Mensonges sur les causes et faits de la Grande Guerre

Les Cahiers de Contre-Enseignement prolétarien

#9 – Les manuels d’histoire et la guerre impérialiste

II. Préparation à la guerre impérialiste par les manuels d’histoire

3. Mensonges sur les causes et faits de la Grande Guerre

   Toute la puissance de l’impérialisme français est fondée sur les traités de 1919 et 1920, particulièrement sur le traité de Versailles qui, annihilant momentanément la puissance militaire et navale de l’Allemagne, réduisant son territoire et le coupant en deux tronçons séparés, la dépouillant de ses colonies, morcelant son ex-alliée l’Autriche-Hongrie, créant ou agrandissant toute une série de petites puissances sous l’influence militaire et financière de la France, a donné à cette dernière une prépondérance marquée en Europe.

   Mais ce monstrueux traité de Versailles, imposant par la force à tout un peuple innocent l’odieux tribut des réparations, violant des dizaines de fois le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes (Allemands de Dantzig, du couloir polonais, de Haute-Silésie, d’Eupen-Malmédy, de la Sarre, du Tyrol, minorités nationales en Roumanie, Pologne, Tchécoslovaquie, Yougoslavie, peuples coloniaux changeant de maître sans être consultés), ne saurait être justifié que si l’on admet comme démontré que l’Allemagne supporte seule toute la responsabilité de la guerre. Aussi, le traité contient-il cette affirmation de la responsabilité unilatérale de l’Allemagne, qui lui fut imposée malgré elle par les Alliés.

   Or, outre le fait qu’il faut distinguer, en Allemagne comme ailleurs, les responsabilités de la classe ouvrière et paysanne qui ne désirait aucunement la guerre, et celles du gouvernement et des classes dirigeantes, la thèse d’une responsabilité unilatérale de l’Allemagne dans le déclenchement de la guerre est de moins en moins admise en tous pays même par les historiens bourgeois des puissances alliées que n’aveugle pas un chauvinisme étroit. Les responsabilités des impérialismes alliés (Angleterre, France, Russie, Serbie) sont aussi grandes que celles de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie, et celles du tsar et de Poincaré aussi grandes que celles de Guillaume II.

   La véritable cause profonde de la guerre est dans le régime capitaliste lui-même qui, par la production anarchique et la course au profit créant la surproduction économique, par la recherche des débouchés et des matières premières conduisant aux conquêtes coloniales, aux luttes commerciales et douanières, exaspère les rivalités entre les puissances, pousse les classes capitalistes et les gouvernements de tous les pays à désirer et préparer la guerre pour abattre les concurrents capitalistes étrangers. C’est ainsi que les rivalités économiques anglo-allemande, franco-allemande, austro-turco-russe furent à la base de la guerre, et l’assassinat de Sarajevo (perpétré en accord avec le gouvernement serbe qui depuis a solennellement glorifié l’assassin) ne fut que le prétexte du déclenchement d’un mécanisme de guerre soigneusement prévu de part et d’autre. (Nous publierons un cahier sur « les causes profondes de la guerre ».)

   Mais les manuels scolaires faits pour justifier l’impérialisme français et le traité de Versailles qui en est l’armature ne sauraient enseigner ces vérités, et la plupart continuent à affirmer avec insolence la responsabilité unilatérale de l’Allemagne dans le déclenchement de la guerre.

   Ils continuent à affirmer aussi, contre toute évidence, que seule l’Allemagne se montra déloyale, barbare, cruelle pendant la guerre : les Alliés furent de doux agneaux qui se montrèrent constamment magnanimes ! Comme si la guerre n’avait pas été en tous pays le déchaînement de la force brutale, de la violence, de la haine stupide et féroce et des bas instincts, une longue série d’assassinats, de pillages, de vols, de viols, de mensonges, de trahisons et de bourrages de crâne des masses populaires, à qui une presse soigneusement censurée empêchait de se faire un jugement par elles-mêmes ! Pour citer un exemple, presque tous les manuels signalent comme un crime affreux la violation par l’Allemagne de la neutralité belge, au mépris des traités (chiffons de papier). Mais aucun ne s’avise de faire remarquer que les alliés agirent exactement de même quand, après la débâcle serbe, ils débarquèrent en Grèce, pays neutre, et installèrent à Salonique un camp retranché, malgré le gouvernement et le peuple alors hostiles à la guerre.

   Voici quelques citations significatives des manuels :

   Lavisse, Cours moyen :

La France et l’Angleterre avaient fait tout leur possible pour maintenir la paix. Mais l’empereur allemand n’écoutait que ceux de ses conseillers qui voulaient la guerre (p. 249).

Les Allemands massacraient un grand nombre de civils, même des femmes et des enfants. Devant eux, fuyaient les populations terrifiées. Pour excuser ces horreurs, les Allemands disaient que plus ils seraient cruels, plus la guerre serait rapide et vite terminée (p. 251).

Ainsi [par le traité de Versailles] étaient réparées quelques-unes des grandes injustices du passé (p. 263).

   Gauthier et Deschamp, Cours moyen et supérieur :

La grande guerre a pour origines la « paix armée » et l’orgueil allemand (p. 253).

   Guiot et Mane, Cours moyen :

Comment, mes amis, ont été déchaînées les horreurs de la plus sanglante des guerres? Hélas c’est l’éternelle histoire du fort voulant dépouiller le faible, du loup qui dévore l’agneau (l’Autriche attaque la Serbie)… De concert avec l’Angleterre, la France propose de faire juger à l’amiable le différend par les grandes puissances. Mais non: voulant quand même la guerre, l’Allemagne et, bientôt après, l’Autriche attaquent la France (3 août 1914). Voici maintenant le plus abominable des attentats… l’Allemagne envahit la Belgique. C’en est trop: l’Angleterre… déclare la guerre à l’Allemagne et à l’Autriche-Hongrie (4 août). Voilà, par la faute des « deux empires de proie », l’Europe presque entière devenue le théâtre de la plus meurtrière des luttes (p. 283).

Les Allemands, véritables barbares, plus cruels que les Huns, ont commis les pires atrocités… Inaccessible à la pitié, la nation allemande s’est déshonorée par les plus noirs forfaits (p. 284).

Les États-Unis ont déclaré la guerre à la cruelle nation (avril 1917) pour défendre les droits de l’humanité (p. 284).

L’Allemagne accepte les dures conditions imposées par les alliés vainqueurs (11 novembre 1918). L’heure de la justice est enfin arrivée ! (p. 285).

   Brossolette, Cours moyen :

Les peuples d’Europe voulaient la paix. L’Allemagne, armée jusqu’aux dents, pleine d’orgueil et avide de conquêtes, voulait la guerre (p. 248).

L’Allemagne est vaincue, après s’être déshonorée par ses procédés sauvages de guerre… Le traité de Versailles nous rend l’Alsace-Lorraine. À l’Europe qu’avait faite Bismarck et où commandait l’Allemagne, va succéder une Europe où régnera le droit et où les nations vivront libres. Tel est le fruit de la splendide victoire des démocraties d’Occident ! (p. 250).

   Pomot et Besseige, Cours moyen ;

La France ne voulait pas la guerre (p. 181).

L’Allemagne voulait une grande guerre (p. 182).

   Rogie et Despiques, Cours moyen :

La France était résolument pacifique (p. 289).

L’Allemagne rendit vaines toutes les tentatives de l’Angleterre, de la France et de la Russie pour prévenir le conflit (p. 289).

   Calvet, Cours moyen et supérieur :

Les efforts faits pour assurer la paix n’aboutirent pas, l’empereur Guillaume II déclara la guerre à la Russie le 1er août et à la France le 3 août (p. 308).

Les injustices du passé ont été réparées [par le traité de Versailles] (p. 318).

   Seuls, deux manuels ont fait un effort sérieux pour présenter d’une façon plus conforme à la vérité les origines et les faits de la grande guerre :

   Duvillage, Cours élémentaire et moyen :

   Ce manuel montre les causes profondes économiques de la Grande Guerre (guerre commerciale, rivalités impérialistes). Il écrit : « Dans toutes les nations il y avait des gens animés de désirs du même genre [désirs de guerre des pangermanistes allemands] » (p. 304). L’Allemagne, cependant, est seule citée comme exemple d’impérialisme. Et il manque à cet exposé l’idée générale qui le résumerait : le capitalisme cause des guerres.

   Nouvelle Histoire de France (Fédération unitaire de l’enseignement), Cours moyen :

   Ce manuel montre aussi les causes économiques de la grande guerre. Il parle en outre de la préparation morale à la guerre et des causes sociales :

Les journaux et les livres excitaient les peuples à se haïr. Sur les bancs de l’école, dans bien des pays, les enfants apprenaient non à estimer les étrangers, mais à les mépriser. Enfin, certains pensaient qu’une guerre entre nations ferait oublier aux ouvriers et aux patrons leurs intérêts opposés, et apaiserait la lutte des classes (p. 342).

   Nous avons cependant là encore à faire des critiques à ce manuel, qui, pour remplir dignement son rôle, aurait dû apporter courageusement toute la vérité révolutionnaire :

   1° Il ne met pas non plus nettement en relief l’idée du capitalisme cause des guerres ;

   2° Les auteurs se sont contentés d’une condamnation sentimentale de la guerre (les horreurs de la guerre, p. 344 ; joie et deuils, p. 347), fort bien acceptée par la bourgeoisie, car elle ne s’oppose nullement à la préparation morale de la guerre. Ainsi, le manuel « démocrate » de Pomot et Besseige traite aussi des « horreurs de la guerre » (p. 189) et en profite pour bourrer le crâne sur le prétendu « travail pour la paix » de la S.D.N., en même temps qu’il parle de « l’admirable héroïsme de nos poilus » et de la nécessité de « défendre la patrie si elle est attaquée ». Une condamnation purement sentimentale de la guerre est donc insuffisante et peut être même dangereuse, dans un manuel d’histoire comme dans la propagande politique, si l’on n’y joint sa condamnation du point de vue de classe, du point de vue révolutionnaire, c’est-à-dire du point de vue de l’intérêt du prolétariat. Or, cela n’apparaît point dans le manuel ;

   3° Au sujet des traités de 1919 nous lisons simplement ceci: « La paix de Versailles et les traités signés avec les autres nations ont bouleversé la carte de l’Europe. La nouvelle Europe comprend de nouvelles républiques ». Il nous paraît inadmissible de parler ainsi de ces traités d’une façon aussi « neutre » et détachée. C’est masquer la vérité et laisser libre cours au bourrage de crâne bourgeois que de ne pas montrer leur caractère capitaliste et impérialiste, source de nouveaux conflits et de nouvelles guerres, de révolutions nationales, coloniales et prolétariennes.

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