence préparent à ce renversement, et à qui elles offrent la possibilité et la force de l’accomplir. Tandis que la bourgeoisie fractionne et dissémine la paysannerie et toutes les couches petites-bourgeoises, elle groupe, unit et organise le prolétariat. Etant donné le rôle économique qu’il joue dans la grande production, le prolétariat est seul capable d’être le guide de toutes les masses laborieuses et exploitées que, souvent, la bourgeoisie exploite, opprime et écrase non pas moins, mais plus que les prolétaires, et qui sont incapables d’une lutte indépendante pour leur affranchissement.

La doctrine de la lutte des classes, appliquée par Marx à l’Etat et à la révolution socialiste, mène nécessairement à la reconnaissance de la domination politique du prolétariat, de sa dictature, c’est-à-dire d’un pouvoir qu’il ne partage avec personne et qui s’appuie directement sur la force armée des masses. La bourgeoisie ne peut être renversée que si le prolétariat est transformé en classe dominante capable de réprimer la résistance inévitable, désespérée, de la bourgeoisie, et d’organiser pour un nouveau régime économique toutes les masses laborieuses et exploitées.

Le prolétariat a besoin du pouvoir d’Etat, d’une organisation centralisée de la force, d’une organisation de la violence, aussi bien pour réprimer la résistance des exploiteurs que pour diriger la grande masse de la population – paysannerie, petite bourgeoisie, semi-prolétaires – dans la ʺmise en placeʺ de l’économie socialiste.

En éduquant le parti ouvrier, le marxisme éduque une avant-garde du prolétariat capable de prendre le pouvoir et de mener le peuple tout entier au socialisme, de diriger et d’organiser un régime nouveau, d’être l’éducateur, le guide et le chef de tous les travailleurs et exploités pour l’organisation de leur vie sociale, sans la bourgeoisie et contre la bourgeoisie. Au contraire, l’opportunisme régnant éduque, dans le parti ouvrier, des représentants des travailleurs les mieux rétribués qui se détachent de la masse : ils ʺs’accommodentʺ assez bien du régime capitaliste et vendent pour un plat de lentilles leur droit d’aînesse, c’est-à-dire qu’ils abdiquent leur rôle de chefs révolutionnaires du peuple dans la lutte contre la bourgeoisie.

ʺL’Etat, c’est-à-dire le prolétariat organisé en classe dominanteʺ, – cette théorie de Marx est indissolublement liée à toute sa doctrine sur le rôle révolutionnaire du prolétariat dans l’histoire. L’aboutissement de ce rôle, c’est la dictature prolétarienne, la domination politique du prolétariat. »

   L’aboutissement de la doctrine marxiste de l’Etat conduit inévitablement à la reconnaissance de la nécessaire dictature du prolétariat pendant la phase de transition du capitalisme au communisme, à savoir le socialisme.

   Abordant un point qui sera développé par Mao, Lénine affirme :

   « Loin de marquer la cessation de la lutte de classe, la dictature du prolétariat en est la continuation sous une forme nouvelle et par des moyens nouveaux. Cette dictature est nécessaire aussi longtemps que les classes sociales subsistent, aussi longtemps que la bourgeoisie renversée dans un seul pays décuple ses attaques contre le socialisme à l’échelle internationale. »

IIIème Congrès de l’Internationale Communiste

   La dictature du prolétariat, c’est une nécessité. La dictature du prolétariat a ses racines matérielles dans la nature de l’Etat (comme nous l’avons vu ci-dessus) mais également dans la nature de classe de la bourgeoisie.

   « La transition du capitalisme au communisme, c’est toute une époque historique. Tant qu’elle n’est pas terminée, les exploiteurs gardent inéluctablement l’espoir d’une restauration, espoir qui se transforme en tentatives de restauration. A la suite d’une première défaite sérieuse, les exploiteurs qui ne s’attendaient point à être renversés, qui n’en croyaient rien et n’en admettaient pas l’idée, se lancent dans la bataille avec une énergie décuplée, avec une passion furieuse, avec une haine centuplée pour reconquérir le ʺparadisʺ perdu, pour leurs familles qui menaient une si douce existence et que, maintenant, la ʺvile populaceʺ condamne à la ruine et à la misère (ou au ʺvilʺ labeur…). Et derrière les capitalistes exploiteurs c’est la grande masse de la petite bourgeoisie qui – des dizaines d’années d’expérience historique dans tous les pays en font foi hésite et balance, qui aujourd’hui suit le prolétariat et demain, effrayée des difficultés de la révolution, est prise de panique à la première défaite ou demi-défaite des ouvriers, s’affole, s’agite, pleurniche, court d’un camp à l’autre… »

Lénine, La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky, 1918

   On ne peut vulgairement affirmer : « puisque la majorité de la population fait partie du camp des opprimés et exploités et que les oppresseurs et exploiteurs constituent la minorité, alors la dictature du prolétariat n’est pas nécessaire car la majorité aura forcément le dernier mot sur la minorité. » Ce discours est simpliste et ne tient pas compte de la réalité. Cet argument, c’est l’idée de « démocratie pour le peuple entier » (c’est-à- dire sans distinction de classe). Lénine le réfute :

   « Il ne saurait y avoir d’égalité entre les exploiteurs qui, durant de longues générations, s’étaient distingués par leur instruction, par leur train de vie et par les habitudes acquises, et les exploités dont la masse, même dans les républiques bourgeoises les plus avancées et les plus démocratiques, reste accablée, inculte, ignorante, craintive, divisée. Longtemps après la révolution, les exploiteurs conservent nécessairement une série de réels et notables avantages : il leur reste l’argent (impossible de le supprimer d’un coup), certains biens mobiliers, souvent considérables ; il leur reste des relations, des habitudes d’organisation et de gestion, la connaissance de tous les… secrets…de l’administration (coutumes, procédés, moyens, possibilités) ; il leur reste une instruction plus poussée, des affinités avec le haut personnel technique (bourgeois par sa vie et son idéologie) ; il leur reste une expérience infiniment supérieure de l’art militaire (ce qui est très important), etc., etc.

Si les exploiteurs ne sont battus que dans un seul pays, et c’est là bien entendu le cas typique, la révolution simultanée dans plusieurs pays étant une rare exception, ils restent toutefois plus forts que les exploités, puisque les relations internationales des exploiteurs sont immenses. »

Ibid.

   Ainsi, en pratique, c’est pourquoi les communistes en Russie ont participé et développé les Soviets. Les Soviets, c’étaient l’embryon de l’Etat prolétarien, l’embryon de la dictature du prolétariat en Russie. La République des Soviets fut ensuite la forme développée de l’État prolétarien, assurant la démocratie pour le prolétariat et la dictature pour la bourgeoisie.

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