Le post-modernisme et le féminisme

Les courants philosophiques dans le mouvement féministe

Anuradha Ghandy

2006

6. Le post-modernisme et le féminisme

   La critique des féministes faite par les femmes non-blanches a conduit une partie des féministes à s’orienter vers le multi-culturalisme et le postmodernisme. Partant de l’écrivaine existentialiste Simone de Beauvoir, elles considéraient que les femmes sont « l’autre » (par opposition à la culture dominante qui prévaut : par exemple, les dalits, les adivasis, les femmes, etc.). Les féministes post-modernistes glorifient la position de « l’Autre », car elle est censée donner un aperçu de la culture dominante dont elle ne fait pas partie. Les femmes peuvent donc être critique des normes, des valeurs et des pratiques imposées à tout le monde par la culture dominante. Elles croient que les études devraient être orientées à partir des valeurs de ceux qui sont le sujet de l’étude, des subalternes, de ceux qui ont été dominés. Le post-modernisme a été populaire parmi les universitaires. Elles croient qu’aucune catégorie fixe n’existe, et dans ce cas, la femme. Elle est fragmentée par diverses identités – par sexe, classe, caste, communauté ethnique, race. Ces différentes identités ont une valeur en elles-mêmes. Cela devient donc une forme de relativisme culturel.

   Ainsi, par exemple, en réalité, aucune catégorie de femme seule n’existe. La femme peut être l’une des identités en soi, mais il y en a d’autres aussi. Il peut y avoir une femme dalit, une femme prostituée dalit, une femme de caste supérieure, etc. Étant donné que chaque identité a une valeur en soi, aucune importance n’est accordée aux valeurs vers lesquelles toutes peuvent tendre. De ce point de vue, il n’y a pas de place pour trouver un terrain commun en vue d’une activité politique collective. Le concept de femme, a aidé à rassembler les femmes et à agir collectivement. Mais ce genre de politique d’identité divise plus qu’elle ne rassemble. L’unité est la base la plus étroite.

   Les post-modernistes célèbrent la différence et l’identité et elles critiquent le marxisme pour se concentrer sur une classe « entière ». En outre, le post-modernisme ne croit pas que la langue (du moins les langues occidentales) reflète la réalité. Elles croient que les identités sont « construites » par des « discours ». Ainsi, dans leur compréhension, la langue construit la réalité. Par conséquent, beaucoup d’entre elles ont mis l’accent sur la « déconstruction » de la langue. Cela fait que les individus se retrouvent sans rien – il n’y a plus aucune réalité matérielle dont nous pourrions être certains. Ceci est une forme d’extrême subjectivisme. Les féministes post-modernistes ont mis l’accent sur la psychologie et sur le langage. Le post-modernisme, en accord avec le célèbre philosophe français Michel Foucault, est contre ce qu’il appelle « les relations de pouvoir ». Mais cette notion de pouvoir est diffusée sans être clairement définie.

   Qui exerce le pouvoir ? Selon Foucault, il l’est seulement au niveau local, de sorte que la résistance au pouvoir ne peut être que locale. N’est ce pas la base du fonctionnement des ONG, qui unissent le peuple contre un pouvoir local corrompu et qui font des arrangements avec les échelons supérieurs, les gouvernements centraux et d’Etats. En effet, le post-modernisme est extrêmement divisant, car il favorise la fragmentation du peuple et accorde de l’importance aux identités sans aucun cadre théorique permettant de comprendre les raisons historiques de la formation de l’identité et pour relier les différentes identités. Donc, nous pouvons avoir un rassemblement de différentes ONG comme lors du Forum Social Mondial où tout le monde célèbre son identité – les femmes, les prostituées, les homosexuels, les lesbiennes, les populations tribales, les dalits, etc etc, mais il n’y a pas de théorie qui les pousse vers une compréhension globale, une stratégie commune. Chaque groupe devra résister à ses propres oppresseurs, selon comment il les perçoit. Avec un tel argument, logiquement, il ne peut y avoir aucune organisation, ou au mieux, elle pourra être spontanément organisée au niveau local et dans des coalitions temporaires. Préconiser une organisation en fonction de sa compréhension signifie reproduire le pouvoir – la hiérarchie, l’oppression. Essentiellement, elles laissent l’individu résister pour lui-même ou elle-même, et sont contre une résistance organisée et cohérente, et la résistance armée.

   Carole Stabile, une féministe marxiste a bien souligné cela en disant : « Les tendances anti-organisationnelles sont partie intégrante du post-modernisme. Toute forme d’organisation, à moins que cela ne soit des coalitions des plus provisoires et spontanées signifie, pour les théoriciens post-modernistes sociaux ainsi que pour les féministes semblables, reproduire l’oppression, les hiérarchies, et les formes de domination insurmontable. Le fait que le capitalisme soit extrêmement organisé fait peu de différence, parce que l’on résiste contre une forme diffuse multivalente du pouvoir. Il ne fait pas d’importance, comme Joreen le soulignait il y a plus de deux décennies, qu’une absence de structure puisse produire ses propres formes de tyrannie. Ainsi, à la place de toute politique organisée, la théorie sociale post-moderne nous offre des variations sur le pluralisme, l’individualisme, des organismes individualisés, qui tendent finalement vers des solutions individualisées n’ayant jamais – et qui ne pourrons jamais – être capable de résoudre les problèmes structurels. » (1997)

   Il n’est pas surprenant que pour les post-modernistes, le capitalisme, l’impérialisme, etc. ne signifie rien de plus qu’une autre forme de pouvoir. Bien que le post-modernisme dans sa forme développée ne puisse pas être trouvé dans une société semi-coloniale comme l’Inde, beaucoup de féministes bourgeoises ont été influencées par lui. Leur critique véhémente des organisations révolutionnaires et révisionnistes en raison de leur bureaucratie et de la hiérarchie reflète également l’influence du postmodernisme dans la période récente.

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