Partie VI

Les enseignements de la révolution

Lénine

VI

   Le parti des ouvriers révolutionnaires, le Parti bolchevik, préparait pour le 9 juin une manifestation à Pétrograd, afin de permettre aux masses d’affirmer de façon organisée leur mécontentement et leur indignation qui montaient irrésistibles. Les chefs socialistes-révolutionnaires et menchéviks, empêtrés dans des accords avec la bourgeoisie et liés par la politique d’offensive impérialiste, furent terrifiés en voyant tomber leur influence dans les masses. Et ce fut contre la manifestation une clameur générale, qui réunissait cette fois les cadets contrerévolutionnaires avec les socialistes-révolutionnaires et les menchéviks. Sous leur direction et par suite de leur politique d’entente avec les capitalistes, la volte-face opérée par les masses petites-bourgeoises vers une alliance avec la bourgeoisie contre-révolutionnaire se précisa amplement, se dessina avec une netteté saisissante. Là est la portée historique, la signification de classe de la crise du 9 juin. Les bolcheviks décommandèrent la manifestation, dominés par le souci de ne point mener, à ce moment-là, les ouvriers à une bataille désespérée contre les cadets, les socialistes-révolutionnaires et les menchéviks réunis. Mais ces derniers, désireux de conserver tout au moins quelque reste de la confiance des masses, se virent obligés de fixer au 18 juin une manifestation commune. L’exaspération de la bourgeoisie était à son comble, car elle voyait avec juste raison la démocratie petite-bourgeoise pencher vers le prolétariat. Elle décida donc de paralyser l’action de la démocratie en déclenchant l’offensive sur le front.

   En effet, le 18 juin, les mots d’ordre du prolétariat révolutionnaire, les mots d’ordre du bolchévisme remportaient une remarquable, une imposante victoire parmi les masses de Pétersbourg ; et le 19 juin la bourgeoisie et le bonapartiste [Le bonapartisme (du nom des deux empereurs français), c’est un gouvernement qui affecte de n’être d’aucun parti ; il exploite la lutte aiguë que mènent entre eux les partis des capitalistes et des ouvriers. Alors qu’en réalité il sert les capitalistes, un gouvernement de ce genre s’attache surtout à tromper les ouvriers par des promesses et de menues aumônes.] Kérenski annonçaient avec solennité que, justement le 18, l’offensive avait commencé sur le front.

   Pratiquement l’offensive signifiait la reprise de la guerre de brigandage dans l’intérêt des capitalistes, contre la volonté de l’immense majorité des travailleurs. Aussi l’offensive impliquait-elle nécessairement, d’une part, une accentuation prodigieuse du chauvinisme et le passage du pouvoir militaire (partant, politique) à la clique militaire des bonapartistes ; d’autre part, l’emploi de la violence contre les masses, la persécution des internationalistes, la suppression de la liberté d’agitation, les arrestations et les exécutions des adversaires de la guerre.

   Tandis que le 6 mai avait attaché les socialistes-révolutionnaires et les menchéviks au char triomphal de la bourgeoisie par une corde, le 19 juin les y a rivés, comme serviteurs des capitalistes, par une chaîne.

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