4. Les fonctions de l’État

Les Cahiers de Contre-Enseignement Prolétarien

#18 – L’État et ses fonctions

4. Les fonctions de l’État

   Mais, dira-t-on, il n’y a qu’à regarder autour de nous. Nous voyous l’État jouer un rôle, accomplir certaines actions commandées par la conservation même de la société tout entière. Ainsi, en ce moment, l’État a des fonctions économiques, des fonctions administratives. Il s’acquitte de services d’hygiène, d’assistance sociale. Il veille à l’exécution de la justice. Il s’agit bien là de fonctions nécessaires à la vie, à la santé de tout le corps social. Tout cela doit s’accomplir pour que la société, prise comme un tout, se conserve et dure. Et ce sont bien là des fonctions étrangères aux classes !

   Eh bien, pas du tout ! Il suffit de voir comment elles sont accomplies, ces fonctions.

   Mais d’abord pourquoi appartiennent-elles à l’État ? Il y a parmi elles des fonctions politiques (législation, justice, police, défense militaire) qui sont liées à l’existence de tout État, qui en sont les caractéristiques essentielles. Mais il en est d’autres qui sont des fonctions sociales (travaux publics, instruction publique, assistance publique, services publics, hygiène sociale) qui ont été accaparées par l’État, et on conçoit fort bien des sociétés où ces fonctions sont assumées par l’ensemble de la population ou par ses délégués directs et immédiats, sans cesse révocables. En fait, il s’agit là de fonctions dont l’État, au cours des siècles, s’est emparé peu à peu, habilement. Et au profit de qui ? De la classe dominante. En effet :

   1. Recueillir les moyens nécessaires pour les travaux et la gestion générale de la société pourrait appartenir à d’autres organismes. À présent, le budget, sa formation, sa discussion, appartiennent à l’État. Pourquoi ? Parce que ce budget est établi dans l’intérêt de la bourgeoisie. Que l’on considère l’importance en France des impôts indirects, prélevés sur les denrées que l’on consomme, donc sur les masses pauvres. Que l’on compare le budget de la Guerre (19 milliards tout compris) qui permet aux industries d’écouler leurs aciers et leurs produits chimiques, au budget de l’Instruction publique (2 milliards), ou de l’Hygiène (quelques centaines de millions !) etc., etc. Et s’il y a des travaux publics effectués, ce sont des chemins de fer qui desservent les usines des gros industriels, des canaux qui facilitent leurs exportations, etc.

Le budget est donc un budget de classe. Et c’est pour cela que l’État s’en est emparé.

   2. L’État a une fonction administrative. C’est-à-dire qu’il a créé une bureaucratie liée par des milliers de liens à la classe dominante. Les administrations sont remplies de créatures des hommes au pouvoir. Cet appareil de l’État bourgeois donne à des quantités de petits bourgeois, de fils de paysans ou de commerçants, des emplois qui exigent la fidélité au régime. Cela est vrai notamment pour l’instruction publique, les instituteurs et professeurs ! N’est-il pas significatif de voir actuellement, dans la presse bourgeoise, une campagne d’une violence inouïe contre les instituteurs, parce que ceux-ci, atteints dans leurs conditions de vie par la diminution des traitements, ont osé, dans leurs congrès, réagir contre l’État, et parce que le 12 février 1934, ils ont osé faire grève contre la tentative de coup d’état fasciste du 6 février ? Cette même presse réclame l’obéissance servile des instituteurs de l’État, veut leur enlever toute liberté d’opinion, et le maréchal Pétain exige d’eux qu’ils soient les auxiliaires dociles de l’état-major !

   L’administration n’est pas une fonction sociale, c’est un instrument de domination. Cet appareil a toujours été en se perfectionnant depuis que le régime existe. Tout le système exécutif est de plus en plus aux ordres de la classe dominante. Quand un gouvernement parlementaire change, c’est la curée aux emplois ! Cet appareil bureaucratique est un des piliers de la classe bourgeoise. La révolution aura comme premier acte de le briser (Marx, Lénine).

   3. La justice est une justice de classe. Indulgente aux protégés, aux « pistonnés », aux riches. Sévère pour les pauvres, les petits, au nom de la morale et de la société. Féroce contre les révolutionnaires (Ex. : la justice bourgeoise en 1871, 100.000 communards exécutés ou déportés après jugement ( !), et actuellement, en tous pays, les communistes ; les exécutions en Indochine, en Chine, en Allemagne, en Espagne, etc., sans jugement ou avec une caricature de jugement.) Le droit de punir n’existe pas plus que la volonté collective. Une classe se venge, et c’est tout. Nous avons affaire à une justice de classe, chargée avant tout de la répression. Et les scandales récents en France (affaires Stavisky, Prince, Mariani, etc.) n’ont-ils pas montré avec éclat la corruption de la justice et de la police bourgeoises, servantes du capital, vendues à qui les paye? N’a-t-on pas vu le président du conseil Doumergue choisir comme ministre de la Justice, un des politiciens avocats d’affaires les plus corrompus, Lémery ? Non seulement la justice est une justice de classe, mais, dans la décadence actuelle du capitalisme, elle tend même à devenir une justice de clan, les différents clans de la bourgeoisie cherchant à l’accaparer à leur profit. Ainsi dans l’affaire Prince, on a vu se combattre violemment un clan bourgeois de droite, qui tenait absolument à démontrer qu’il y avait eu crime, afin d’exploiter politiquement ce fait pour une agitation fasciste, et un clan bourgeois de gauche, soutenant au contraire la thèse du suicide. Chaque clan avait pour lui certains juges, certains policiers, qui faisaient des rapports contradictoires, brouillaient les pistes, chaque clan cherchait à accaparer le ministre de la Justice, exerçait sur lui des chantages ou des menaces. Ainsi le clan droitier réussit à faire partir Chéron, pour le remplacer… par Lemery ! O, justice impartiale !

   4. L’assistance sociale ? Voyez les hôpitaux, leur budget infime, les suicides causés par la misère, les milliers de taudis. Voyez la loi inique des assurances sociales avec prélèvement sur les salaires, incomplète, insuffisante, et qui a eu pour résultat de mettre des milliards entre les mains de l’État bourgeois, qui ne se gêne pas pour les employer à d’autres fins ! Tandis qu’on transforme les instituteurs en frères quêteurs, qu’on les charge de vendre aux fils d’ouvriers, de paysans pauvres et de chômeurs, des timbres antituberculeux, ne voit-on pas le budget de 1935 réduire de 14 millions de francs les crédits pour la lutte contre la tuberculose !

   5. L’instruction publique ? L’instruction primaire gratuite (en partie) n’a été instaurée que lorsque le capitalisme a eu besoin, avec le développement du machinisme industriel et du commerce, de salariés ayant un minimum d’instruction. Là où, comme dans les pays agraires arriérés ou aux colonies, il n’a besoin que de manœuvres, il ne se soucie pas d’instruire. (Ex. : en Algérie, après un siècle d’occupation et de « civilisation », il y a seulement dans les écoles 60.000 enfants d’indigènes sur une population scolaire de 900.000 enfants, et, au moment où le mouvement antiimpérialiste se développe en Algérie, la presse capitaliste ose encore déplorer qu’on y ait trop largement développé l’instruction, et voit là une des causes des revendications politiques et sociales des indigènes qui étaient si dociles dans l’ignorance !) En France, même l’instruction supérieure n’est pas gratuite, l’instruction secondaire l’est depuis peu, mais l’une et l’autre restent essentiellement réservées aux fils privilégiés de la bourgeoisie qui, seule, peut fournir la subsistance à ses enfants pendant les longues années que nécessitent les études secondaires et supérieures. Cela est particulièrement vrai pendant la dure période de crise économique actuelle, et cela montre tout le bluff de l’école unique qui ne saurait exister que dans une société prenant à sa charge l’entretien total des enfants poursuivant leurs études.

   D’ailleurs, si le capitalisme ascendant et prospère a développé l’instruction, le capitalisme décadent actuel, en proie à la crise, ne se livre-t-il pas à un véritable sabotage de l’enseignement (suppression de postes, diminution de crédits, classes surchargées, etc.) ?

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