4. Discours sur le projet de convocation d’une conférence socialiste internationale

La septième conférence de Russie du P.O.S.D.(b) R.
(Conférence d’avril), 24-29 avril (7-12 mai) 1917

Lénine

4. Discours sur le projet de convocation d’une conférence socialiste internationale, 25 avril

   Je ne puis être de l’avis du camarade Noguine. Nous nous trouvons, je pense, devant un fait politique d’une importance exceptionnelle qui nous impose l’obligation d’entamer une campagne énergique contre les chauvins russes et anglo-français, qui ont décliné l’invitation de ce Borgbjerg à participer à la conférence. Il ne faut pas oublier le fond et les dessous de toute cette histoire. Je vais vous donner lecture de la proposition de Borgbjerg, textuellement reproduite dans la Rabotchaïa Gazéta (La Gazette ouvrière, quotidien menchevik) et je noterai que toute cette comédie d’un prétendu congrès socialiste cache un geste politique extrêmement concret de l’impérialisme allemand. Par l’intermédiaire des sociaux-chauvins allemands, les capitalistes allemands invitent les sociaux-chauvins de tous les pays à se réunir en conférence. Voilà pourquoi il nous faut lancer une large campagne.

   Pourquoi agissent-ils par l’intermédiaire de socialistes ? Parce qu’ils veulent mener en bateau la masse ouvrière.MM. les diplomates sont des gens subtils : on ne peut pas dire la chose tout net, il faut le truchement d’un Plekhanov danois. Nous avons eu à l’étranger des centaines de rencontres avec des chauvins allemands, nous devons les démasquer.

   (L’orateur donne lecture d’un extrait de la Rabotchaïa Gazéta du 25 avril 1917)

   Borgbjerg, rédacteur en chef du « Social-Demokraten », organe central de la sociale-démocratie danoise, a transmis au nom du Comité unifié des trois partis ouvriers scandinaves (danois, norvégien, suédois) au Comité exécutif du Soviet des députés ouvriers et soldats une invitation adressée à tous les partis socialistes de Russie, les conviant à une conférence socialiste internationale. Ayant eu, grâce à la situation de voisinage du Danemark et de l’Allemagne, la possibilité d’entrer en contact avec les sociaux-démocrates allemands, notamment avec ceux de la « majorité », le camarade Borgbjerg a fait connaître à l’assemblée les conditions auxquelles la sociale-démocratie officielle d’Allemagne croit la paix possible, conditions que les représentants de ce parti apporteront à la conférence.

   Ces conditions, les voici :

   Les sociaux-démocrates allemands marquent tout d’abord leur accord avec les principes formulés par les socialistes scandinaves et hollandais à la conférence de 1915, c’est-à-dire avec la reconnaissance du droit des nations à disposer d’elles-mêmes, l’arbitrage international obligatoire et la revendication d’un désarmement progressif. Ils ajoutent en outre, pour leur part, que la sociale-démocratie allemande insistera pour :

   1. que tous les territoires conquis par l’Allemagne et ses alliés soient rendue à leurs possesseurs ;

   2. que la liberté entière soit accordée à la Pologne russe de se proclamer indépendante ou de se joindre à la Russie ;

   3. que la Belgique soit rétablie comme un État entièrement indépendant ;

   4. que la Serbie, le Monténégro et la Roumanie soient de-même rétablis en qualité d’États indépendants ;

   5. que la Bulgarie reçoive les régions bulgares de la Macédoine, et la Serbie un libre débouché dans l’Adriatique.

   Pour ce qui est de l’Alsace-Lorraine, un accord pacifique pourrait être réalisé sur une rectification de la frontière lorraine ; les Allemands exigeront l’autonomie culturelle-nationale pour les Polonais, de Posnanie.

   Il ne peut y avoir l’ombre d’un doute que cette proposition émane du gouvernement allemand, qui ne fait pas ces démarches au grand jour, mais a besoin des services des Plekhanov danois, les agents allemands ne convenant pas à cet usage. Les sociaux-chauvins sont précisément faits pour se charger de ces services. Ces dessous qu’ils dissimulent, notre tâche est de les dévoiler devant le monde entier au nom des 70 000 ouvriers, membres du parti prolétarien, réunis à cette conférence. Nous devons publier une résolution détaillée, la traduire dans les langues étrangères et donner une digne réponse à ces messieurs afin de leur ôter l’envie de se fourrer dans un parti socialiste.

   (L’orateur donne lecture du projet de résolution).

   Les journaux socialistes se taisent ce matin. Ils savent parfaitement où gît le lièvre. Ils savent que le silence est d’or. La Rabotchaïa Gazéta est seule à publier un article, qui ne contient d’appréciation d’aucune sorte : d’une part, on ne peut disconvenir que… d’autre part, on doit bien convenir…

   Le gouvernement russe a moins de raisons que quiconque de douter qu’il s’agit vraiment d’un agent du gouvernement allemand.

   Puisqu’on nous assourdit de clameurs sur la libération de l’Alsace-Lorraine, il faut rappeler à ces messieurs que c’est tout simplement une question de gros sous, car cette région renferme d’énormes richesses, et que les capitalistes allemands se battent avec les capitalistes français à qui pillera davantage. Il leur est avantageux que les Plekhanov fassent de la libération de l’Alsace-Lorraine une cause sacrée. Aussi, quand les sociaux-chauvins allemands parlent d’une rectification pacifique des frontières de l’Alsace-Lorraine, il faut lire : partage pacifique du butin entre les impérialistes français et allemands.

   Je dois ajouter une chose : j’ai oublié de dire que les représentants du « centre » allemand – Kautsky, Haase, Ledebour – ont donné leur accord à cette conférence c’est là pour eux un geste des plus déshonorants. Les socialistes anglo-français ne participent pas à cette conférence. Cela montre que les chauvins anglo-français, soi-disant socialistes, sont en réalité des agents de la bourgeoisie ; ils contribuent en effet, à la prolongation de la guerre impérialiste, en dépit des immenses efforts que fait, par l’intermédiaire de Borgbjerg, la majorité socialiste allemande, car le gouvernement allemand déclare sans nul doute par la voix de Borgbjerg : la situation est telle que je dois vous abandonner votre butin (les colonies allemandes d’Afrique). Cela nous est confirmé par la situation désespérée de l’Allemagne, pour laquelle la continuation de la guerre est sans espoir, le pays étant tout près de sa perte. Aussi se déclarent-ils disposés à restituer presque tout leur butin, tout en s’efforçant de s’en approprier une part. Les diplomates communiquent très bien entre eux et les journaux bourgeois, quand ils parlent des affaires étrangères, bernent le peuple avec des phrases.

   Nul doute que, lorsque les sociaux-chauvins anglais et français ont déclaré ne pas aller à la conférence, ils savaient déjà tout : ils s’étaient rendus à leurs ministères respectifs des Affaires étrangères, où on leur avait dit : « voilà les dessous de cette affaire, et nous ne voulons pas que vous alliez là-bas ». C’est ainsi, et ainsi seulement, que les choses se sont passées.

   Nous verrons que si les soldats russes reçoivent cette résolution – et je suis d’avis, qu’il faudrait la leur envoyer au nom des 70 000 membres de notre parti – ils commenceront vraiment à comprendre toute la combinaison qu’on leur a cachée. Ils comprendront alors que l’Allemagne ne peut pas continuer sa guerre de conquête et qu’il s’agit seulement d’étrangler l’Allemagne, d’en consommer le pillage. On ne peut nier que Borgbjerg soit un agent du gouvernement allemand.

   C’est pourquoi, camarades, je pense qu’il nous faut démasquer cette comédie de congrès socialiste. Tous ces congrès ne sont que des comédies destinées à masquer les marchandages auxquels se livrent les diplomates à l’insu des masses populaires. Il faut une fois pour toutes dire la vérité de façon qu’elle soit entendue par les soldats au front et par les ouvriers de tous les pays. Notre campagne sur les propositions de cette sorte éclairera, d’une part, notre ligne politique prolétarienne ; elle sera, d’autre part, une action de masse comme il n’y en a pas encore eu. C’est la raison pour laquelle je vous demanderais d’adopter si possible ce manifeste, de le transmettre au Comité exécutif, de le faire traduire dans les langues étrangères et de le publier demain dans la Pravda.

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