L’armée et le peuple, artisans de la victoire

De la guerre prolongée

Mao Zedong

L’armée et le peuple, artisans de la victoire

  1. Comme l’impérialisme japonais a en face de lui la Chine révolutionnaire, il ne se relâchera en rien dans son offensive et sa répression ; son caractère même d’impérialisme le veut ainsi.

   Si la Chine n’opposait pas de résistance, le Japon occuperait facilement tout le pays, sans tirer un coup de feu ; la perte des quatre provinces du Nord-­Est en est la preuve.

   Du moment que la Chine oppose de la résistance, le Japon essaiera d’écraser cette résistance jusqu’à ce qu’elle devienne trop forte pour qu’il puisse encore la surmonter ; c’est là une loi inexorable.

   La classe des propriétaires fonciers et la bourgeoisie japonaises nourrissent de grandes ambitions : leur projet étant d’attaquer, en direction du sud, le Sud­-Est asiatique et, en direction du nord, la Sibérie, elles ont adopté la politique de rupture au centre et ont porté leurs premiers coups contre la Chine.

   Ceux qui s’imaginent que le Japon se contentera d’occuper la Chine du Nord et la région des provinces du Kiangsou et du Tchékiang, et qu’il en restera là, ne comprennent absolument pas que le Japon impérialiste, entré dans une nouvelle étape de son développement et placé au bord de l’abîme, n’est plus le Japon de jadis.

   Lorsque nous affirmons qu’il y a une limite aux effectifs que le Japon peut mettre en ligne et des bornes à son offensive, voici ce que nous voulons dire : pour ce qui est du Japon, comme il se prépare à attaquer dans d’autres directions et à se défendre contre d’autres ennemis, il ne peut, avec les forces dont il dispose, envoyer contre la Chine qu’une quantité déterminée de troupes et doit borner sa progression aux limites de ses possibilités ; quant à la Chine, comme elle a montré qu’elle est sur la voie du progrès et qu’elle est capable de résister énergiquement, il serait inconcevable que les furieuses attaques japonaises ne rencontrent pas l’inévitable résistance de la Chine.

   Le Japon est incapable d’occuper toute la Chine, mais dans toutes les régions qu’il pourra atteindre il ne ménagera pas ses efforts pour écraser la résistance, jusqu’à ce que, sous la poussée des conditions intérieures et internationales, il se heurte directement à la crise qui lui sera fatale.

   La politique intérieure du Japon ne peut se développer que suivant l’une de ces deux voies : ou bien les classes dirigeantes s’effondreront bientôt, le pouvoir passera au peuple et la guerre cessera, ce qui, pour l’instant, est impossible ; ou bien la classe des propriétaires fonciers et la bourgeoisie s’enfonceront chaque jour un peu plus dans le fascisme et elles soutiendront la guerre jusqu’à leur perte — c’est cette dernière voie que le Japon suit actuellement.

   Il n’y a pas de troisième voie. Ceux qui se bercent de l’espoir que les milieux modérés de la bourgeoisie japonaise interviendront pour mettre fin à la guerre ne nourrissent que de vaines illusions.

   Au Japon, les milieux modérés de la bourgeoisie sont prisonniers des propriétaires fonciers et des magnats de la finance, telle est la situation politique réelle de ce pays depuis bien des années.

   Maintenant que le Japon a commencé la guerre contre la Chine, si la Résistance ne lui porte pas un coup mortel et s’il lui reste encore suffisamment de forces, il déclenchera certainement une offensive contre le Sud­Est asiatique ou contre la Sibérie, ou peut­être même contre les deux à la fois.

   Dès que la guerre aura éclaté en Europe, le Japon passera à la réalisation de ses plans, plans démesurément vastes que ses dirigeants ont conçus à l’image de leurs désirs. Bien entendu, il y a aussi une autre possibilité : la puissance de l’Union soviétique et l’affaiblissement notable du Japon dans la guerre contre la Chine peuvent avoir pour effet d’obliger le Japon à renoncer à son plan initial d’offensive contre la Sibérie et à adopter une position purement défensive de ce côté.

   Cependant, si cette situation se présente, l’offensive du Japon contre la

   Chine n’en sera pas affaiblie ; au contraire, elle sera renforcée, car le

   Japon n’aura plus alors d’autre choix que d’engloutir le pays faible.

   Dans ce cas, persévérer résolument dans la Guerre de Résistance, le front uni et la guerre prolongée constituera une tâche encore plus sérieuse, et le moindre relâchement de notre effort serait alors encore plus inadmissible.

  1. Dans cette situation, la condition essentielle de la victoire de la Chine sur le Japon, c’est l’unité de toute la nation, c’est les progrès portés au décuple ou au centuple dans tous les domaines.

   La Chine connaît une époque de progrès, elle a réalisé une magnifique unité, mais ce progrès et cette unité sont aujourd’hui encore très insuffisants.

   Le Japon a pu occuper un vaste territoire parce qu’il est fort et que la Chine est faible ; cette faiblesse est la conséquence directe de l’accumulation, depuis cent ans et surtout dans les dix dernières années, de toutes sortes d’erreurs qui ont limité le progrès de la Chine au niveau actuel.

   Aujourd’hui, nous ne pouvons vaincre un ennemi aussi fort que le Japon sans déployer des efforts sérieux et prolongés.

   Ces efforts doivent s’exercer dans bien des domaines ; je ne parlerai ici que des deux plus importants : le progrès de l’armée et le progrès du peuple.

  1. La réforme du système militaire exige la modernisation de notre armée et l’amélioration de son équipement technique, sans lesquelles il nous sera impossible de chasser l’ennemi au­delà du Yalou.

   Dans l’emploi des troupes, il faut déterminer une stratégie et une tactique souples, d’avant­garde, sans quoi il sera également impossible de remporter la victoire.

   Mais la base de l’armée, c’est le soldat.

   Sans insuffler aux troupes un esprit politique progressiste, sans poursuivre dans ce but un travail politique progressiste, il n’est pas possible d’arriver à une unité véritable des officiers et des soldats, d’éveiller en eux le plus grand enthousiasme pour la Guerre de Résistance et, par conséquent, de donner à notre technique et à notre tactique la base la plus propre à les rendre efficaces.

   Quand nous affirmons que, malgré sa supériorité technique, l’armée japonaise subira nécessairement, en fin de compte, la défaite, nous considérons que les coups que nous lui portons par nos opérations d’anéantissement et d’usure ne lui infligeront pas seulement des pertes mais ébranleront finalement le moral de ses soldats qui n’est pas du niveau de ses armes.

   Chez nous, au contraire, les officiers et les soldats ont des buts politiques communs dans la Guerre de Résistance.

   Cela nous donne une base pour le travail politique dans toutes les armées en lutte contre les envahisseurs japonais.

   Il faut réaliser une certaine démocratisation dans l’armée ; l’essentiel est d’abolir les pratiques féodales des châtiments corporels et des injures, et d’arriver à ce que dans la vie de tous les jours les officiers et les soldats partagent leurs joies et leurs peines.

   Ainsi, nous parviendrons à l’unité des officiers et des soldats, la capacité combative de l’armée prodigieusement accrue, et nous n’aurons pas à craindre de ne sera pouvoir tenir dans cette guerre longue et acharnée. 114. Les grandes forces de la guerre ont leurs sources profondes dans les masses populaires.

   C’est avant tout parce que les masses du peuple chinois sont inorganisées que le Japon s’est enhardi à nous malmener.

   Que nous surmontions cette insuffisance, et l’envahisseur japonais se trouvera, devant les centaines de millions d’hommes du peuple chinois soulevés, dans la même situation que le buffle sauvage devant un mur de feu : il nous suffira de pousser un cri dans sa direction pour que, de terreur, il se jette dans le feu et soit brûlé vif.

   La Chine a besoin que l’armée complète ses forces d’un flot continu.

   Le mode de recrutement qu’on emploie actuellement aux échelons inférieurs par la presse ou l’achat de remplaçants((Le Kuomintang complétait son armée de la façon suivante: il dépêchait dans toutes les directions des troupes et la police pour s’emparer des gens et les envoyer de force dans l’armée. Ceux qui étaient pris étaient liés avec des cordes comme des criminels. Ceux qui en avaient les moyens achetaient les fonctionnaires du Kuomintang et louaient des recrues pour les remplacer.)) doit être interdit immédiatement et remplacé par une large et ardente mobilisation politique ; il ne sera pas alors difficile d’avoir même des millions d’hommes sous les drapeaux.

   Nous avons de grandes difficultés à trouver les fonds nécessaires à la Guerre de Résistance, mais avec la mobilisation des masses populaires, les finances cesseront aussitôt de constituer un problème.

   Serait-­il possible qu’un Etat disposant d’un si vaste territoire et d’une population aussi nombreuse rencontre des difficultés de trésorerie ?

   L’armée doit ne faire qu’un avec le peuple, afin qu’il voie en elle sa propre armée. Cette armée­là sera invincible, et un pays impérialiste comme le Japon ne sera pas de taille à se mesurer avec elle.

  1. Beaucoup de gens s’imaginent que s’il n’y a pas de bons rapports entre les officiers et les soldats, entre l’armée et le peuple, cela est û à de mauvaises méthodes ; je leur ai toujours dit qu’il s’agit ici d’une attitude fondamentale (ou d’un principe fondamental) qui consiste à respecter le soldat, à respecter le peuple.

   De cette attitude découlent la politique, les méthodes et les formes appropriées.

   Sans cette attitude, la politique comme les méthodes et les formes seront nécessairement erronées, et il sera absolument impossible d’avoir de bons rapports entre les officiers et les soldats, entre l’armée et le peuple.

   Les trois grands principes de notre travail politique dans l’armée sont, premièrement, l’unité entre les officiers et les soldats ; deuxièmement, l’unité entre l’armée et le peuple ; troisièmement, la désagrégation des forces ennemies.

   Pour mettre effectivement en pratique ces trois principes, il faut partir de cette attitude fondamentale qui est le respect du soldat, le respect du peuple et le respect de la dignité des prisonniers ayant déposé les armes.

   Ceux qui estiment qu’il s’agit ici non d’une attitude fondamentale mais de questions d’ordre purement technique se trompent, et ils doivent corriger leur erreur.

  1. Maintenant que la défense de Wouhan et d’autres endroits est devenue un problème si urgent, notre tâche la plus importante, c’est de développer pleinement l’activité de l’armée et du peuple pour soutenir la guerre.

   Il n’y a pas de doute, nous devons poser sérieusement le problème de la défense de Wouhan et d’autres endroits et nous mettre sérieusement à la tâche.

   Mais la question de savoir si finalement nous réussirons à les défendre dépend non de notre volonté subjective mais des conditions concrètes.

   La mobilisation politique de l’armée et du peuple tout entiers pour la lutte est l’une des plus importantes de ces conditions concrètes.

   Si nous ne nous employons pas à réaliser toutes les conditions nécessaires, si même une seule de ces conditions fait défaut, il se produira inévitablement ce qui s’est passé à Nankin et en d’autres endroits que nous avons perdus.

   Où sera le Madrid chinois ? Il sera là où seront créées les mêmes conditions qu’à Madrid.

   Nous n’avons pas eu jusqu’ici un seul Madrid, mais maintenant nous devons en créer plusieurs. Cependant, la possibilité de le faire dépend entièrement des conditions.

   Et la plus fondamentale d’entre elles, c’est une large mobilisation politique de toute l’armée et de tout le peuple.

  1. Dans tout notre travail, il faut nous en tenir fermement à la ligne générale du front uni national antijaponais, car seule cette ligne garantit la possibilité de poursuivre fermement la Guerre de Résistance, de mener résolument une guerre de longue durée, d’aboutir à une amélioration générale et profonde des rapports entre les officiers et les soldats, entre le peuple et l’armée, de développer pleinement l’activité de l’armée et du peuple pour la défense de tous les territoires qui ne sont pas encore perdus et le recouvrement de tous ceux qui le sont déjà, la possibilité, enfin, de remporter la victoire finale.
  2. La mobilisation politique de l’armée et du peuple est vraiment une question de la plus haute importance.

   Nous sommes toujours revenus avec tant d’insistance sur cette question parce qu’il est réellement impossible de vaincre sans la résoudre.

   Certes, bien d’autres conditions sont également nécessaires à la victoire, mais la mobilisation politique est la condition qui commande toutes les autres.

   Le front uni national antijaponais est un front uni de toute l’armée et de tout le peuple, et nullement un front uni des seuls comités ou membres de quelques partis politiques.

   La création du front uni national antijaponais a comme but fondamental de mobiliser l’armée et le peuple tout entiers pour qu’ils y participent.

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