L’économie socialiste du peuple entier dégénère en économie capitaliste

La Yougoslavie est-elle un pays socialiste ?

A propos de la lettre ouverte du Comité Central du P.C.U.S.

26 septembre 1963

L’économie socialiste du peuple entier dégénère en économie capitaliste

   La restauration du capitalisme en Yougoslavie ne se manifeste pas uniquement par le fait que le capitalisme privé s’étend librement, tant dans les villes qu’à la campagne.

   Chose plus importante encore, c’est que les entreprises « publiques », qui occupaient une place déterminante dans l’économie de la Yougoslavie, ont dégénéré et changé de nature.

   L’économie d’ « auto­gestion ouvrière » de la clique Tito est un capitalisme d’Etat d’un genre particulier.

   Ce capitalisme d’Etat n’est pas celui existant dans les conditions de la dictature du prolétariat, c’est un capitalisme d’Etat existant dans de tout autres conditions, celles d’une dégénérescence de la dictature du prolétariat, transformée par la clique Tito en dictature de la bourgeoisie bureaucratique et compradore.

   Les moyens de production des entreprises d’ « auto­gestion ouvrière » n’appartiennent pas à un ou plusieurs capitalistes, ils appartiennent en réalité à la bourgeoisie bureaucratique et compradore d’un type nouveau, représentée par la clique Tito et englobant bureaucrates et gérants.

   Cette bourgeoisie, usurpant le nom de l’Etat, se subordonnant à l’impérialisme américain et s’abritant sous le manteau du « socialisme », s’est approprié les biens qui appartenaient aux travailleurs.

   Le système d’ « auto­gestion ouvrière » est en fait un système d’exploitation féroce sous la domination du capital bureaucratique et compradore.

   Depuis 1950, la clique Tito a promulgué une série de lois et décrets qui portent application de l’ « auto­gestion ouvrière » dans les usines, les mines, les transports et communications, le commerce, l’agriculture, la sylviculture, les services publics et toutes les autres entreprises d’Etat.

   Le contenu essentiel de cette « auto­gestion ouvrière » consiste à placer ces entreprises sous la gestion de « collectivités de travail ». Ces entreprises achètent elles-­mêmes les matières premières, fixent la variété des articles à produire, leur quantité et leurs prix, vendent elles-­mêmes leurs produits sur le marché, fixent elles-mêmes les salaires et décident de la répartition d’une partie des bénéfices.

   La loi yougoslave stipule en outre que les entreprises ont le droit de vendre, d’acheter et de louer des biens immobiliers.

   La clique Tito qualifie le système de propriété des entreprises placées sous l » « auto­gestion ouvrière » de « forme supérieure de la propriété socialiste ». Elle prétend que c’est seulement avec l’ « autogestion ouvrière » qu’il est possible d’ « édifier réellement le socialisme ».

   C’est là une pure duperie.

   Si l’on se place du point de vue théorique, tous ceux qui ont tant soit peu connaissance du marxisme savent que les mots d’ordre du genre d’ « auto­gestion ouvrière », d’ « usines aux ouvriers » n’ont jamais été des mots d’ordre marxistes, mais bien des mots d’ordre avancés par les anarchosyndicalistes, les socialistes bourgeois, les vieux opportunistes, les vieux révisionnistes.

   Les « théories » d’ « auto­gestion ouvrière » et d’ « usines aux ouvriers » sont diamétralement à l’opposé des principes fondamentaux du marxisme sur le socialisme.

   Elles ont été entièrement réfutées il y a longtemps par les auteurs marxistes classiques.

   Dans le Manifeste du Parti communiste, Marx et Engels indiquent :

   « Le prolétariat se servira de sa suprématie politique pour arracher petit à petit tout le capital à la bourgeoisie, pour centraliser tous les instruments de production entre les mains de l’Etat ».

   Dans l’Anti-­Dühring, Engels indique :

   « Le prolétariat s’empare du pouvoir d’Etat et transforme les moyens de production d’abord en propriété d’Etat. »

   Après la prise du pouvoir, le prolétariat doit concentrer les moyens de production entre les mains de l’Etat, Etat de dictature du prolétariat. Il s’agit là d’un principe fondamental du socialisme.

   Dans les premiers temps du pouvoir des Soviets, au lendemain de la Révolution d’Octobre, lorsque certains suggérèrent de remettre les usines aux « producteurs » pour qu’ils puissent directement « organiser la production », Lénine critiqua sévèrement ce point de vue, soulignant qu’il revenait en fait à s’opposer à la dictature du prolétariat.

   Lénine indiqua à juste titre :

   « Toute légalisation, directe ou indirecte, soit de la possession de leur propre production par les ouvriers d’une usine ou d’une profession prise en particulier, soit du droit de ceux­ci d’affaiblir ou d’entraver l’application des décrets du pouvoir d’Etat, constituerait la plus grande altération des principes fondamentaux du pouvoir des Soviets et l’abandon total du socialisme. » (Sur la démocratie et le caractère socialiste du pouvoir des Soviets)

   Il ressort de tout ceci que l’ « auto­gestion ouvrière » n’a rien à voir avec le socialisme.

   En fait, l’ « auto­gestion ouvrière » que vante la clique Tito ne revient nullement à confier la gestion aux ouvriers eux­-mêmes ; elle n’est qu’un rideau de fumée.

   Les entreprises où est appliquée l’ « auto­gestion ouvrière » sont en fait sous l’emprise de la bourgeoisie bureaucratique et compradore de type nouveau, représentée par la clique Tito.

   Celle­-ci contrôle tant les finances que le personnel des entreprises et s’approprie la majeure partie de leurs revenus.

   Par l’intermédiaire des banques, la clique Tito contrôle les crédits du pays entier, les fonds d’investissements et les fonds de roulement de toutes les entreprises et surveille leurs finances.

   Par des moyens tels que la perception fiscale et ­les intérêts, la clique Tito s’approprie les revenus des entreprises.

   D’après les données du Rapport d’activité de 1961 du Conseil exécutif fédéral de Yougoslavie, elle s’est emparée de cette façon des trois quarts environ des revenus nets des entreprises.

   Les fruits du travail du peuple dont la clique Tito se saisit, servent essentiellement à satisfaire les dilapidations de cette clique de bureaucrates, à maintenir sa domination réactionnaire, à renforcer l’appareil de répression contre le peuple travailleur et à payer tribut aux impérialistes sous forme de versement des intérêts des dettes étrangères et de remboursement de ces dettes elles-mêmes.

   Par ailleurs, la clique Tito contrôle les entreprises par l’intermédiaire de leurs gérants.

   Nominalement, ceux­-ci sont recrutés par les entreprises, mais en fait, ils sont désignés par la clique Tito.

   Ils sont les agents de la bourgeoisie bureaucratique et compradore au sein de ces entreprises.

   Dans ces entreprises, dites d » « auto­gestion ouvrière », les rapports entre gérants et ouvriers sont, en réalité, des rapports entre employeurs et employés, entre exploiteurs et exploités.

   Le fait est que le gérant a le droit de décider du plan de production et de l’orientation des affaires, de disposer des moyens de production, de décider de la répartition des revenus de l’entreprise, d’embaucher ou de licencier des ouvriers et de rejeter les résolutions du « conseil ouvrier » ou du « comité d’administration ».

   Les très nombreuses données publiées dans les journaux et périodiques yougoslaves prouvent que le « conseil ouvrier » n’est qu’une « machine à voter », existant uniquement pour la forme, et que, dans l’entreprise, « tout le pouvoir est entre les mains du gérant ».

   Du fait qu’ils contrôlent les moyens de production et la répartition des revenus des entreprises, les gérants ont la possibilité d’user de privilèges de toutes sortes pour s’approprier les fruits du travail des ouvriers.

   La clique Tito, elle­-même, admet que. dans ces entreprises, il existe un grand écart entre gérants et ouvriers quant à leurs salaires et à la répartition des dividendes.

   Dans certaines entreprises, le montant des dividendes attribués aux gérants et aux hauts fonctionnaires est 40 fois supérieur à celui qui revient aux ouvriers.

   « Dans certaines entreprises, le montant total des primes que touche le groupe de dirigeants équivaut au montant global des salaires de toute la collectivité. » (Lettre ouverte adressée le 17 février 1958 par le Comité central de la L.C.Y. aux organisations et aux dirigeants de tous les échelons)

   Par ailleurs, les gérants des entreprises, profitant de leurs privilèges, s’accaparent de fortes sommes par toutes sortes de subterfuges.

   Pots­de­vin, détournements de fends et vols sont pour eux une plus grande source de richesse.

   Les larges masses ouvrières vivent dans la pauvreté.

   Les ouvriers n’ont pas la sécurité de l’emploi.

   De nombreux ouvriers ont été jetés sur le pavé parce que leurs entreprises ont fait faillite. Suivant une statistique officielle, le nombre des chômeurs en février 1963 était de 339.000, soit environ 10 pour cent du nombre total des personnes ayant un emploi.

   De plus, chaque année, un grand nombre d’ouvriers émigrent à l’étranger.

   Le Politika du 25 septembre 1961 admet qu’ « un profond fossé sépare certains ouvriers et employés, les premiers considérant les seconds comme des ‘bureaucrates’ qui ‘engloutissent’ leurs salaires ».

   Ces faits montrent que dans les entreprises dites d’ « auto­gestion ouvrière » de Yougoslavie, il s’est formé un nouveau groupe social constitué par une minorité qui s’approprie les fruits du travail de la majorité.

   Il constitue une partie importante de la nouvelle bourgeoisie bureaucratique et compradore.

   L’ « auto­gestion ouvrière » appliquée par la clique Tito a fait que les entreprises, qui à l’origine relevaient de la propriété du peuple entier, se sont totalement écartées de l’orbite de l’économie socialiste.

   Les principales manifestations de ce phénomène sont:

   Premièrement : La suppression du plan économique unifié de l’Etat.

   Deuxièmement : Le profit est considéré comme le principal stimulant de la marche des entreprises. Pour accroître leurs revenus et bénéfices, les entreprises peuvent recourir à leur gré à toutes sortes de moyens. En d’autres termes, la production des entreprises dites d' »auto­gestion ouvrière » ne vise nullement à satisfaire les besoins de la société, mais sert à réaliser des bénéfices, exactement comme les entreprises capitalistes.

   Troisièmement : L’application d’une politique encourageant la libre concurrence capitaliste. Tito a déclaré aux gérants des entreprises : « La concurrence sera avantageuse pour les simples gens, pour les consommateurs ». La clique Tito a, en outre, déclaré ouvertement que si « la concurrence, la recherche du profit, la spéculation et autres phénomènes semblables » sont autorisés, c’est parce qu' »ils stimulent l’initiative des producteurs, de leurs collectivités, des communes, etc. » (V. Bakaric : Rapport présenté le 7 avril 1959 au IVe Congrès de la Ligue des Communistes de Croatie)

   Quatrièmement : L’utilisation du crédit et des banques en tant que leviers importants pour épauler la libre concurrence capitaliste. Le système bancaire et de crédit du régime de Tito accorde des prêts à celui qui offre les meilleures conditions: à celui qui est en mesure de rembourser dans le délai le plus bref, moyennant le taux d’intérêt le plus élevé. Pour reprendre les propres termes des titistes, c’est « utiliser la concurrence comme méthode courante pour la répartition des crédits investis » (A. Papic: Financement des investissements en Yougoslavie. Voir Annals of Collective Economy, avril­novembre 1959, imprimé à Belgrade.)

   Cinquièmement : Les rapports entre les entreprises ne sont pas des rapports socialistes d’entraide et de coordination établis selon un plan d’Etat unique, mais des rapports capitalistes de concurrence et d’évincement sur le marché libre.

   Tout cela a ébranlé les fondements mêmes de l’éco­nomie socialiste planifiée.

   Lénine a dit :

   « Le socialisme est impossible… sans une organisation d’Etat méthodique qui subordonne des dizaines de millions d’hommes à l’observation la plus rigoureuse d’une norme unique dans la production et la répartition des produits ». (Œuvres, tome 27)

   Lénine a dit encore :

   « sans un vaste recensement et contrôle exercés par l’Etat sur la production et la répartition des produits, le pouvoir des travailleurs, la liberté des travailleurs, ne pourront pas se maintenir, et le retour sous le joug du capitalisme sera inévitable.«  (Ibidem)

   Sous l’enseigne de l’ « auto­gestion ouvrière », une concurrence capitaliste acharnée règne entre les différentes branches économiques et entreprises de Yougoslavie.

   Pour battre leurs concurrents sur le marché et réaliser le maximum de bénéfices, il est courant que les entreprises dites d’ « auto­gestion ouvrière » se livrent à des actions frauduleuses, spéculent, accaparent et stockent les marchandises, haussent les prix, détournent des fonds, distribuent des pots­-de-­vin, fassent le blocus des secrets techniques, s’arrachent les techniciens et même utilisent la presse et la radio pour faire du tort aux autres.

   Cette concurrence acharnée entre les entreprises yougoslaves ne se manifeste pas seulement sur le marché intérieur, mais aussi dans le domaine du commerce extérieur.

   La presse yougoslave révèle qu’il arrive souvent que sur un seul et même marché extérieur surviennent 20 ou 30 représentants d’entreprises yougoslaves de commerce extérieur, qui entrent en concurrence les uns avec les autres et se disputent les clients.

   « Pour des raisons égoïstes », ces entreprises faisant du commerce extérieur « s’efforcent de gagner de l’argent à tout prix et par tous les moyens ».

   La concurrence acharnée a entraîné une confusion extrême sur le marché yougoslave. Les prix varient considérablement, non seulement entre différentes villes ou régions, mais aussi entre différents magasins d’un même endroit, et même entre les marchandises d’une même catégorie provenant du même producteur.

   Pour maintenir un prix élevé, certaines entreprises n’hésitent pas à détruire de grandes quantités de produits agricoles.

   Par suite de la concurrence acharnée, un grand nombre d’entreprises yougoslaves ont fait faillite.

   Suivant les données publiées par le Bulletin officiel de la R.F.P.Y., durant ces dernières années, il a été enregistré annuellement la faillite de cinq à six cents entreprises.

   Il ressort de tout ceci que l’économie « publique » de la Yougoslavie n’est pas une économie régie par les lois de l’économie socialiste planifiée, mais par les lois de la concurrence capitaliste et de la production anarchique, que les entreprises d »‘auto­gestion ouvrière » de la clique Tito ne sont point des entreprises de caractère socialiste mais bien des entreprises de caractère capitaliste.

   Nous voudrions demander à ceux qui s’emploient à réhabiliter la clique Tito : A moins que vous ne vouliez duper les gens, comment pouvez­-vous présenter le capitalisme d’Etat se trouvant sous l’emprise de la bourgeoisie bureaucratique et compradore comme une économie socialiste ?