Introduction

Les Cahiers de Contre-Enseignement Prolétarien

#18 – L’État et ses fonctions

Introduction

   L’enseignement qu’on donne aux normaliennes et normaliens, loin de la vie réelle, en vase clos, dans ces « séminaires laïques » que sont les E. N., n’a qu’un but : leur inculquer les idées favorables au maintien du régime actuel, c’est-à-dire de Ia scandaleuse inégalité économique qui donne à une minorité capitaliste, de moins en moins nombreuse, l’immense majorité des richesses et le pouvoir réel, tandis que la classe ouvrière, le prolétariat, de plus en plus nombreux, n’en possède qu’une part toujours plus réduite. On essaye de leur dissimuler le fait économique et politique essentiel de la société capitaliste : l’existence de ces deux classes antagonistes, l’une exploitant l’autre cyniquement, tandis que les classes moyennes intermédiaires formant la petite bourgeoisie disparaissent de plus en plus : artisans écrasés par la grosse industrie, petits commerçants écrasés par les grands magasins, casinos, économats à succursales multiples, petits paysans écrasés par la grosse culture industrialisée des pays neufs et des colonies, deviennent des ouvriers (dépopulation des campagnes).

   Pour cacher cela aux futurs maîtres chargés de bourrer le crâne aux enfants, on leur enseigne notamment que l’État actuel, l’État capitaliste est au-dessus des classes, au service de toutes les classes, au service de l’intérêt général. C’est obligatoirement, dans l’école laïque prétendument neutre et respectueuse de toutes les opinions, que les professeurs doivent enseigner cette doctrine, sans même laisser supposer qu’il en existe une autre.

   Les instructions officielles du ministère, du 30 septembre 1920, sur l’enseignement de la sociologie dans les E. N, disent en effet : « Comment dissimulerait-on à des instituteurs, à des institutrices qui vont représenter l’État moderne, les faits sociaux d’où résulte la neutralité de l’État ? » Or, cette neutralité de l’État est un cynique mensonge destiné à masquer l’oppression capitaliste sur les travailleurs. En réalité, l’histoire et la sociologie véritables démontrent d’une façon aveuglante (contrairement aux thèses de Durkheim, sociologue au service de la bourgeoisie) que dans toute société où il y a des classes, l’État avec tous ses rouages est uniquement et entièrement au service des intérêts de la classe privilégiée, dominante et exploitante, dont il est le Conseil d’administration, une « force spéciale d’oppression » (Engels) :

   1° Dans l’antiquité, l’État était l’instrument de domination de la classe patricienne sur les esclaves et la plèbe.

   2° Au moyen-âge et dans les temps modernes, il était l’instrument de domination de la noblesse féodale et royale sur les serfs et les roturiers,

   3° Depuis 1789, dans la période contemporaine ou capitaliste, il a été et est l’instrument de domination de la bourgeoisie capitaliste sur le prolétariat.

   4° En Russie soviétique où le prolétariat a pris le pouvoir et renversé la bourgeoisie capitaliste, il est l’instrument de domination et de lutte du prolétariat contre les vestiges de la bourgeoisie.

   C’est seulement dans une société sans classes et sans privilèges économiques que le caractère de classe de l’État pourra disparaître avec l’État lui-même.

   Voilà la vérité, que nous démontrerons. En particulier, nous monterons que la démocratie bourgeoise actuelle avec son prétendu suffrage universel, sa prétendue égalité des citoyens devant la loi, ses insuffisantes et précaires libertés démocratiques, n’est que le règne tout puissant de la ploutocratie, du veau d’or, que le prolétariat doit renverser ; et que là même où l’État capitaliste paraît agir pour la société tout entière, pour le bien du prolétariat (hygiène, assistance sociale, travaux publics, instruction publique, justice), il est encore en réalité au service de la seule bourgeoisie, car alors on découvre toujours à son action au moins l’un des trois motifs suivants :

   1. Ou bien l’intérêt même du capitalisme à conserver l’existence d’une chair à travail exploitable avec un rendement suffisant et d’une chair à canon assez nombreuse pour lutter par la guerre contre les capitalistes voisins (de même l’agriculteur soigne ses bestiaux pour qu’ils travaillent bien et deviennent bons à tuer).

   2. Ou bien le désir d’entretenir dans les masses pour consolider le régime, l’illusion de la bienfaisance de l’État capitaliste, par une réforme insignifiante, sans valeur profonde, accompagnée d’un grand battage démagogique, et qui n’est qu’une duperie, car ses dispositions d’apparence favorables au prolétariat sont annulées pratiquement par d’autres dispositions et par le fonctionnement même du régime (ex. : retraites ouvrières de 1910, assurances sociales de 1930).

   3. Ou bien, enfin, il s’agit de concessions plus profondes mais octroyées par crainte du prolétariat menaçant et que la bourgeoisie retire ensuite lorsqu’elle reprend le dessus. (Ex. : les ateliers nationaux pour les chômeurs en 1848, la loi de 8 heures de 1919 non appliquée aujourd’hui, tes libertés démocratiques, suffrage universel, régime parlementaire, liberté de réunion, de manifestation, droit syndical, droit de grève, que les gouvernements préfascistes, depuis la tentative de coup d’État fasciste du 6 février 1934, s’efforcent d’annuler.)

   Ainsi le caractère de classe de l’État capitaliste ne se dément jamais et nulle part.

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