La décision de 1910

Les questions en litige

Lénine

Le parti légal et les marxistes

II. La décision de 1910

   Dans notre premier article (Pravda, n° 289), nous avons reproduit le premier et principal document que doivent connaître les ouvriers désireux de découvrir la vérité dans les discussions actuelles, à savoir : la décision du Parti sur le courant liquidateur, prise en décembre 1908.

   Maintenant nous allons présenter et examiner une autre décision du Parti, non moins importante, sur la même question, qui a été prise il y a trois ans et demi, en janvier 1910((Il s’agit de l’Assemblée plénière du Comité central du P.O.S.D.R., qui se tint à Paris en janvier 1910.)). Cette décision a une importance particulière, parce qu’ayant été adoptée à l’unanimité : tous les bolcheviks sans exception, puis tous ceux que l’on appelle les gens du Vpériod((Groupe des otzovistes (voir note 132) qui se sépara en 1909 du Parti bolchevik et fit paraître le recueil Vpériod.)), et enfin (c’est là le plus important), tous les menchéviks et les liquidateurs actuels sans exception, de même que tous les marxistes « nationaux » (c’est-à-dire juifs, polonais et lettons) ont adopté cette décision.

   Nous reproduisons ici en entier le passage essentiel de cette décision :

   La situation historique du mouvement social-démocrate à l’époque de la contre révolution bourgeoise engendre inévitablement, comme manifestation de l’influence bourgeoise sur le prolétariat, d’une part, la négation du Parti social-démocrate illégal, l’abaissement de son rôle et de son importance, des tentatives pour écourter les tâches et mots d’ordre de programme et de tactique de la social démocratie conséquente, etc. ; d’autre part, la négation du travail de la social-démocratie à la Douma et de l’utilisation des possibilités légales, l’incompréhension de l’importance de l’un et de l’autre, l’inaptitude à adapter la tactique social démocrate conséquente aux conditions historiques particulières du moment, etc. L’élément inaliénable de la tactique social-démocrate dans ces conditions, consiste à surmonter les deux déviations en élargissant et en approfondissant le travail social-démocrate dans tous les domaines de la lutte de classe du prolétariat, et à expliquer le danger de ces déviations.

   Cette décision montre nettement qu’il y a trois ans et demi tous les marxistes avaient dû reconnaître, à l’unanimité, dans tous les courants d’idées sans exception, deux déviations de la tactique marxiste. Les deux déviations furent reconnues dangereuses. On ne les expliquait pas par un effet du hasard, ni par le mauvais vouloir de telles ou telles personnes, mais par la « situation historique » du mouvement ouvrier à l’époque que nous vivons.

   Bien plus. La décision unanime du Parti parle de l’origine de classe et de la portée de ces déviations. Car les marxistes ne se contentent pas de donner une indication abstraite et sans objet sur la décadence et la désagrégation : tous voient que dans le cerveau de bien des partisans de la démocratie et du socialisme règnent la décadence, le scepticisme, le découragement, la perplexité. Il ne suffit pas de reconnaître ce fait. Il faut comprendre quelle est l’origine de classe de ce désarroi et de cette désagrégation, quels sont les intérêts de classe des milieux non prolétariens, qui alimentent la « dissension » parmi les amis du prolétariat.

   A cette question importante le Parti a répondu, dans sa décision d’il y a trois ans et demi : les déviations du marxisme sont engendrées par la « contre-révolution bourgeoise » ; elles sont engendrées par « l’influence de la bourgeoisie sur le prolétariat ».

   Quelles sont donc ces déviations qui menacent de livrer le prolétariat à l’influence de la bourgeoisie ? L’une de ces déviations, rattachée au « vpérédovisme » et consistant à nier le travail de la social-démocratie à la Douma, ainsi que l’utilisation des possibilités légales, a presque complètement disparu. Il n’est plus de social-démocrate en Russie pour prêcher ces vues erronées, contraires au marxisme. Les « vpérédovtsy » (y compris Alexinski et autres) travaillent maintenant à la Pravda, à côté des menchéviks-partisans du maintien du Parti illégal.

   L’autre déviation signalée dans la décision du Parti est précisément le courant liquidateur. La preuve, c’est qu’on y parle de « négation » de l’action clandestine et d’« abaissement » de son rôle et de sa portée. Enfin, nous avons un document éminemment précis, publié il y a trois ans, et que personne n’a démenti, document émanant de tous les marxistes « nationaux » et de Trotski (les liquidateurs n’auraient pu imaginer de meilleurs témoins) ; ce document déclare formellement que, « dans le fond, il serait bon de nommer courant de liquidation le courant d’idées signalé dans la résolution, et qu’il est nécessaire de combattre»…

   Voilà donc le fait essentiel, éminemment important, que doivent connaître tous ceux qui désirent voir clair dans les discussions actuelles : il y a trois ans et demi le Parti reconnaissait à l’unanimité que le courant de liquidation était une déviation « dangereuse » du marxisme, une déviation qu’il était nécessaire de combattre et qui traduisait « l’influence de la bourgeoisie sur le prolétariat ».

   Les intérêts de la bourgeoisie hostile à la démocratie ou d’esprit contre-révolutionnaire en général, exigent que soit liquidé, dissous le vieux parti du prolétariat. La bourgeoisie propage et soutient, par tous les moyens, toutes les idées visant à la liquidation du parti de la classe ouvrière. La bourgeoisie s’efforce de pousser à l’abandon des tâches anciennes, pour les « écourter », les rogner, les écorner, les vider de leur substance, afin de substituer la conciliation ou l’entente avec les Pourichkévitch et Cie à la suppression catégorique des fondements de leur pouvoir.

   Le courant de liquidation consiste justement à faire passer dans le milieu prolétarien ces idées bourgeoises d’abdication et de reniement.

   Telle est la signification de classe du courant liquidateur qu’indique à l’unanimité la décision du Parti, prise il y a trois ans et demi. C’est là que le Parti aperçoit le plus grand mal et le plus grand danger du courant liquidateur, son action néfaste sur le mouvement ouvrier, sur le rassemblement du parti de la classe ouvrière, indépendant (en fait et non en paroles).

   Le courant de liquidation ne tend pas seulement à liquider (c’est-à-dire à dissoudre, à détruire) le vieux parti de la classe ouvrière ; il tend aussi à détruire l’indépendance de classe du prolétariat, à corrompre sa conscience par des idées bourgeoises. Nous traduirons en clair cette appréciation du courant de liquidation dans notre prochain article, dans lequel nous reproduirons en entier les principaux arguments du Loutch des liquidateurs. Et maintenant, résumons brièvement ce qui vient d’être dit, Les tentatives des « loutchistes » en général, de messieurs F. Dan et Potressov en particulier, pour présenter les choses comme si le « courant liquidateur » n’était qu’une invention, ne sont que des subterfuges surprenants d’hypocrisie et calculés sur un manque total d’information chez les lecteurs du Loutch. En réalité, outre la décision du Parti, prise en 1908, il y a la décision unanime du Parti, prise en 1910 ; celle-ci donne une ample appréciation du courant liquidateur, qu’elle dit être une déviation bourgeoise, dangereuse et funeste pour la classe ouvrière, du chemin prolétarien. Seuls les ennemis de la classe ouvrière peuvent dissimuler ou éluder cette appréciation donnée par le Parti.

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