La dialectique des sciences

Les Cahiers de Contre-Enseignement Prolétarien

#19 – La Philosophie du marxisme et l’enseignement officiel

2. La philosophie du marxisme

La dialectique des sciences

   Elle se donne pour tâche d’abord d’expliquer les progrès indéniables des sciences et de chercher si les méthodes employées plus ou moins consciemment par les savants créateurs ne se rapprochent pas de la dialectique. Que l’application pure et simple de la logique aristotélicienne ait toujours été impuissante à faire avancer les sciences, c’est ce qui, depuis Bacon et Descartes, n’est plus guère contesté, et ce qu’Émile Meyerson a surabondamment démontré((Voir surtout E. MEYERSON : De l’explication dans les sciences. Payot, Paris, 1927.)). Que d’autre part le matérialisme mécaniste se soit, depuis le XVIIe siècle, montré de plus en plus incapable d’expliquer les phénomènes physiques, chimiques et biologiques, la démonstration n’en est pas non plus difficile à faire. L’image d’un monde fixe et immuable, régi par un minimum de lois simples et par les relations unilatérales de causalité, fait place de plus en plus à l’image d’un monde complexe et mobile, où des forces contraires luttent constamment, assurant des équilibres plus ou moins précaires, où pourtant, du choc de ces formes, résultent constamment des phénomènes nouveaux, la création, à travers le temps, de formes plus riches, plus différenciées, irréductibles aux formes antérieures.

   Il serait aisé de signaler, à travers toutes les sciences, les problèmes et les découvertes qui donnent raison à une conception dialectique de la réalité. C’est déjà, dans la méthode mathématique, l’impossibilité où se sont trouvés les logiciens de ramener la démonstration au syllogisme aristotélicien, seul compatible avec le principe d’identité, et leurs difficultés inextricables à concevoir une déduction féconde qui ne contiendrait pas son contraire, le raisonnement inductif. Dans la physico-chimie, c’est la notion d’énergie remplaçant peu à peu la vieille idée de la matière inerte, et la découverte de l’atome, synthèse de forces contraires. En biologie, c’est le triomphe de l’évolution sur la théorie ancienne de la fixité des espèces, l’idée darwinienne de la lutte pour la vie, l’idée plus récente des mutations brusques et la notion actuelle de l’adaptation, résultant d’une lutte entre l’être et son milieu, d’un équilibre instable entre les forces internes et les forces externes.

   Il va sans dire que ces conquêtes successives n’ont pas été obtenues par l’application de la méthode marxiste; certaines mêmes sont dues à des prétentions d’un tout autre ordre, à des arrière-pensées qui n’avaient rien de scientifique, au désir de chercher dans le monde autre chose qu’un déterminisme rigoureux de faits matériels, d’y trouver des traces de liberté, de contingence, d’intervention surnaturelle. Mais il est significatif qu’en détruisant les formes brutales et simplistes du matérialisme mécaniste, ces tentatives elles-mêmes n’aient eu d’autres résultats que de préparer un nouveau matérialisme et un nouveau déterminisme, les mêmes justement dont le marxisme construit la théorie.

   Mais cette analyse de la science passée, si intéressante qu’elle puisse être, n’est qu’une partie de la besogne des savants marxistes; ils ont surtout à prouver l’efficacité de leur méthode en montrant que, grâce à elle, ils sont capables à leur tour de faire avancer la science et plus vite que les autres. C’est le rôle que se sont assignés depuis dix-sept ans nos camarades de l’Union soviétique, et l’essor, aujourd’hui incontesté, des sciences en U.R.S.S. commence à leur donner raison. Je me borne à signaler les résultats remarquables qu’a déjà donnés la biologie expérimentale soviétique, c’est-à-dire la science qui, au lieu de se borner à observer les formes de la vie que nous présente la nature, s’efforce de créer des espèces nouvelles, utilisables pour l’agriculture, l’alimentation et l’industrie. La science soviétique présente dès à présent ce double caractère, qui est un sujet d’étonnement et souvent de scandale pour les savants occidentaux, d’être en liaison directe avec la pratique, la technique, les besoins économiques et industriels, et de laisser pourtant une liberté inégalée aux recherches de science pure et désintéressée.

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