Extraits de la « Critique du programme de Gotha », de K. Marx.

Les Cahiers de Contre-Enseignement Prolétarien

#12 – Marx et l’Éducation

Annexes

1. Extraits de la « Critique du programme de Gotha », de K. Marx.

B. Le Parti ouvrier allemand réclame comme base intellectuelle et morale de l’État :

   1° L’ENSEIGNEMENT intégral, LE MÊME POUR TOUS, DU PEUPLE par l’État. Obligation scolaire pour tous, instruction gratuite.

   L’enseignement du peuple, le même pour tous ? Qu’est-ce qu’on entend par ces mots ? Croit-on que, dans la société actuelle (et l’on n’a à s’occuper que d’elle), l’éducation puisse être la même pour toutes les classes ? Ou bien veut-on réduire par la force les classes supérieures à recevoir aussi cet enseignement diminué de l’école populaire, seul compatible avec la situation économique non seulement des ouvriers salariés, mais encore des paysans?

   « Obligation scolaire pour tous. Instruction gratuite. » La première existe même en Allemagne, la seconde en Suisse et aux États-Unis pour les écoles populaires. Si, dans certains États de ce dernier pays, des établissements d’enseignement supérieur sont également gratuits, cela signifie seulement qu’en fait ces États mettent à la charge du budget général les dépenses scolaires des classes supérieures. Incidemment, il en va de même de cette « administration gratuite de la justice », réclamée à l’article 5. La justice criminelle est partout gratuite; la justice civile roule presque uniquement sur des litiges de propriété et concerne donc, presque uniquement, les classes possédantes. Vont-elles soutenir leurs procès aux frais du trésor public?

   Le paragraphe relatif aux écoles aurait dû tout au moins exiger l’adjonction à l’école populaire d’écoles techniques (théoriques et pratiques).

   Une « éducation du peuple » par l’État » est chose absolument condamnable. Déterminer par une loi générale les ressources des écoles populaires, les aptitudes exigées du personnel enseignant, les branches d’enseignement, etc., et, comme aux États-Unis, surveiller, à l’aide d’inspecteurs d’État, l’exécution de ces prescriptions légales, c’est tout à fait autre chose que de faire de l’État l’éducateur du peuple ! Bien plus, il faut au même titre proscrire de l’école toute influence gouvernementale et religieuse. Certes, dans l’empire prusso-allemand (et qu’on ne recoure pas à cette méchante échappatoire de parler d’un certain « État de l’avenir » : nous avons vu ce qui en est), c’est au contraire l’État qui a besoin d’être éduqué par le peuple d’une rude manière.

   D’ailleurs tout le programme, en dépit de toute sa fanfare démocratique, est d’un bout à l’autre infecté par la servile croyance de la secte lassallienne à l’État, ou, ce qui ne vaut pas mieux, au miracle démocratique; ou plutôt c’est un compromis entre ces deux sortes de foi au miracle, également éloignées du socialisme.

   « Liberté de la science », dit un paragraphe de la constitution prussienne. Pourquoi alors ici?

   « Liberté de conscience ! » Si on voulait, par ces temps de Kulturkampf, rappeler au libéralisme ses vieux mots d’ordre, on ne pouvait le faire que sous cette forme: « Chacun doit pouvoir satisfaire ses […besoins] religieux, sans que la police y fourre le nez ». Mais le parti ouvrier avait là l’occasion d’exprimer sa conviction que la bourgeoise « liberté de conscience » n’est rien de plus que la tolérance de toutes les sortes possibles de liberté de conscience religieuse, tandis que lui s’efforce de libérer les consciences de la fantasmagorie religieuse. Seulement on se complaît à ne pas dépasser le niveau « bourgeois ».

   Me voici à la fin, car l’appendice qui accompagne le programme n’en constitue pas une partie caractéristique. Aussi serai-je ici très bref.

   2° Journée normale de travail.

   En aucun autre pays, le parti ouvrier ne s’en est tenu à une revendication aussi imprécise, mais toujours il assigne à la journée de travail la durée qu’il considère comme normale, étant donné les circonstances.

   3° Limitation du travail des femmes et interdiction du travail des enfants.

   La réglementation de la journée de travail implique déjà la limitation du travail des femmes, en tant qu’elle concerne la durée, les pauses,… de la journée de travail; autrement, cela ne peut signifier que l’exclusion des femmes des branches d’industrie qui sont particulièrement contraires à leur santé physique ou contraires à la morale au point de vue du sexe. Si c’est ce qu’on avait en vue, il fallait le dire.

   « Interdiction du travail des enfants » Il était absolument indispensable d’indiquer la limite d’âge.

   Une interdiction générale du travail des enfants est incompatible avec l’existence de la grande industrie et, donc, est un pieux désir insignifiant.

   La réalisation — si elle était possible — serait réactionnaire, car une étroite réglementation du temps de travail selon les âges étant assurée, ainsi que d’autres mesures de protection des enfants, le fait de combiner de bonne heure le travail productif avec l’instruction est un des plus puissants moyens de transformation de la société actuelle.