Deux types de contradiction de caractère différent

De la juste solution des contradictions au sein du peuple

Mao Zedong

Deux types de contradiction de caractère différent

   Notre pays est aujourd’hui plus uni que jamais. La victoire de la révolution démocratique bourgeoise et celles de la révolution socialiste, ainsi que nos succès dans l’édification socialiste, ont rapidement modifié l’aspect de la vieille Chine. L’avenir s’annonce encore plus radieux pour notre patrie. La division du pays et le chaos, abhorrés par le peuple, appartiennent à un passé définitivement révolu. Sous la direction de la classe ouvrière et du Parti communiste, nos 600 millions d’hommes, étroitement unis, se consacrent à l’œuvre grandiose de l’édification socialiste. L’unification de notre pays, l’unité de notre peuple et l’union de toutes nos nationalités, telles sont les garanties fondamentales de la victoire certaine de notre cause. Mais cela ne signifie nullement qu’il n’existe plus aucune contradiction dans notre société. Il serait naïf de le croire ; ce serait se détourner de la réalité objective. Nous sommes en présence de deux types de contradictions sociales : les contradictions entre nous et nos ennemis et les contradictions au sein du peuple. Ils sont de caractère tout à fait différent.

   Pour avoir une connaissance juste de ces deux types de contradictions, il est tout d’abord nécessaire de préciser ce qu’il faut entendre par « peuple » et par « ennemis ». La notion de « peuple » prend un sens différent selon les pays et selon les périodes de leur histoire. Prenons l’exemple de notre pays. Au cours de la Guerre de Résistance contre le Japon, toutes les classes et couches sociales et tous les groupes sociaux opposés au Japon faisaient partie du peuple, tandis que les impérialistes japonais, les traîtres et les éléments pro-japonais étaient les ennemis du peuple. Pendant la Guerre de Libération, les ennemis du peuple étaient les impérialistes américains et leurs laquais – la bourgeoisie bureaucratique, les propriétaires fonciers et les réactionnaires du Kuomintang qui représentaient ces deux classes, alors que toutes les classes et couches sociales et tous les groupes sociaux qui combattaient ces ennemis faisaient partie du peuple. A l’étape actuelle, qui est la période de l’édification socialiste, toutes les classes et couches sociales, tous les groupes sociaux qui approuvent et soutiennent cette édification, et y participent, forment le peuple, alors que toutes les forces sociales et tous les groupes sociaux qui s’opposent à la révolution socialiste, qui sont hostiles à l’édification socialiste ou s’appliquent à la saboter, sont les ennemis du peuple.

   Les contradictions entre nous et nos ennemis sont des contradictions antagonistes. Au sein du peuple, les contradictions entre travailleurs ne sont pas antagonistes et les contradictions entre classe exploitée et classe exploiteuse présentent, outre leur aspect antagoniste, un aspect non antagoniste. Les contradictions au sein du peuple ne datent pas d’aujourd’hui, mais leur contenu est différent dans chaque période de la révolution et dans la période de l’édification socialiste. Dans les conditions actuelles de notre pays, les contradictions au sein du peuple comprennent les contradictions au sein de la classe ouvrière, les contradictions au sein de la paysannerie, les contradictions parmi les intellectuels, les contradictions entre la classe ouvrière et la paysannerie, les contradictions qui opposent les ouvriers et les paysans aux intellectuels, les contradictions qui opposent les ouvriers et les autres travailleurs à la bourgeoisie nationale, les contradictions au sein de la bourgeoisie nationale elle-même, etc. Notre gouvernement populaire est l’authentique représentant des intérêts du peuple, il est au service de celui-ci ; mais entre lui et les masses il y a également des contradictions. Ce sont notamment celles qui existent entre les intérêts de l’Etat et de la collectivité d’une part et ceux de l’individu de l’autre, entre la démocratie et le centralisme, entre les dirigeants et les dirigés, entre certains travailleurs de l’Etat au style de travail bureaucratique et les masses populaires. Ce sont là aussi des contradictions au sein du peuple. D’une façon générale, les contradictions au sein du peuple reposent sur l’identité fondamentale des intérêts du peuple.

   Dans notre pays, les contradictions entre la classe ouvrière et la bourgeoisie nationale sont de celles qui se manifestent au sein du peuple. La lutte entre ces deux classes relève en général du domaine de la lutte de classes au sein du peuple, car, en Chine, la bourgeoisie nationale revêt un double caractère. Dans la période de la révolution démocratique bourgeoise, elle présentait un caractère révolutionnaire, mais en même temps une tendance au compromis. Dans la période de la révolution socialiste, elle exploite la classe ouvrière et en tire des profits, mais en même temps elle soutient la Constitution et se montre disposée à accepter la transformation socialiste. Elle se distingue des impérialistes, des propriétaires fonciers et de la bourgeoisie bureaucratique. Les contradictions qui l’opposent à la classe ouvrière sont des contradictions entre exploiteurs et exploités ; elles sont certes de nature antagoniste. Cependant, dans les conditions concrètes de notre pays, ces contradictions antagonistes peuvent se transformer en contradictions non antagonistes et recevoir une solution pacifique si elles sont traitées de façon judicieuse. Si les contradictions entre la classe ouvrière et la bourgeoisie nationale ne sont pas réglées correctement, c’est-à-dire si nous ne pratiquons pas à l’égard de celle-ci une politique d’union, de critique et d’éducation, ou si la bourgeoisie nationale n’accepte pas une telle politique, elles peuvent devenir des contradictions entre nous et nos ennemis.

   Comme les contradictions entre nous et nos ennemis et les contradictions au sein du peuple sont de nature différente, elles doivent être résolues par des méthodes différentes. En somme, il s’agit, pour le premier type de contradictions, d’établir une claire distinction entre nous et nos ennemis, et, pour le second type, entre le vrai et le faux. Bien entendu, établir une claire distinction entre nous et nos ennemis, c’est en même temps distinguer le vrai du faux. Ainsi, par exemple, la question de savoir qui a raison et qui a tort – nous ou les forces réactionnaires intérieures et extérieures que sont l’impérialisme, le féodalisme et le capital bureaucratique – est également une question de distinction entre le vrai et le faux, mais elle est différente par sa nature des questions sur le vrai et le faux qui se posent au sein du peuple.

   Notre Etat a pour régime la dictature démocratique populaire dirigée par la classe ouvrière et fondée sur l’alliance des ouvriers et des paysans. Quelles sont les fonctions de cette dictature ? Sa première fonction est d’exercer la répression, à l’intérieur du pays, sur les classes et les éléments réactionnaires ainsi que sur les exploiteurs qui s’opposent à la révolution socialiste, sur ceux qui sapent l’édification socialiste, c’est-à-dire de résoudre les contradictions entre nous et nos ennemis à l’intérieur du pays. Par exemple, arrêter, juger et condamner certains contre-révolutionnaires et retirer, pour une certaine période, aux propriétaires fonciers et aux capitalistes bureaucratiques le droit de vote et la liberté de parole — tout cela entre dans le champ d’application de notre dictature. Pour maintenir l’ordre dans la société et défendre les intérêts des masses populaires, il est également nécessaire d’exercer la dictature sur les voleurs, les escrocs, les assassins, les incendiaires, les bandes de voyous et autres mauvais éléments qui troublent sérieusement l’ordre public. La dictature a une deuxième fonction, celle de défendre notre pays contre les activités subversives et les agressions éventuelles des ennemis du dehors. Dans ce cas, la dictature a pour tâche de résoudre sur le plan extérieur les contradictions entre nous et nos ennemis. Le but de la dictature est de protéger le peuple tout entier dans le travail paisible qu’il poursuit pour transformer la Chine en un pays socialiste doté d’une industrie, d’une agriculture, d’une science et d’une culture modernes. Qui exerce la dictature ? C’est, bien entendu, la classe ouvrière et le peuple dirigé par elle. La dictature ne s’exerce pas au sein du peuple. Le peuple ne saurait exercer la dictature sur lui-même, et une partie du peuple ne saurait opprimer l’autre. Ceux qui, parmi le peuple, enfreignent la loi doivent être punis selon la loi, mais il y a là une différence de principe avec la répression des ennemis du peuple par la dictature. Au sein du peuple, c’est le centralisme démocratique qui est appliqué. Notre Constitution stipule que les citoyens de la République populaire de Chine jouissent de la liberté de parole, de la presse, de réunion, d’association, de cortège, de manifestation, de croyance religieuse ainsi que d’autres libertés. Elle stipule aussi que les organismes de l’Etat pratiquent le centralisme démocratique, qu’ils doivent s’appuyer sur les masses populaires et que leur personnel doit servir le peuple. Notre démocratie socialiste est la démocratie la plus large, une démocratie qui ne peut exister dans aucun Etat bourgeois. Notre dictature est la dictature démocratique populaire dirigée par la classe ouvrière et fondée sur l’alliance des ouvriers et des paysans. Cela signifie que la démocratie est pratiquée au sein du peuple et que la classe ouvrière, s’unissant avec tous ceux qui jouissent des droits civiques, les paysans en premier lieu, exerce la dictature sur les classes et éléments réactionnaires, et sur tous ceux qui s’opposent à la transformation et à l’édification socialistes. Par droits civiques, on entend, sur le plan politique, le droit à la liberté et le droit à la démocratie.

   Mais cette liberté est une liberté qui s’accompagne d’une direction, et cette démocratie une démocratie à direction centralisée, ce n’est donc pas l’anarchie. L’anarchie ne répond pas aux intérêts et aux aspirations du peuple.

   Certaines personnes dans notre pays se sont réjouies des événements de Hongrie. Elles espéraient que des événements semblables se produiraient en Chine, que les gens descendraient par milliers dans la rue et se dresseraient contre le gouvernement populaire. De telles espérances sont contraires aux intérêts des masses populaires et ne sauraient trouver leur appui. En Hongrie, une partie des masses, trompée par les forces contre-révolutionnaires du dedans et du dehors, a eu le tort de recourir à la violence contre le gouvernement populaire, ce dont pâtirent l’Etat et le peuple. Il faudra beaucoup de temps pour réparer les dommages causés à l’économie par quelques semaines d’émeutes. D’autres personnes dans notre pays ont pris une attitude hésitante à l’égard des événements de Hongrie, parce qu’elles ignorent l’état réel de la situation mondiale. Elles s’imaginent que sous notre régime de démocratie populaire, il y a trop peu de liberté, moins que dans le régime démocratique parlementaire d’Occident. Elles réclament le système des deux partis, tel qu’il existe en Occident, avec un parti au pouvoir et l’autre dans l’opposition. Mais ce système dit bipartite n’est qu’un moyen pour maintenir la dictature de la bourgeoisie, il ne peut en aucun cas garantir la liberté des travailleurs. En réalité, la liberté et la démocratie n’existent que dans le concret, et jamais dans l’abstrait. Dans une société où il y a lutte de classes, quand les classes exploiteuses ont la liberté d’exploiter les travailleurs, ceux-ci n’ont pas la liberté de se soustraire à l’exploitation ; quand la bourgeoisie jouit de la démocratie, il n’y a pas de démocratie pour le prolétariat et les autres travailleurs. Certains pays capitalistes admettent l’existence légale de partis communistes, mais seulement dans la mesure où elle ne lèse pas les intérêts fondamentaux de la bourgeoisie ; au-delà de cette limite, ils ne la tolèrent plus. Les gens qui revendiquent la liberté et la démocratie dans l’abstrait considèrent la démocratie comme une fin et non comme un moyen. Parfois, il semble que la démocratie soit une fin, mais en réalité elle n’est qu’un moyen. Le marxisme nous enseigne que la démocratie fait partie de la superstructure, qu’elle est du domaine de la politique. Cela signifie qu’en fin de compte la démocratie sert la base économique. Il en est de même de la liberté. La démocratie et la liberté sont relatives et non absolues, elles sont apparues et se sont développées dans des conditions historiques spécifiques. Au sein du peuple, la démocratie est corrélative du centralisme, et la liberté, de la discipline. Ce sont deux aspects contradictoires d’un tout unique ; ils sont en contradiction, mais en même temps unis, et nous ne devons pas souligner unilatéralement l’un de ces aspects et nier l’autre. Au sein du peuple, on ne peut se passer de liberté, mais on ne peut non plus se passer de discipline; on ne peut se passer de démocratie, mais on ne peut non plus se passer de centralisme. Cette unité de la démocratie et du centralisme, de la liberté et de la discipline constitue notre centralisme démocratique. Sous un tel régime, le peuple jouit d’une démocratie et d’une liberté étendues, mais en même temps, il doit se tenir dans les limites de la discipline socialiste. Tout cela, les masses populaires le comprennent bien.

   Nous sommes pour une liberté qui s’accompagne d’une direction et pour une démocratie à direction centralisée, mais cela ne signifie nullement qu’on puisse recourir à la contrainte pour résoudre les questions idéologiques et les questions portant sur la distinction entre le vrai et le faux qui surgissent au sein du peuple. Tenter de résoudre ces questions au moyen d’ordres administratifs ou de la contrainte est non seulement inefficace, mais nuisible. Nous ne pouvons supprimer la religion avec des ordres administratifs, ni forcer les gens à ne pas croire. On ne peut obliger les gens à renoncer à l’idéalisme ni à adopter le marxisme. Toute question d’ordre idéologique, toute controverse au sein du peuple ne peut être résolue que par des méthodes démocratiques, par la discussion, la critique, la persuasion et l’éducation ; on ne peut la résoudre par des méthodes coercitives et répressives. Mais afin de pouvoir exercer une activité productrice efficace, étudier avec succès et vivre dans des conditions où règne l’ordre, le peuple exige de son gouvernement, des dirigeants de la production et des dirigeants des institutions de culture et d’éducation qu’ils émettent des ordres administratifs appropriés ayant un caractère contraignant. Le bon sens indique que sans ces derniers, il serait impossible de maintenir l’ordre dans la société. Dans la solution des contradictions au sein du peuple, les ordres administratifs et les méthodes de persuasion et d’éducation se complètent mutuellement. Même les ordres administratifs émis pour maintenir l’ordre dans la société doivent être accompagnés d’un travail de persuasion et d’éducation, car le seul recours aux ordres administratifs est, dans bien des cas, inefficace.

   Ce procédé démocratique destiné à résoudre les contradictions au sein du peuple, nous l’avons résumé en 1942 dans la formule: « Unité – critique _ unité ». Plus explicitement, c’est partir du désir d’unité et arriver, en résolvant les contradictions par la critique ou la lutte, à une nouvelle unité reposant sur une base nouvelle. D’après notre expérience, c’est la méthode correcte pour résoudre les contradictions au sein du peuple. En 1942, nous l’avons utilisée pour résoudre les contradictions qui existaient au sein du Parti communiste entre les dogmatiques et la masse des membres du Parti, entre le dogmatisme et le marxisme. Les dogmatiques « de gauche » avaient employé dans la lutte à l’intérieur du Parti la méthode « lutter à outrance, frapper sans merci ». C’était une méthode erronée. En critiquant le dogmatisme « de gauche », nous n’avons pas employé cette vieille méthode ; nous en avons adopté une nouvelle : partir du désir d’unité et arriver, en distinguant le vrai du faux par la critique ou la lutte, à une nouvelle unité reposant sur une base nouvelle. C’est la méthode qui fut employée en 1942 au cours du mouvement de rectification. Quelques années plus tard, lors du VIIe Congrès du Parti communiste chinois tenu en 1945, l’unité de tout le Parti fut réalisée, ce qui permit la grande victoire de la révolution populaire. L’essentiel est ici de partir du désir d’unité. Car s’il n’y a pas subjectivement ce désir d’unité, la lutte une fois déclenchée, les choses finissent toujours par se gâter irrémédiablement. N’est-ce pas là en revenir au fameux « lutter à outrance, frapper sans merci » ? Et que reste-t-il alors de l’unité du Parti ? C’est justement cette expérience qui nous a conduits à la formule : « Unité – critique – unité ». En d’autres termes, « tirer la leçon des erreurs passées pour en éviter le retour et guérir la maladie pour sauver l’homme ». Nous avons étendu l’application de cette méthode au-delà des limites du Parti. Dans les bases antijaponaises, nous l’avons utilisée pour régler avec le plus grand succès les rapports entre la direction et les masses, entre l’armée et le peuple, entre les officiers et les soldats, entre les différentes unités de l’armée, entre les différents groupes de cadres. L’emploi de cette méthode remonte à une époque encore plus ancienne dans l’histoire de notre Parti. Lorsqu’en 1927 nous avons créé une armée et des bases révolutionnaires dans le Sud, nous en usions déjà pour régler les rapports entre le Parti et les masses, entre l’armée et le peuple, entre les officiers et les soldats, ainsi que d’autres rapports au sein du peuple. Seulement, pendant la Guerre de Résistance nous l’avons utilisée plus consciemment. Après la libération du pays, nous avons adopté cette même méthode « Unité — critique — unité » dans nos relations avec les partis démocratiques et les milieux industriels et commerçants. Notre tâche actuelle est de continuer à en étendre l’application et à l’employer de mieux en mieux dans tout le peuple en exigeant qu’elle serve à la solution des contradictions internes dans toutes les usines, coopératives, entreprises commerciales, écoles, administrations, organisations populaires, bref, parmi nos 600 millions d’habitants.

   Dans les conditions ordinaires, les contradictions au sein du peuple ne sont pas antagonistes. Cependant, elles peuvent le devenir si on ne les règle pas d’une façon correcte ou si l’on manque de vigilance et qu’on se laisse aller à l’insouciance et à la négligence. Dans un pays socialiste, ce phénomène n’est habituellement que partiel et temporaire. La raison en est que le système de l’exploitation de l’homme par l’homme y est supprimé et que les intérêts du peuple y sont foncièrement identiques. Les actes antagonistes qui ont pris lors des événements de Hongrie une si grande ampleur s’expliquent par le rôle que des facteurs contre-révolutionnaires intérieurs et extérieurs y ont joué. C’est là également un phénomène temporaire, et pourtant spécifique. Les réactionnaires à l’intérieur d’un pays socialiste, de connivence avec les impérialistes, cherchent à faire aboutir leur complot en exploitant les contradictions au sein du peuple pour fomenter la division et susciter le désordre. Cette leçon des événements de Hongrie mérite notre attention.

   L’emploi de méthodes démocratiques pour résoudre les contradictions au sein du peuple paraît à beaucoup une question nouvelle. En réalité, il n’en est rien. Les marxistes ont toujours considéré que le prolétariat ne peut accomplir son oeuvre qu’en s’appuyant sur les masses populaires, que les communistes, lorsqu’ils déploient leur activité parmi les travailleurs, doivent employer les méthodes démocratiques de persuasion et d’éducation, et qu’il est absolument inadmissible de recourir à l’autoritarisme ou à la contrainte. Le Parti communiste chinois est fidèle à ce principe marxiste-léniniste. Nous avons toujours soutenu qu’il faut, sous le régime de la dictature démocratique populaire, adopter deux méthodes différentes – la dictature et la démocratie – pour résoudre les deux types de contradictions, différents par leur nature, que sont les contradictions entre nous et nos ennemis et les contradictions au sein du peuple. Cette idée se retrouve dans beaucoup de documents de notre Parti et a été exposée par nombre de ses dirigeants. Dans mon article « De la dictature démocratique populaire », j’écrivais en 1949 : « D’un côté, démocratie pour le peuple, de l’autre, dictature sur les réactionnaires ; ces deux aspects réunis, c’est la dictature démocratique populaire. » Je soulignais que, pour résoudre les problèmes au sein du peuple, « la méthode employée est une méthode démocratique, c’est la persuasion et non la contrainte ». Dans mon intervention devant la deuxième session du Comité national de la 1re Conférence consultative politique du Peuple chinois, tenue en juin 1950, je disais aussi :

   L’exercice de la dictature démocratique populaire implique deux méthodes : A l’égard des ennemis, celle de la dictature ; autrement dit, aussi longtemps qu’il sera nécessaire, nous ne leur permettrons pas de participer à l’activité politique, nous les obligerons à se soumettre aux lois du gouvernement populaire, nous les forcerons à travailler de leurs mains pour qu’ils se transforment en hommes nouveaux. Par contre, à l’égard du peuple, ce n’est pas la contrainte, mais la méthode démocratique qui s’impose; autrement dit, le peuple a le droit de participer à l’activité politique; il faut employer à son égard les méthodes démocratiques, d’éducation et de persuasion, au lieu de l’obliger à faire ceci ou cela. Cette éducation, c’est l’auto-éducation au sein du peuple ; la critique et l’autocritique en constituent la méthode fondamentale.

   Ainsi, à maintes occasions, nous avons parlé de l’emploi des méthodes démocratiques pour résoudre les contradictions au sein du peuple et nous les avons pour l’essentiel appliquées dans notre travail ; parmi les cadres et le peuple, beaucoup savent d’ailleurs les pratiquer. Pourquoi y a-t-il aujourd’hui encore des gens à qui cette question semble nouvelle ? C’est que dans le passé la lutte entre nous et nos ennemis du dedans et du dehors était extrêmement âpre et que les gens n’accordaient pas autant d’attention que maintenant aux contradictions au sein du peuple.

   Beaucoup ne savent pas distinguer nettement ces deux types de contradictions, différents par leur caractère – contradictions entre nous et nos ennemis et contradictions au sein du peuple – et les confondent volontiers. Et il faut reconnaître qu’il est parfois facile de les confondre. Il nous est arrivé, dans notre travail, de faire de telles confusions. Au cours de l’élimination des contre-révolutionnaires, des gens honnêtes ont été pris pour des coupables ; de tels cas se sont présentés et se présentent encore aujourd’hui. Si nous avons pu limiter nos erreurs, c’est que notre politique a été de tracer une ligne de démarcation entre nous et nos ennemis et de rectifier les erreurs dès qu’on en a eu connaissance.

   La philosophie marxiste considère que la loi de l’unité des contraires est la loi fondamentale de l’univers. Cette loi agit universellement dans la nature tout comme dans la société humaine et dans la pensée des hommes. Entre les aspects opposés de la contradiction, il y a à la fois unité et lutte, c’est cela même qui pousse les choses et les phénomènes à se mouvoir et à changer. L’existence des contradictions est universelle, mais elles revêtent un caractère différent selon le caractère des choses et des phénomènes. Pour chaque chose ou phénomène déterminé, l’unité des contraires est conditionnée, passagère, transitoire et, pour cette raison, relative, alors que la lutte des contraires est absolue. Lénine a exposé clairement cette loi. Dans notre pays, un nombre croissant de gens la comprennent. Cependant, pour beaucoup, reconnaître cette loi est une chose et l’appliquer dans l’examen et la solution des problèmes, une autre. Beaucoup n’osent pas reconnaître ouvertement qu’il existe encore au sein de notre peuple des contradictions, alors que ce sont précisément elles qui font avancer notre société. Beaucoup refusent d’admettre que les contradictions continuent à exister dans la société socialiste, et, lorsqu’ils se trouvent en face de contradictions sociales, ils agissent avec timidité et ne peuvent manifester aucune initiative ; ils ne comprennent pas que c’est dans l’incessant processus consistant à traiter et à résoudre avec justesse les contradictions que se renforceront toujours l’unité et la cohésion de la société socialiste. Ainsi, il nous faut entreprendre un travail d’explication parmi notre peuple, et en premier lieu parmi les cadres, afin de les aider à comprendre les contradictions de la société socialiste et de leur apprendre à les résoudre par des méthodes justes.

   Les contradictions de la société socialiste diffèrent radicalement de celles des anciennes sociétés, comme la société capitaliste. Les contradictions de la société capitaliste se manifestent par des antagonismes et des conflits aigus, par une lutte de classes acharnée ; elles ne peuvent être résolues par le régime capitaliste lui-même, elles ne peuvent l’être que par la révolution socialiste. Il en va tout autrement des contradictions de la société socialiste, qui ne sont pas antagonistes et peuvent être résolues une à une par le régime socialiste lui-même.

   Dans la société socialiste, les contradictions fondamentales demeurent comme par le passé la contradiction entre les rapports de production et les forces productives, la contradiction entre la superstructure et la base économique. Toutefois, ces contradictions se distinguent foncièrement, par leur caractère et leurs manifestations, des contradictions entre rapports de production et forces productives, entre superstructure et base économique dans l’ancienne société. Le régime social actuel de notre pays est de loin supérieur à celui d’autrefois. S’il n’en était pas ainsi, l’ancien régime n’aurait pas été renversé et il aurait été impossible d’instaurer le nouveau régime. Lorsque nous disons que, par comparaison avec les anciens rapports de production, les rapports de production socialistes correspondent mieux au développement des forces productives, nous entendons par là qu’ils permettent à celles-ci de se développer à des rythmes inconnus de l’ancienne société, grâce à quoi la production ne cesse de s’étendre et satisfait progressivement les besoins toujours croissants du peuple. Dans l’ancienne Chine dominée par l’impérialisme, le féodalisme et le capital bureaucratique, les forces productives se développaient avec une extrême lenteur. Pendant les cinquante et quelques années qui ont précédé la libération du pays, la production annuelle de l’acier, non compris celle du Nord-Est, n’a pas dépassé quelques dizaines de milliers de tonnes ; et si l’on y ajoute celle du Nord-Est, la production annuelle maximum d’acier fut à peine supérieure à 900.000 tonnes. En 1949, la production de l’acier dans tout le pays n’était que de cent mille et quelques dizaines de milliers de tonnes. Mais sept ans seulement après la Libération, elle atteignait déjà quatre millions et plusieurs centaines de milliers de tonnes. Nous avons aujourd’hui une industrie mécanique qui existait à peine dans l’ancienne Chine, une industrie automobile et une industrie aéronautique qui n’y existaient pas du tout. Dans quelle voie devait s’engager la Chine, une fois la domination de l’impérialisme, du féodalisme et du capital bureaucratique renversée par le peuple ? Celle du capitalisme ou celle du socialisme ? Beaucoup de gens n’y voyaient pas clair. Mais les faits nous ont apporté la réponse : seul le socialisme peut sauver la Chine. Le régime socialiste a provoqué le développement impétueux de nos forces productives; même nos ennemis de l’extérieur sont obligés de le reconnaître.

   Mais le régime socialiste vient d’être instauré dans notre pays, il n’est pas encore complètement établi ni entièrement consolidé. Dans les entreprises industrielles et commerciales mixtes, à capital privé et d’Etat, les capitalistes touchent encore un intérêt fixe, il y a donc toujours exploitation ; du point de vue de la propriété, ces entreprises n’ont pas encore un caractère entièrement socialiste. Un certain nombre de nos coopératives agricoles de production et de nos coopératives artisanales de production ont toujours un caractère semi-socialiste ; et même dans les coopératives entièrement socialistes, il reste encore à résoudre certaines questions concernant la propriété. Entre les différentes branches de notre économie comme en chacune d’elles, des rapports conformes aux principes socialistes s’établissent graduellement en matière de production et d’échange ; et ces rapports trouvent peu à peu des formes relativement adéquates. Dans les deux secteurs de l’économie socialiste fondés l’un sur la propriété du peuple entier et l’autre sur la propriété collective, ainsi que dans leurs rapports entre eux, l’établissement d’une juste proportion entre l’accumulation et la consommation constitue un problème complexe auquel il n’est d’ailleurs pas facile de trouver d’emblée une solution parfaitement rationnelle. En résumé, les rapports de production socialistes sont déjà créés et ils correspondent au développement des forces productives, mais ils sont encore loin d’être parfaits et cette imperfection est en contradiction avec le développement des forces productives. Non seulement les rapports de production correspondent au développement des forces productives tout en étant en contradiction avec lui, mais, de plus, la superstructure correspond à la base économique en même temps qu’elle est en contradiction avec elle. La superstructure – le système étatique et les lois du régime de la dictature démocratique populaire, ainsi que l’idéologie socialiste guidée par le marxisme-léninisme – joue un rôle positif en contribuant au succès des transformations socialistes et en favorisant la mise sur pied d’une organisation socialiste du travail; elle correspond à la base économique socialiste, c’est-à-dire aux rapports de production socialistes. Mais l’existence de l’idéologie bourgeoise, d’un style bureaucratique de travail dans nos administrations et d’insuffisances dans certains maillons de nos institutions d’Etat est en contradiction avec la base économique socialiste. Nous devons constamment résoudre de telles contradictions, compte tenu des circonstances concrètes. Bien entendu, ces contradictions une fois résolues, de nouveaux problèmes viendront se poser. De nouvelles contradictions demanderont à être résolues. Par exemple, les contradictions entre la production et les besoins de la société, qui continueront à exister pendant une période prolongée comme une réalité objective, demandent à être réglées par les plans d’Etat suivant un processus constant de rajustement. Dans notre pays, on dresse chaque année un plan économique et on établit un rapport approprié entre l’accumulation et la consommation, afin de parvenir à un équilibre entre la production et les besoins de la société. Cet équilibre n’est autre qu’une unité passagère et relative des contraires. Un an passe, cet équilibre, considéré dans son ensemble, est rompu par la lutte des contraires; l’unité se modifie, l’équilibre se transforme en déséquilibre, l’unité cesse d’être l’unité, et il faut établir de nouveau l’équilibre et l’unité pour l’année suivante. C’est là la supériorité de notre économie planifiée. En fait, cet équilibre et cette unité sont partiellement rompus chaque mois, chaque trimestre, et cela exige des rajustements partiels. Parfois, c’est parce que nos mesures subjectives ne correspondent pas à la réalité objective que des contradictions se font jour et que l’équilibre est rompu; c’est ce que nous appelons commettre une erreur. Des contradictions apparaissent sans cesse et sans cesse on les résout, telle est la loi dialectique du développement des choses et des phénomènes.

   La situation actuelle est la suivante : Les vastes et tempétueuses luttes de classe, menées par les masses en période révolutionnaire, sont pour l’essentiel achevées, mais la lutte des classes n’est pas encore complètement terminée ; les larges masses accueillent favorablement le nouveau régime, mais elles n’y sont pas encore très habituées; les travailleurs du gouvernement n’ont pas assez d’expérience, et ils doivent continuer à examiner et à approfondir certaines questions concernant les mesures politiques concrètes. Cela signifie qu’il faut du temps pour que notre régime socialiste grandisse et se consolide, pour que les masses populaires s’habituent à ce nouveau régime et que nos travailleurs d’Etat puissent étudier et acquérir de l’expérience. Il est donc tout à fait indispensable que nous soulevions aujourd’hui la question de la limite précise à tracer entre les deux types de contradictions — contradictions entre nous et nos ennemis et contradictions au sein du peuple — ainsi que la question de la juste solution à donner aux contradictions au sein du peuple, afin d’unir toutes les nationalités du pays pour un nouveau combat, la bataille engagée contre la nature, de développer notre économie et notre culture, d’aider toute la nation à traverser d’une façon relativement aisée la période actuelle de transition, de renforcer notre nouveau régime et d’édifier notre nouvel Etat.

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